Le meunier de la commune, Jules Noël, n’a pas quitté Givry à l’arrivée des Allemands et connaît les premiers malheurs de la guerre. Il raconte cette période difficile dans des feuillets écrits à la main.
Saluons le courage de Jules Noël qui chaque jour, malgré les dangers permanents, écrivait. Il est évident que sa préoccupation n’était pas de faire de belles phrases ; elles sont courtes et sont peut-être un signe d’anxiété. Nous avons retranscrit une partie des textes intégralement.
Chaque jour des Allemands entrent chez lui et demandent de l’avoine pour les chevaux, du bois ou encore de la nourriture ; des fournitures qu’ils payent, parfois avec des bons de réquisition.
Dimanche 6 septembre.
Vers 9 heures (du matin) les émigrés arrivent de Sommeilles racontent que le village est en feu et que le maire a été fusillé sous prétexte que les soldats français cachés à l’entrée du village avaient tiré sur les Allemands.
Etait-ce de sa faute ? Le canon tonne toujours de plus belle. Cette fois les Allemands doivent avancer car le bruit est plus fort.

Voilà deux hommes, deux ennemis, qui subissent, sont dans la guerre et regrettent le pourquoi des conflits.
Comme je n’avais pas d’avoine, il me demande où il en trouverait bien, je lui indique la maison du beau-frère. Comme il me demande s’il est chez lui, je lui réponds qu’il est à Verdun. « Ah, il me dit, il pourrait bien être fait prisonnier. »
Il part à la recherche de son avoine et ayant trouvé son officier, il revient chez moi avec une demande 70 pour le loger et me donne un bon de réquisition.
Vers le soir, le pays est tranquille, au moins la rue du moulin, on entend toujours le canon et jusqu’à la nuit. Le bruit à l’air de venir de 2 directions, Verdun et Bar-le-Duc. Des ambulances passent devant le moulin, se dirigeant vers le théâtre de la bataille.
A 7 heures, 2 soldats viennent encore chercher de l’avoine. Ils ont aussi peur que nous car l’un d’entre eux à son mousqueton. Pour la nuit, tranquille, mais quel isolement.

Lundi 7 septembre.
Journée tranquille. Passage de canons sur la route de Vitry. Diné chez les Appert. Aubert arrache les pommes de terre. Je ramasse les fruits tombés. Mais je suis en retard pour les cornichons, je les laisse grossir.
Je soigne les volailles consciencieusement. Toutes se portent bien. Aubert soigne les lapins. Surtout une nichée de petits lapins qui s’étaient évadés et je ne reconnais pas leur mère. Pas un canard ne manque. Nuit tranquille.
Mardi 8 septembre.
Aubert va à l’herbe comme tous les matins, puis rentre avec la charrette les quelques gerbes de blé qui restent sur l’étang [1] . Je n’ose pas aller diner chez M. Appert car s’il venait des Allemands en mon absence, ils briseraient les portes et pilleraient. Il est vrai qu’il y a (?) à Givry, surtout dans la journée et dans notre quartier.
Mais comme je n’ai pas préparé à diner, j’envoie Julien me chercher mon panier et je déjeune aussi bien, pas plus tristement. Je vais néanmoins prendre le café.
Et pourtant la vie continue dans le village : les pommes de terre, les fruits, les lapins, les poules et les canards, les animaux dans les champs, et même les cornichons et le moulin qui tourne pour alimenter le boulanger en farine.
L’après-midi Hubert achève d’arracher les pommes de terre du jardin. Quelques personnes de Givry et Remicourt sont venues au moulin. J’envoie Aubert voir si mes petites bêtes sont toujours au parc à Profodon. Papa vient passer une paire d’heures l’après-midi avec moi pour me distraire. Il n’y a plus rien au parc, qu’un cheval mort et un autre qui pâture. Les fils de ronces ont été coupés et les bêtes sont parties.
Le soir de longs convois passent, allant de Sommeilles sur Saint-Mard.
Jeudi 10 septembre.
Trois soldats allemands viennent me demander du pain. Aubert vient de m’en apporter, je leur en donne à chacun un morceau. C’est la première miche que j’achète depuis que je suis seul. On entend toujours le canon de temps en temps dans la même direction.
Quelle longue bataille !
Je fais tourner le moulin cet après-midi pour la première fois. La commune de Dommartin m’amène 6 sacs de blé pour avoir de la farine. Je conduits 20 sacs de farine au boulanger. Le canal est rempli d’herbe, je le nettoie un peu.
Vendredi 11 septembre.
Je vends presque tout le lait du matin. Il m’en reste juste pour ma soupe du matin. Je bats le beurre et en envoie moitié à M. Appert.
2 voitures d’Allemands viennent chercher du bois. Si j’avais su cela je ne l’aurais pas fait rentrer. Une dizaine d’allemands passent avec une voiture et se logent à la grange. Ils me demandent des œufs et du beurre qu’ils paient.
Passe ensuite 2 voitures de blessés allemands. 2 soldats se détachent et me demandent du vin pour les blessés. Je leur en donne 2 bouteilles et ils vident mon sucrier que je venais de remplir. Ils me font boire du vin pour être sûrs qu’il n’est pas empoisonné.
Le temps est à la pluie. Aubert fait. Pour lier les féverolles si on les fauchait. Il passe encore environ 40 blessés peu grièvement à pied et 2 officiers blessés en voiture. Vers 2 heures il arrive 6 soldats avec une voiture qui s’installe à la grange. Ils viennent demander à faire leur popote à la maison, des pommes de terre que je leur fournis et des petits pois en conserve qu’ils sont allés chercher je ne sais où. Ils n’ont pas voulu manger à la maison et sont allés manger à la grange.
A la nuit, il arrive des conducteurs de chevaux avec 15 ou 20 chevaux qui couchent à la grange. Il pleut à verse. Il fait nuit comme dans un four. Je crois que les Allemands ont aussi peur que moi. Ils rentrent à deux dans l’écurie et poussent le verrou. Ce soir le canon reprend de plus belle.
Pourtant, si le meunier ne semble pas avoir peur, il arrive que la situation devienne dangereuse avec des soldats ennemis qui pillent, malgré l’interdiction d’un officier. Une occupation allemande bizarre, avec des soldats qui vont et qui viennent, sans sembler obéir à des chefs des soldats qui avaient un impératif : trouver à manger.
Samedi 12 septembre.
A peine ai-je terminé mon repas, les artilleurs arrivent avec leurs chevaux. Quel branle-bas ! Il pleut depuis le matin. Il faut déranger toutes les voitures pour loger leurs chevaux. Je leur fais du feu pour se sécher. Je leur fais à manger. Ils ont l’air de mourir de faim.
Les chevaux sont installés, ils rentrent dans la salle à manger. Je leur dis d’abord que je n’ai pas de pain. Je leur donne des œufs, du lard, du saindoux, des pommes de terre, des oignons et à partir de ce moment jusqu’à 7 heures du soir, 4 par 4, ils sont venus à tour de rôle faire leur fricassée et leur café. Je n’étais plus le maître. Il y avait heureusement un jeune élève officier avec eux qui parlait français et qui avait sur eux un peu d’autorité. Il m’a demandé une chambre, je la lui ai montrée. Il est resté là à peu près la journée et m’a rendu service. Il n’a pas pu cependant empêcher ma cave d’être pillée. Je les avais aperçus du fond du jardin et je m’en doutais. Quand je suis arrivé, ils sortaient 6 ou 7 bouteilles.
J’ai laissé les portes ouvertes afin qu’ils s’amusent bien qu’il n’y avait plus rien. Je suis allé le raconter à un jeune officier qui n’a rien pu y faire. Quelle journée !
Le soir, un boucher vient me demander un bœuf. Je lui montre mes vaches. Il n’en veut pas. Il se décide de prendre un cochon qu’il saigne et dépouille puis à la nuit noire, il vient me chercher pour aller chercher un bon de réquisition chez M. Brouillon. J’ai parlé pendant ce temps à l’élève officier de garder la maison.

A suivre dans un prochain numéro : Les Allemands quittent Givry.