Dans les deux livres « Etudes Marnaises », publiés par la Société d’agriculture, commerce, sciences et art du département de la Marne (SACSAM), un chapitre est consacré aux loups. Cette étude, présentée comme
l’une des plus complètes au niveau national, couvre les années du XIVe au XXe siècle. Dans son livre « L’Argonne, un regard saisissant », illustré de magnifiques photos, Rick Desmet consacre, lui aussi, un chapitre aux loups.
Ils étaient très présents dans notre région. Ce qui n’est pas étonnant vu les étendues de forêts, le grand nombre de sangliers en Argonne et dans l’est de la France. Je n’emprunterai que quelques chiffres au livre « Etudes Marnaises ».
Entre 1764 et 1905, dans le canton de Sainte-Ménehould, 578 loups ont été tués, dans celui de Ville-sur-Tourbe 432 et dans celui de Dommartin-sur-Yèvre 285. Communes où le plus grand nombre de destructions de loups a été déclaré : Sainte-Ménehould : 206 ; Ville-sur-Tourbe : 60 ; Verrières : 83 ; Vienne-la-Ville : 81 ; Sivry-sur-Ante : 69 ; Villers-en-Argonne : 61. Années où les derniers loups ont été tués : canton de Ville-sur-Tourne : 1877 ; canton de Sainte-Ménehould : 1901 ; canton de Dommartin-sur-Yèvre : 1905.
Le loup est présent dans la littérature et le folklore : il apparaît comme un symbole essentiellement négatif, représentant le mal comme un animal pas très malin se faisant toujours berner par le renard. J’ai recherché sa présence dans le folklore argonnais.
La gaille et ses gaillots. (Patois du Val de Biesme et de la région de Vienne-le-Château).
Une gaille, en patois, c’est une chèvre, et ses gaillots, se sont ses chevreaux.
Y ava n’fois n’mère gaill’ qui ava cinq piots gaillots. C’éta n’belle gaille qui éta blanche comm’ la neige. Elle ava des patte’ qu’elle n’éta jamais hodée (fatiguée). Elle n’ava peûr ni des lô (loups), ni des sanguiers.
Un biau jôr, i fala qu’elle allie bié loin don village pou chercher d’l’herbe. Elle ava vu un lô qui traîna aux alentours. Elle n’éta’m’ trop à sou sûr d’laissie ses piots gaillots. "Mèz’afants, faisèbièattention, n’ouvrez à persoune, gni in lô tout-là et quand i m’woiri parti, i vouri entré et v’pouvèiète sûrs qu’i v’mang’ri. “ Ah ! maman, j’tireran l’verrou, il ari biau clichi la porte, i s’r’ri r’foutu !
- Et pis à ceux qui vanront toqué (frapper) à la porte, v’ dire : « montré patte blanche. Mi, quand ju ranturrâ v’ dire : montré patte blanche ».
L’lô qu’éta à la guette s’dépêche d’arrivé.
Toc, toc, à la porte.
- "Qui qu’c’est ?
- C’est mi, vout’ mère gaille ;
- Montré patte blanche, qui disont les piots gaillots."
V’la l’lô bié embêté Mais v’la qui luivié eune idée. "J’m’a va allé au moulin et j’t’remp’ra ma patte da la farine.3 Qu’i dit, qu’i fait. Sa patte un peu urblanchi, lu v’la qui r’veni.
Mais penant c’temps-la, la boune mère gaille éta r’venue. Elle monture patte blanche et sé piots gaillots li ouvrison et il dison :
"- Maman, maman, l’lô i v’nu, j’li avan dit montré patte blanche. On n’ame ouvert.
- Mau biè, mèz’afants, mais i va ruv’ni.
Dépèche-ve nous allons faire eune’boune fouée (flambée)."
</span Eune miette aprè : toc, toc.
« - Montré patte blanche ! »
</spanLe lô monture sa patte blanchie avo la farine.
- Ah ! maman, qui dison les piots gaillots, coume si j’r’connaissin la patt’ de leu mère, j’avan perdu la clé et je n’pouvan v’ouvri ; tachèdon passé pa’ la chumneïe."
L’lô, qui n’aram’trouvé ça tout seul, monte su’l’toit a faisan dégringolèdètieules, mais a s’urlichan d’avance lèbabin’ a pensan à la boune viande dèpiots gaillots. I s’faufile da l’bûnau. L’v’la qui choit de la chumneïe a raclan la sûe. La fumée li brouille lèz’yeux. La blamme grilla lèpoils don lô qui hurla coume un perdu.
Bièroussi et tout grillan coume un boudin, il choit da la chaudière. I veut s’raveindre, mais la mère gaille li toqua su’l’gron à gran coup d’vayin (pelle à feu), si bièqu’noyi da la chaudière.
Quan i fut bièmourt, la gaille et les gaillots l’avon traîné pa’ lèpatt’ et la queue su’l’fié (le fumier) au bou don jardin et l’y avon enterré.
Et c’est bièpou lû, i n’ava’ me qu’à iête si malin et qu’à laissie lègaillots tranquille.
Autre texte, en français cette fois, publié dans « Horizons d’Argonne » dans le numéro 63 et signé "Marie d’Argonne : Les loups.
C’était il y a bien longtemps. Peut-être en cette calamiteuse année 1847. Le père François exploite une coupe dans la gorge des Murissons. Il est bien triste. Le cochon engraissé avec tant de peine est mort, la récolte de pommes de terre n’a rien donné, le pommier ne porte même pas un fruit. Que mangerons ses petits cet hiver ! Pas de lard, le pain est cher
. Il faudra travailler dur pour nourrir toute la maisonnée.
Ce qui accable le plus le père François, c’est de savoir son garçon malade. Depuis les premiers brouillards, il tousse, il grelotte de fièvre. Il faudrait au gamin une solide nourriture, une bouteille de sirop que l’on achète à Bar-le-Duc ou à Sainte-Ménehould et une bonne couverture de laine. Mais où trouver l’argent ?
Un soir le père François revient vers sa cabane ; d’épais flocons de neige tombent lentement depuis des heures. Devant lui une forme sombre avance doucement, hésite, repart. Le père François comme malgré lui, suit cet animal inquiétant. Tout à coup, à ses pieds, une boule noire remue sur la neige fraîche. L’homme saisit cette petite chose toute chaude et la glisse dans une poche pendant que là-bas, deux yeux brillent, menaçants. Dix pas plus loin, même paquet de poils sombres ; puis encore ; et encore. Quatre fois, le père François se baisse, ramasse un petit loup naissant. Le cinquième, la grande louve le prend dans sa gueule et disparaît.
Le père François sait que la bête reviendra, son odorat puissant lui indiquera leur trace et lui, l’homme, risque sa vie si la grande louve le retrouve. Il sait aussi que les quatre louveteaux tout chauds contre sa cuisse, se changeront en or en sirop en couverture pour son fils, s’il les livre vivants à la mairie de Bar-le-Duc. Et il court, court dans la neige et dans le froid le cœur gonflé d’espoir.
A bout de souffle, le père François rentre dans sa cabane. Il pose sur la table les quatre petits loups. Il ne faut pas perdre de temps, la louve va revenir sur les pas de l’homme.
On rentre le cochon et les poules, la porte est solidement barricadée et l’attente commence. La louve est là, bientôt rejointe par le loup qui tourne sans arrêt autour de la cabane.
Avec calme, le père François a décroché son fusil, deux coups de hache dans la porte, juste de quoi passer le canon de l’arme et y coller son œil. Dehors la lune brille, elle éclaire les deux grands loups qui cherchent à entrer. Le père François vise, tire, une bête s’abat sur le sol. Un autre coup part, c’est le silence.
A l’aube, heureux et fier, le père François part avec son fils aîné. Les deux grands loups sont attachés par les pattes sur de solides perches. Les louveteaux, bien vivants, dorment dans la hotte.
Dès l’entrée de Bar-le-Duc, les passants admirent la prise des deux hommes. Entourés d’une foule nombreuse, ils font une entrée triomphale à la mairie. On félicite le père François.
Les louveteaux iront dans un zoo à Paris et les deux grands loups seront empaillés et gardés au musée. Le père François reçoit une bourse pleine d’or qu’il a bien méritée.
Les chasseurs recevaient en effet une prime pour chaque prise. C’étaient eux qui détruisaient le plus de loups. Mais il y avait aussi des piégeurs. Ils creusaient une fosse : la fosse à loups ou louvière. Il s’agissait d’un trou conique de quatre mètres de profondeur environ. Le tout était recouvert avec au-dessus une oie ou un canard qui servait d’appât. (Argonne, Rick Smet). Quant aux louveteaux, il fallait d’abord les repérer, éloigner la mère avant de les capturer. Ces prises avaient lieu souvent au mois de juin quand les petits commençaient à sortir de la tanière. C’étaient souvent les femmes qui pratiquaient ainsi (études Marnaises).
Deux histoires de loup et de renard (Le loup se fait berner par le renard).
Un jour, qu’ul law (on écrit aussi : lu law pour le loup) et lu r’nârd s’promoinaient asanne (ensemble), il’avon anntrèda n’ferme d’owest
“ ce quu lègens n’étii’ m’toutla et i s’avon maingii coum’ dègoulus. Lu R’natd qui fouillée tout partout, i vu ein grou pot d’bûre (beurre).
- Purnan lu avo nous, qu’idit tout de suite au law, quand j’aran faim, j’s’ran bii aise de l’awoi.
- Ju n’digère mie bii dit lu r’nard, in pau après, si j’allii à la proum’nâde ?
- Coume tu vourée, i répondu l’law.
V’là qui voient un tâ d’lapins da n’baraque.
- Quée nichée, qu’dit lu r’nard La quif’rait bii avo nou’bûre ! Quée fricot ! C’est bii tombèqu’i gni in Chii (un chien) conte la baraque. N’faisons point don tumulte, restan toulà a arrètant qu’ul chii s’analie.
- Ju l’vu bii, dit l’law.
Au d’bout d’in mouma lu r’nrd dit : - Mon Diu, j’a oublié qu’j’étoue parrain anue (aujourd’hui), j’m’y a’va bii vite, ju n’s’ra’me parti longtemps.
Lu r’nard s’i anallèau pot d’bûre et j’t’urliche et j’t’urliche Pouü i r’vuni près du law.
-Tu r’v’la déjà ?
- Ma fi oui, j’n’â’me voulu t’ laissii seul, i faison la baptizade sans mi.
In quart d’heure aprè, lu r’nard s’i min à dire :
- I faut que quu j’tu disie..Gn’ani qui dumanndon pou iêt’ parrain d’leu gamin.
- Ca n’s’urfuse mi, dit l’law. Va-t’a z’y don ; j’ t’arrêt’ra toulà.
Et l’malin r’nard i rachuvvèl’ pot d’bûre.
Lu v’là r’venu. L’chii étée toujou à son poste.
- L’chii n’s’ava’me et j’meurs du faim, dit lu r’nard ; si j’allii woir au pot d’bûr.
- Oui, dit lu law.
Mais l’pot èté vide...J’aroue voulu quu v’woyiiss la tête don law !
- C’est bii d’ta faute ! qu’lu r’nard li dit, t’ée voulu restètoulà , lèvoleu avon profiè, nome.
I n’en’ avon seulma point laissii. Crèt’quu j’ m’a va restèavo ti. Nenni !
Et lu r’nard s’i anallé.
Aussi, l’law n’i’me busoin d’froyi avo lu r’nard. Il est bii trop bête pou c’la !
Un’aut’ fois lu r’nard s’anallée da n’cave d’owest-ce qu’i gn’avée don lait et don maton (lait caillé) da dègrands pots. L’law i voulu v’ni avo lû. V’là qui visiton les pots. Lu r’nard i bu don lait et dè boun’ lampées ! L’law aimée meuïe agoulè(avaler) don maton.
Quan lu r’nard i iu fini, il i sautètout d’suite pa l’soupirau, a disan au law : dépèche-tu goulu, j’ata don brû (du bruit). Et l’law agoulèe toujou. Lu r’nard i rawinè(murmurait) si fourt qu’ul law i tout d’même quittè, mais gn’avée pu moyen d’sorti : sou vannte étée coume un tonneau, tell’ma qu’il avée maingii don maton.
On i v’nu woir à la cave. Lu r’nard s’i anallè bii vite, mais l’law qui n’pouvait rapassi pa l’soupirau, i r’çu n’ tougnie (volée de coups) qu’il an i moru et qu’sou vannte an’i cruvè.
D’après MM.G.Chenet du Claon et E. Gerfaux de Moiremont (contes rustiques et folklore d’Argonne) (A suivre) Nicole Gérardot