Cela fait cent ans. Ce fait d’armes qui s’est déroulé chez nous est passé à la postérité sous le nom de « Bataillon perdu » ou « The lost battalion ».
Le congrès des Etats-Unis vote la déclaration de guerre contre l’Allemagne le 6 avril 1917. Les premiers soldats américains débarquent début juin. Ils combattent à côté des soldats français. A l’été 1918, les Américains alignent une armée sous le commandement du général Pershing et obtiennent un secteur réservé où les doughboys (nom donné aux soldats US) s’illustrent au combat. A Bois Belleau et à Château-Thierry, ils réussissent à arrêter l’offensive allemande. L’armée américaine a deux atouts : elle a de l’argent et des moyens et surtout des hommes ce que n’ont plus ni les Français ni les Anglais.
Pour dégager Verdun et reprendre l’initiative, il faut réduire le saillant de Saint-Mihiel et faire sauter le verrou allemand de l’Argonne. Du 12 au 15 septembre 1918 a lieu la première grande offensive de l’armée américaine avec l’aide des Français. Le 14 septembre, les Américains sont à Fresnes-en-Woëvre : Les Eparges ne sont plus aux mains des allemands. Dix jours plus tard, 500.000 Américains, 100.000 Français s’engagent dans l’offensive Meuse-Argonne pour repousser l’ennemi, bien implanté en Argonne, au-delà de la Meuse. Dès le 27 septembre, les soldats US sont soumis à de terribles contre-offensives qui déciment leurs rangs. La situation est compliquée par un ravitaillement irrégulier.
Convoqué à son Q.G., le major White Whittlesey, à la tête du 308e bataillon d’infanterie composé de 463 hommes, reçoit l’ordre de prendre position au moulin de Charlevaux près de Binarville. C’est là que commence l’histoire du « bataillon perdu ».
Les soldats doivent dans un premier temps atteindre le ravin du ruisseau de Charlevaux et prendre position près de la route qui conduit vers le moulin. La conquête de la position est impérative le 2 octobre ! Whittlesey et ses hommes montent à l’assaut accompagnés par des sections de mitrailleuses. L’attaque n’est guère concluante, l’adversaire parvient à repousser les Américains. Cela confirme qu’il a renforcé ses positions et tient à conserver ce front.
Mais le général US Alexander s’obstine et ordonne un second assaut. Près de sept cents soldats s’élancent et malgré de lourdes pertes parviennent à faire une trentaine de prisonniers et à occuper un petit ravin au sud du moulin de Charlevaux. Les
Américains déploient immédiatement un système défensif en disposant leurs mitrailleuses sur les flancs de leurs positions.
Le 3 octobre, Whittlesey s’aperçoit que son unité risque d’être encerclée par l’ennemi. Le major sait alors que sa troupe risque d’être anéantie, aussi envoie-t-il un premier pigeon voyageur. La situation est jugée inquiétante même si le bataillon perdu a reçu le renfort de 150 hommes dirigés par le lieutenant Holdermann. Il est impossible d’évacuer les blessés, le manque des nourriture et d’eau se fait sentir et le stock de munitions diminue.
Whittlesey lâche un deuxième pigeon voyageur et explique une conjoncture dégradée. Dans l’après-midi du 4, l’étau se resserre et les Allemands lancent une violente attaque contre la poche américaine mais les Doughboys conservent tous leurs points d’appuis au prix de grands sacrifices.
Le major expédie son dernier pigeon pour réclamer qu’on rallonge les tirs qui commencent à s’abattre sur ses propres sections. Le 5 à l’aube, des avions US cherchent le bataillon perdu mais le relief accidenté et la végétation ne facilitent pas la tâche. Le 6, des appareils de la 50e US larguent, pour la première fois de l’histoire, des colis depuis les airs. L’expédition se révélera vaine. En fin de journée, les munitions sont épuisées.
Le 7, les Allemands essaient d’obtenir la reddition des Américains en forçant l’un de leurs prisonniers à jouer le rôle de médiateur : cela dans le but d’obtenir la reddition du groupe tout entier. Whittlesey ne donne pas suite. La légende dit qu’il aurait répondu : « Allez au diable ! Si vous nous voulez, venez nous chercher. »
L’étau se desserre et la défense ennemie faiblit. Des agents de liaison peuvent à nouveau passer et les survivants du bataillon réussissent à se dégager lors d’une contre-attaque. Le 7 octobre 1918, 194 hommes sortent vivants ou blessés de la fournaise.
Voilà l’histoire du « Bataillon perdu ». Le 12 octobre, les Français et les Américains s’emparent de Vouziers. Du 4 au 20,
les Américains s’enfoncent dans la forêt d’Argonne en chassent l’occupant après de redoutables combats au corps à corps, puis continuent leur progression jusqu’à l’armistice. L’offensive Meuse-Argonne fut la dernière attaque de la première guerre mondiale. Ce fut également la plus grande opération et la plus grande victoire de « l’Américan Expéditionary Force (AEF) ».
Le commandant Whittlesey sera nommé lieutenant-colonel et recevra la médaille d’honneur du congrès, récompense la plus élevée remise aux soldats américains.
Sur la route Binarville-Apremont, une borne marque l’endroit où s’est déroulé cet évènement et un monument a été construit à la mémoire de ces soldats. Les nombreux cimetières militaires de la région témoignent de l’âpreté des combats. Un film a été tourné sur ce haut fait de guerre.
En novembre 2006, dans notre revue, Joël Alipicq avait écrit un article sur le commandant Whittlesey. A côté du monument érigé en hommage à ces soldats, un panneau explique toute l’histoire du « bataillon perdu ». Dans le document « Guerre 14-18, d’une bataille de la Marne à l’autre » qui vient de paraître, Hervé Chabaud a écrit un chapitre intitulé « Les Américains en Argonne ».
Nicole Gérardot