Il y a toujours eu des guerres et des populations fuyant les guerres ; aujourd’hui ce sont des émigrés, en 1940 on parlait d’exode et de réfugiés. Au début de la grande Guerre, les Ardennais et les Meusiens du nord partaient devant l’avance allemande.
René Bourlier, alors curé des Islettes, raconte cette page d’histoire dans un livret : Les Islettes pendant la guerre 1914-1918.
Les réactions des habitants à cette époque ressemblent beaucoup à celles de nos compatriotes.
En octobre 1914, les Allemands envahissent le nord de la France, chassant les populations devant un ennemi dont la rumeur racontait les atrocités commises.
« Et pendant ce temps-là, l’avance de l’ennemi s’accentue ; la Meuse a été franchie, après d’âpres combats où les villages des deux rives ont souffert ; il s’enfonce dans l’Argonne et dans ses contreforts. »Ils viennent", disent les gens des Ardennes et du Nord de la Meuse.
Ils viennent !... A ce moment-là les récits de leurs atrocités les précédaient. De Belgique, des Ardennes, de Meurthe-et-Moselle, on apprend “ plus ou moins grossis ou déformés “ des faits de violence, de meurtres, d’incendies"
Le village des Islettes, encore en zone non occupée, voit arriver les « Emigrés ».
« Cruelle incertitude ! On se décide. Les uns resteront : advienne que pourra ! Les autres se mettent en route. Et alors leurs voitures, hâtivement chargées, prennent place dans le triste défilé qui dure depuis plusieurs jours déjà. A leur tour de prendre rang parmi les infortunés que la guerre jette sur les chemins qui s’enfoncent vers l’intérieur. Ils vont gagner Triaucourt, puis Bar-le-Duc, et là ce sera la dispersion, au gré des hasards, des parentés, des offres d’asile »
Le curé des Islettes ose alors dire une vérité : les émigrés n’étaient pas toujours bien accueillis ; les mots sont simples et durs : « Il fallait se déranger pour eux ils n’apportaient pas de richesse. »
« Et puis, -pourquoi ne pas le dire ici-, notre nation empoisonnée de doctrines qui visent à la jouissance, au bien-être, au bonheur immédiat, est devenue égoïste, ennemie de toute gêne et de toute contrainte. Or, les émigrés étaient des gêneurs ; il fallait se serrer, se déranger pour eux ; ils n’apportaient pas de richesses : c’étaient des parents pauvres. Aussi, dans bien des endroits, on les reçut sans empressement, avec froideur, parfois même avec défiance et quelque hostilité. Dans certaines mairies ou préfectures, ils ne trouvèrent pas toujours l’accueil dû à leur infortune, et les journaux de toutes opinions ont relaté pendant quatre ans une foule d’avatars et d’affronts qu’une bureaucratie sans entrailles leur infligea injustement ; on eût dit qu’ils étaient tarés ou coupables ! Et pourtant leur seul tort avait été de se trouver, une cinquième fois depuis 120 ans sur le chemin de l’envahisseur, d’avoir souffert comme leurs ancêtres et leurs pères, plus que les autres Français, et d’avoir assisté à la destruction du foyer que plusieurs générations laborieuses et économes avaient construit et entretenu avec soin »
Nul doute que, comme il y a toujours une différence entre ce que l’on pense et ce que l’on fait, devant le fait accompli, les émigrés ont trouvé un accueil digne de ce nom.
Le village des Islettes sera occupé par les Allemands du 5 au 14 octobre, et ce fut pour certains le départ et pour ceux qui avaient décidé de rester un « vilain et pénible cauchemar ».
John Jussy
Collection Roger Bissieux