17-05-1908, Journal ’L’Humanité"
"La cour d’Assises de la Marne a condamné la nuit dernière, à cinq ans de prison le nommé Cléophas Jennequin, domestique de culture à Coupéville ; à vingt ans de travaux forcés, le nommé Henri Sourd, charpentier à Coupéville ; à trois ans de prison, les nommés André Michel et Georges Wanneçon, cultivateurs à Moivre, accusés d’incendies volontaires et de complicité dans le courant 1906.
Jennequin, àl’instruction de Sourd, avait incendié les immeubles de nombreux propriétaires de Fresne et de Moivre. Sur les conseils de Sourd également, Michel et Wanneçon avaient fait incendier par Jennequin leur ferme et leur maison.
Sourd, agissait par intérêt en faisant incendier les villages : car il était choisi comme expert des incendies et en qualité d’entrepreneur, il reconstruisait les maisons sinistrées. Il était également poussé à ces crimes par sa maîtresse, la mère de Jennequin, paysanne envieuse qui avait voué aux riches une haine féroce et qui incitait son fils à brûler toutes les grosses entreprises agricoles de la région. Inculpée dans cette affaire, la femme Jennequin s’est suicidée dans sa prison au cours de l’instruction".
Pourquoi revenir sur de fait ancien et qui de plus s’est déroulé dans des villages éloignés de Sainte-Ménehould ? Henry, Anatole Sourd était né le 28 juin 1865 à Herpont (village situé entre Ste-Menou et Châlons-en-Champagne). Il était marié à
Marie Eléonore Collard et avait deux enfants, une fille et un garçon au moment du drame. Cet homme est l’arrière-grand-père de Mme Josette Labare, qui habite avec son mari à Givry-en-Argonne et qui, de nombreuses années, a secondé son mari dans son commerce. De plus les documents que j’ai pu consulter, m’ont été prêtés par M. Robert Saint-Juvin, d’Herpont. Son arrière-grand-père, orphelin à neuf ans, a été élevé par Henry Sourd, d’où son intérêt pour cet homme.
Henry Sourd est donc parti au bagne en 1908 à Saint-Laurent du Maroni en Guyane où il a passé deux années très dures comme on peut imaginer la vie d’un bagnard. Puis son régime s’est adouci. C’est au bagne qu’il a appris le décès de son fils mort au combat. Voilà ci-contre quelques extraits d’une lettre d’Henri Sourd lors de son séjour au bagne que m’a confiée Robert Saint-Juvin.
J’ai rencontré Mme Labare qui a peu de souvenirs car on ne parlait pas de cette affaire dans la famille. Sa femme n’a jamais voulu aller le rejoindre, elle brûlait ses lettres et faisait disparaître les cadeaux qu’il envoyait.
Il est rentré après avoir purgé sa peine. Le frère de Josette Labare, plus âgé, se souvient de son retour. Il portait un beau costume blanc et avait une canne au pommeau d’ivoire. Mais malade, il est décédé peu de temps après. Mme Labare a encore un transat qu’il avait confectionné en bois de boc (il existe en Guyane une grande diversité de bois précieux, le boco est un des bois les plus denses du monde ; on l’appelle le fer de Guyane). Elle s’est rendue à Saint-Laurent du Maroni il y a quelques années. Elle espérait retrouver des traces de sa vie là-bas. Mais ses recherches ont été infructueuses. Sans doute trop de temps avait passé.
Je suis allée aux archives départementales de la Marne et j’ai trouvé dans le journal « L’Union républicaine de la Marne » du 17 mai 1908 le compte rendu de l’audience.
Dans son réquisitoire, le procureur de la République décrit Sourd sous un mauvais jour. « Il exerçait dans le pays une influence néfaste. Il était capable de tout sauf du bien. En 1887 il a été déclaré en faillite. C’est un jaloux, un envieux. Il lui faut de l’argent à tout prix. C’est un orateur de cabaret. En quelques mois, six incendies épouvantèrent la région. Les gens ne dormaient plus. »
Il dépeint la veuve Jennequin comme une femme qui ressent une haine profonde des riches mais incapable de monter toute cette histoire seule. Son fils est dépeint comme un être faible sous l’influence de sa mère et de Sourd.
C’est Me Wassart qui a la lourde charge de défendre Henri Sourd. Dans sa plaidoirie, il insiste sur le fait que les preuves sont insuffisantes pour le condamner.
Arrive l’heure du verdict. L’attente est longue. Quand le jury revient un lourd silence règne dans la salle archibondée. La cour condamne Jennequin à cinq ans de prison, Sourd à vingt ans de travaux forcés, Michel et Wanneçon à trois ans de prison. Quand Sourd entendit la terrible sentence, il chancela. Il passa sa main sur sa figure et murmura : « Ah ! je ne m’attendais pas à cela ».
Qui était le vrai Henri Sourd ? L’homme digne, sérieux, qui a toute la confiance de ses employeurs ou l’homme cupide décrit par le procureur de la République ?
D’autres Argonnais ont-ils été condamnés au bagne ? J’ai découvert un article de Serge Bonnet dans le n°26 « d’Horizons d’Argonne » intitulé : « Les Communards argonnais devant les conseils de guerre et au bagne ». La « Commune », du 26 mars 1871 jusqu’à la semaine sanglante du 21 au 28 mai, désigne une période révolutionnaire à Paris. Cette insurrection s’oppose au gouvernement d’Adolphe Thiers, établit une organisation ouvrière et se présente comme un contre-gouvernement. La Commune fut rapidement réprimée, mais des conseils de guerre, de 1871 à 1874, jugèrent les communards arrêtés.
Je cite Serge Bonnet : « Trente-trois communards argonnais ont été condamnés : parmi ces hommes nés dans la région de Sainte-Ménehould Nicolas-Adolphe Bisteur, né en 1829 à Ste-Ménehould, condamné à dix ans de travaux forcés et 200F d’amende, le reste de sa peine lui fut remis le 15 janvier 1879 et il rentra par »Le Picardie« ; Charles Chémery, né en 1839 à Vienne-le-Château. Commissaire e police sous la Commune, condamné à vingt ans de travaux forcés et 500F d’amende, le 4ème Conseil, le 24 juillet 1873, ramena sa peine à cinq ans de prison ; Nicolas-Théodore Clauses, né en 1826 à Elise, condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée et amnistié en 1879 ; Joseph-Emile Gerny, né en 1838 à Sainte-Ménehould, condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée, il obtint une remise de peine en 1879 ; Etienne-Pierre Kolsch, né en 1835 à Dommartin, condamné à la déportation simple, il obtint la remise de sa peine en 1879 et rentra par »La Vire« ; Louis-Benoît, dit Eugène, Legendre
, né en 1833 aux Islettes, condamné à trois ans de prison et à cinq ans de surveillance ; Louis-Etienne-Adolphe Martin, né à Verrières en 1849, condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée et à la dégradation militaire. Sa peine fut commuée en déportation simple, puis remise en 1879, il rentra par »Le Calvados« ; Pierre-Alexandre Matot, né en 1827 à Vienne-la-Ville, condamné à la déportation simple, amnistié, il rentra par »La Vire" ; Louis Thiébault, né en 1831 à Sainte-Ménehould, condamné à un an de prison et cinq ans de surveillance. Serge Bonnet ajoute que la plupart de ces communards venaient de villages incapables d’offrir du travail ou un toit aux plus pauvres. La misère sociale et la déception patriotique ont amené ces hommes à faire le coup de feu.
Dans la revue « Champagne généalogie », dans un article intitulé « Quelques bagnards champenois », j’ai trouvé un dénommé Jean Gobillon, 17 ans, garçon sans métier, né à Ste-Menehout (Châlons-en-Champagne), fils de feu Louis et Marie Banville, Gal, condamné à vie à Sézanne en champagne par jugement prévôtal du 15-09-1742 pour vol de tronc en église. Evadé de l’atelier de la nature le 26-09-1749. Les argousins ont été déchargés de l’amende pour l’évasion de ce forçat par lettre du ministre en date du 17-12-1749.
Les bagnards, arrivés par bateau, étaient dirigés vers différents camps : Cayenne, Saint-Jean du Maroni, les îles du Salut ou restaient à Saint-Laurent. Plus de 70 000 hommes et 1000 femmes ont débarqué dans ce lieu inhospitalier et y ont vécu dans des conditions très difficiles. Ils étaient répartis en trois catégories : Les transportés qui avaient été condamnés pour accomplir des travaux forcés suite à un acte grave. Ils étaient les plus nombreux. Selon le principe du doublage, les transportés libérés avaient l’obligation de résider dans la colonie autant de temps qu’ils y avaient été incorporés ! Les déportés. Peu nombreux, ils n’avaient pas de contact avec les autres. Le plus célèbre déporté politique est Dreyfus. Les relégués qui n’aveint pas commis de fautes graves.
Sur Internet, on peut trouver de nombreux documents sur le bagne. Créé en 1854 par Napoléon III, il a été supprimé en 1938, mais les derniers bagnards ne sont rentrés en métropole qu’en 1953. C’est à Aix-en-Provence, au centre des archives nationales, section « Outre-Mer » qu’est conservée la majeure partie des 100 000 dossiers de bagnards envoyés à Cayenne ou en Nouvelle-Calédonie.
Nicole Gérardot
Merci à Josette Labare et à Robert Saint-Juvin pour leur collaboration et leurs documents.