Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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La croix de la place à Menou : un droit d’asile...

   par John Jussy



Une croix avait été dressée au XIVème siècle par des corporations sur la place de la ville de Sainte-Ménehould et devait assurer, comme toutes ces croix, un droit d’asile. Mais a-t-elle jamais rempli ce rôle de protection, et quel était ce droit ?

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Le plan de la ville dressé pour le livre d’histoire locale écrit par Buirette réserve bien des surprises. Ce plan représente la ville avant l’incendie de 1719, c’est-à-dire la ville du Moyen Ege, avec sa ville haute fortifiée nommée depuis « Butte du Château » et la ville basse entourée de remparts.
En plein cœur de cette ville, juste en bas de la côte qui permet d’accéder à la ville haute, était une place, petite, entourée par l’hôtel de ville qui jouxtait les grandes halles et un bâtiment avec une tour, sorte de beffroi. Après l’incendie, un hôtel de ville sera construit en dehors des remparts et les grandes halles ne reverront jamais le jour, faute de moyens financiers.
Mais là, au milieu de cette place, on aperçoit une croix juchée sur un socle en pierre. La réponse à la question posée par de nombreux Ménéhildiens : « Mais qu’est-ce-que c’est que cette croix » se trouve peut-être dans le livre de Buirette (page 137). Sainte-Ménehould aurait suivi l’exemple des autres villes du royaume qui érigeaient des croix. Elles devaient être regardées comme des asiles sacrés !
« Depuis longtemps c’était un usage assez général en France d’élever des croix sur les places publiques, au coin des carrefours, le long des grandes routes, surtout à l’embranchement des chemins. Ces croix, suivant le concile de Clermont, tenu en 1095, devaient être regardées comme des asiles sacrés à l’instar des églises ; ce qui fut cause qu’autrefois on les multiplia de tous les côtés. » Buirette.

Le concile de Clermont (Clermont-Ferrand) s’était tenu en 1095 ; et parmi toutes les résolutions, on trouve l’article référencé n°29 : « Les croix dressées le long des chemins comprennent le droit d’asile comme les églises », avec un additif : « Celui qui enlace une croix touche un asile aussi inviolable que s’il était réfugié dans une église ».
Le droit d’asile était une vieille tradition chrétienne. Depuis toujours, cette tradition bien spécifiée par le concile d’Orléans de 511 stipule que « Tout fugitif meurtrier, adultère, voleur, qui se réfugie dans une église ou ses dépendances est protégé par le droit d’asile ». En étaient cependant exclus les esclaves qui n’avaient pas d’existence juridique et les débiteurs du fisc (!), puis beaucoup plus tard les brigands notoires, les malfaiteurs, les Juifs, les hérétiques et les excommuniés. Inutile de dire que des zones peu recommandables devaient se former autour des églises.
Et voilà donc qu’en ce début du XIVème siècle, sous le règne de Philippe VI de Valois (roi de 1328 à 1350), trois corporations décident d’ériger une telle croix.
"En 1335, les tanneurs, les cordonniers et les savetiers [1], qui ne composaient qu’une même communauté, firent ériger à leurs frais une énorme croix en pierre sur la place de Sainte-Ménehould, devant la maison où se tenaient les plaids (l’auditoire). La bénédiction de ce monument fut une cérémonie religieuse à laquelle toute la ville prit part. Cette croix, qui était très élevée, et sur laquelle étaient inscrits les noms des échevins d’alors, fut toujours entretenue aux dépens de la communauté des tanneurs". Buirette.
Le concile de Clermont stipule encore (article n°30) : « Quiconque s’est réfugié auprès d’une de ces croix doit être livré à la justice mais à condition d’avoir la vie et les membres saufs ». Concernant les membres, l’article doit faire allusion à la torture, comme le supplice de la roue qui n’a pourtant été utilisé en France qu’à partir du XVIème siècle.
On retrouvera ce droit d’asile dans le roman de Victor Hugo « Notre Dame de Paris » quand Esméralda se trouve protégée en entrant dans la cathédrale :« Quand on l’emmena sur le parvis de la cathédrale Notre Dame pour y être pendue, Quasimodo s’empara de la gitane et la traîna dans l’église où le droit d’asile la met à l’abri ». Au XXème siècle on retrouve ce droit qui n’existe plus mais qui est sous-entendu, comme par exemple avec le fougueux Dom Camillo qui arrête les hommes de Pépone en leur lançant, les bras levés vers le ciel : « Mais vous êtes dans une église ! ».
Cette croix a dû disparaître dans l’incendie de 1719. Mais notre historien n’en dit pas plus sur le devenir de la croix. Toujours est-il que deux siècles plus tard, quand le pouvoir royal s’affirmait, ce droit d’asile devait disparaître avec l’ordonnance de Villers Cotterêt en 1539 sous François Ier. On comprend que cette croix, qui avait perdu ses « pouvoirs », ne fut pas dans le plan de reconstruction de la ville.
Quant au droit d’asile, la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1948 stipule que : « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile dans un autre pays ».
Alors on peut se demander si la croix a rempli son rôle de protection : des hommes peu scrupuleux, bandits, Juifs, hérétiques, sont-ils venus y trouver un droit d’asile ? Cette croix, petit détail dans le si précieux plan de Buirette, gardera sans doute à jamais son secret.
John Jussy

Notes

[1Le tanneur transforme en cuir la peau naturelle brute des animaux ; le cordonnier répare les chaussures, le savetier raccommode les vieux souliers (chaussures à semelles rigides).
Dans la ville de Sainte-Ménehould, en 1903, il y avait un tanneur : Pierrard, rue des Prés, deux cordonniers bottiers : Tressont rue Chanzy et Marcoux au Château, mais il n’y avait plus de savetiers.

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