Que pouvait-on faire pendant les grandes soirées d’hiver quand la télé n’existait pas ? C’est pour beaucoup une interrogation.
Les gens à l’époque se réunissaient pour ce qu’on appelait « la veillée ». Ils parlaient au coin du feu car beaucoup avaient un feu à l’âtre. Ils se racontaient des histoires, ils s’amusaient, ils jouaient.
Un vieux livre retrouvé nous raconte cette époque : « Veillées lorraines », un ouvrage de Georges Lionnais présentant contes, coutumes et chroniques et qui a été écrit en 1931. Nous avons choisi, pour rendre hommage à l’auteur, de vous présenter deux de ces jeux : le « Jeu de la souricette » et le « Jeu du charbon ».
« J’te vends ma souricette ! »
Un jeu que nous aimions moult à la veillée, c’était « J’te vends ma souricette ! » Le Fanfan Brion, chez qui nous étions réunis, prenait une grande allumette en tilleul, dans le trou aux cendres, à côté de la gueule du four, à droite de la cheminée. Nous savions c’que ça voulait dire !...
Aussitôt, on s’installait autour de la plaque, devant l’âtre à feu. Le père Fanfan présentait le soufre à la flamme ; et, quand le bois commençait à brûler, il soufflait un coup sec dessus : le bout en restait rouge Alorsse, il offrait l’allumette à sa voisine, la Catherine Raulin, en disant comme ça :
- J’te vends ma souricette !
- Est-elle vive ? demandait la Catherine
- Toute vivelette !
Ainsi de suite ! L’allumette passait de main en main, jusqu’à ce qu’elle soit éteinte tout à fait. Celui ou celle qui la tenait à ce moment-là avait un « gage ».
Au début du jeu, on ne se pressait pas d’trop ; mais quand le point rouge mourait, on se hâtait de dire, sans s’arrêter
- J’te-vends-ma-souricette !
Le voisin ou la voisine, espérant qu’elle mourrait avant d’la revoir, mettait un bon moment pour demander :
- Est elle vive ?...
- Tout’viv’lette !... et on se débarrassait en même temps.
J’ai encore bonne souvenance qu’une fois, l’Adèle Louis a été obligée, comme gage, d’aller embrasser le grand-père Jacques qui dormait « en soufflant les pois », dans le grand lit de plume, au fond de l’alcôve : mais ça ne lui souriait guère, allez ! Elle aurait mieux aimé qu’on lui donne à embrasser l’Totor Halbin, son cher bon ami, qui était aussi à la veillée !...
De colère elle est repartie, en claquant l’huis !...
- J’te vends ma souricette.
- Est-elle vive ?
- Toute vivelette !...

« Le jeu du charbon »
C’est le parent Zavier Bégé qui, lorsque nous étions jeunes, nous enseigna, à la veillée, le jeu du charbon.
Je vais, en deux mots, vous conter comment nous nous y prenions.
Le père Zavier, qui aimait moult l’amusement, allez !, faisait asseoir en rond tous les veilleurs et veilleuses, au beau mitan d’la grande cuisine. Moi, qui vais un p’tit faible pour le Caporal, je manœuvrais toujours de façon à être son voisin.
Quand son monde était placé, notre hôte, pincettes en main, choisissait dans l’âtre, où flambait un gros feu d’étots bien secs, une belle braise, toute rouge, qu’il fixait entre les deux branches d’une épingle à cheveux. A l’aide d’un fil, ladite braise était suspendue à une poutre du plafond, de telle sorte qu’elle arrive juste au milieu de notre cercle, à hauteur des figures.
Et allez-y !...
La Babette Marguilla, une rude enragée ! voulait toujours souffler la première de nous tous. Elle gonflait ses bonnes grosses joues aux pommettes écarlates et vous envoyait carrément le charbon au nez du pauvre Colas Richard, qui avait juste le temps de souffler à son tour, pour n’être pas brûlé !
Puis c’était encore la bougre d’Céline Japin, qui lançait la braise vers le visage du François Vignot, son galant. Mais, comme le François était un fort gaillard, bien corporé, il ripostait aussitôt avec force et le charbon revenait menacer le nez de la Céline !
Vous pensez bien que les rires n’en finissaient plus, surtout quand les figures « sentaient le chaud » de trop près
Cela durait souvent une heure !
Le Zavier renouvelait la braise chaque fois qu’il le fallait. Certains veilleux, méfiants, pour ne pas être pris, gardaient toujours leurs joues gonflées ! D’autres faisaient toutes sortes de grimaces ou contorsions, afin de repousser le charbon qu’on leur envoyait.
Je vous assure que nous passions un moment tout plein agréable, quand nous jouions au plaisant jeu du charbon qu’on pratiquait, jadis, dans les grands veilloirs de l’Argonne.
Adaptation Christine Francart
