Le jour de l’inauguration du monument aux morts,
pendant la messe célébrée à l’église du Château,
l’abbé Prieur prononça une allocution à la gloire
des poilus morts au combat. Un discours entre
devoir envers la patrie et ferveur religieuse.
On avait chanté pendant l’office, on avait écouté, debout, dans un profond silence et les larmes aux yeux, la liste glorieuse des morts, avant d’entonner le « De Profondis » pour le repos de l’âme des 141 héros.
Puis l’abbé Prieur prit la parole ; par sa voix chaude et persuasive, écrira la journaliste, l’orateur a vite conquis son vaste auditoire qui ne laissa pas échapper une seule de ses paroles.
L’abbé Prieur commença par parler de travail :
« Labeur aussi humble qu’écrasant, labeur de tous les instants et dont le plus souvent n’apparaissait pas l’utilité immédiate. Ils ont peiné les jeunes et ceux de l’âge mûr, qui, en première ligne, dans la continuelle attente de quelque sanglante aventure, veillaient, épuisés déjà par de longues factions, fourbus par les incessantes corvées ».
Puis l’abbé enchaînait en parlant de discipline, d’obéissance :
"Sans hésitation ni murmure nos soldats ont obéi, même quand pour eux l’ordre reçu équivalait à une sentence de mort. Un ordre ne se discute pas, il s’exécute et il s’exécute non pas vaille que vaille mais à plein cœur, en conscience.
Discipline aux grandes heures, alors qu’il s’agissait de franchir le parapet pour partir à l’attaque disciplinés pour tenir sous un bombardement d’enfer er sous les vagues empoisonnées."
Ce ne devait pas être facile de parler ainsi devant un auditoire composé d’officiels, de militaires, mais aussi et surtout de familles dont certaines avaient perdu un fils, un frère, un parent. Discipline, c’était le mot : avec le recul du temps, on pense aux mutineries, aux répressions, et même aux Noëls entre ennemis. Mais l’abbé parlait du soldat français comme « le plus beau, le plus grand des soldats du monde entier, le plus grand des soldats de l’histoire. » Et s’adressant directement aux familles qui avaient perdu un être cher, « vos morts ont été les ouvriers d’une grande œuvre, les martyrs d’une grande cause. »
L’abbé Prieur parlait encore de liberté : « Cette discipline était inspirée par cette qualité éminemment française, souverainement chrétienne qu’est la dignité personnelle, ou, si vous préférez, le sens de la liberté ; la liberté, inspiratrice des seules actions qui aient de la beauté et de la grandeur. »
Mais bien entendu, l’abbé Prieur devait parler de religion : « de leur esprit de discipline, nos soldats ont trouvé la source dans une foi profonde, le plus souvent religieuse. Pour eux tout devoir était sacré. Bien plus encore lorsqu’il s’agissait de la patrie ; or pour la patrie comme pour sa mère, rien ne rebute, rien ne coûte, rien n’est impossible. »
L’orateur devait également s’adresser aux familles qui avaient perdu un des leurs :
« Et l’une après l’autre, en vos quartiers silencieux, sous la mitraille, les funèbres nouvelles éclatèrent. De rue en rue, comme sous les pas de l’ange exterminateur, les deuils succèdent aux deuils. Les pères essayèrent de se raidir sous le coup ; femmes et mères s’abîmèrent dans leur inconsolable chagrin ; les unes anéanties, les autres plus résistantes, la plupart trouvant le courage de répéter la tragique, la sublime prière de Jésus au jardin de l’agonie Et ce fut la résignation et non la consolation. »

L’abbé Prieur demandait à ce que les morts soient honorés : « Travail, discipline, sacrifice : en ces trois mots se résume en quelque sorte la vie héroïque, la mort glorieuse de ceux dont nous voulons fixer dans le bronze l’impérissable souvenir. Les honorer, prier avec eux et pour eux, c’est notre strict devoir, c’est notre plus douce consolation. Les imiter, c’est mieux encore et plus important et plus urgent. »
Pour terminer son discours, l’abbé parlait encore du travail, mais pour ceux qui étaient là dans l’église : « Le travail, c’est la grande loi de l’homme. Essayer de s’y soustraire, c’est renoncer au plus beau titre de noblesse, c’est s’attirer la malédiction portée au figuier stérile, c’est mériter le juste châtiment du mauvais serviteur. »
En quelque sorte, la vie reprenait son cours. On était en 1922. On nettoyait les sites de guerre, on commençait à reconstruire, et le monument aux morts au milieu de la place devait toujours rappeler ces heures tragiques.
John Jussy