Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Augustin Tollitte

Soldat de la République, grognard de l’Empereur

   par Raoul TOLLITTE



On les appelait « les grognards » les fidèles soldats de Napoléon Ier qui partirent à la conquête e l’Europe. Ils venaient de toute la France. Augustin Tollitte était des Charmontois.
Raoul Tollitte, maître d’école, raconte ici les 17 ans de service de son arrière grand-oncle. Le livret est paru en 1983, édité par le C.D.D.P de la Marne.


1789 : qui aurait pu prévoir que cette année allait devenir historique et bouleverser le destin de tant de gens de par le monde et tout spécialement celui d’Augustin Tollitte de Charmontois.
Il faut savoir qu’Augustin était l’un des trois enfants de Jean-François Tollitte, laboureur à Charmontois-l’Abbé, qui payait six pintes de sel en 1749, devait les novalles, sorte de location-vente pour les terres qu’il défrichait, donnait sa dîme et moult impôts de toutes natures au Roi, à l’abbaye de Beaulieu, au seigneur de Belval en un mot, travaillait pour le Roi de Prusse comme on disait en pays d’Argonne.





Augustin, né en 1775, avait vécu les évènements qui allaient bouleverser le destin du roi et de la France. Au moment de Varennes, il était prêt à partir [1] avec la garde de Triaucourt pour arrêter et garder ce félon de roi qui fuyait en trahissant la France. Mais les Argonnais et Drouet y veillaient
Un Prussien, bien sûr, avait écrit sur un calepin « Des furieux (nous les paysans) vont à la rencontre de la cavalerie adverse et coupent à la faux les jarrets des chevaux » on appelle ça la guérilla. Pour préparer la victoire de Valmy et permettre la jonction des troupes de Dumouriez er de Kellermann [2], Augustin avec les bûcherons et paysans des environs, avaient essarté, de jour et de nuit, un chemin praticable par les armées dans les bois de Belval, au sud du pays.
La République avait déjà oublié et François Vallon, un de ses cousins qui avait perdu une jambe à Valmy, quémandait en vain une pension Un autre cousin : Vivrel, attendait le remboursement des fournitures de foin et de paille faites aux armées. [3]
Il fallut attendre le décret sur la Conscription pour qu’Augustin s’engageât aux armées. De Charmontois-sur-Aisne, il fallait se rendre à Suippes, chef-lieu de circonscription avec beaucoup d’autres jeunes des pays d’alentour. C’était une promenade pour ces jeunes habitués de la marche à pied et ce pat tous les temps.
La cérémonie du tirage au sort ne manqua pas de panache ! Dommage que les filles de Charmontois, de Belval et des autres villages ne pouvaient y assister : comme elles auraient jacassé dans les chaumières à la veillée !
Dans une grande salle ornée de drapeaux aux trois couleurs et face à une grande table où siégeaient des soldats empanachés avec, au centre, le commissaire en bicorne à cocarde, Augustin, assez ému, se présenta, écoutes bien, en chemise et les pieds nus ! Il tira un papier dans un urne parée des lettres R.F. C’était le mauvais numéro : le n° 1, celui qui l’appelait immédiatement aux armées. [4]
Alors un vieux major en perruque inscrivit sur un grand cahier, sous le numéro 960 : TOLLITTE Augustin, fils de Jean et Marie-Thérèse Tollitte, né le 25 avril 1775 à Charmontois, canton de Suippes, département de la Marne ; taille 1 mètre 67 (moins de 1m 62, soit 4 pieds 10 pouces, il eût été exempté car il n’aurait pas pu porter le fusil trop long et trop lourd). Le commissaire du peuple le félicita de vouloir servir la Patrie. Mais Augustin connaissait la musique, enfin il lui plaisait de l’entendre.

Une « fête civique » suivit. Le commissaire invita à boire « à la République » après un long discours dont certains passages tintinnabulaient dans les oreilles des braves conscrits : « La patrie est le bien commun, quand elle commande, tous doivent lui obéir N’avez-vous pas profité de la Révolution : fiscalité mieux répartie, perte des droits seigneuriaux, vente par petits lots des biens nationaux, mise en culture des friches »
Tout cela, Augustin le savait et il rentra le lendemain à Charmontois-sur-Aisne, le cœur gros et en traînant un peu la jambe. Il savait qu’il allait marcher, marcher A pays, la nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre. « Savez-vous l’Augustin s’en va »

On était au début du printemps 1799, Augustin devait gagner Metz à pied pour rejoindre les armées de Moselle. Il prépara son maigre baluchon avec une ou deux boules de pain de ménage, une grosse saucisse et une andouille « de nout dernier cochon ». Le père l’avait muni d’une fourche à deux dents car en cours de route il pouvait faire de mauvaises rencontres. Il s’était procuré un habit, une veste, une culotte, un chapeau, un bonnet de police et un sac de toile. On disait qu’à l’armée du Rhin, les équipements manquaient, mais cela, Augustin ne voulait pas le croire.

Un beau jour de Prairial [5], Augustin quitta le bout des Hoches et prit la route de l’Est en saluant les mais du quartier. La petite histoire ne nous dit pas s’il laissa une Lorraine en pleurs derrière la vitre. Ce que l’on sait, c’est que son père et sa mère l’accompagnèrent à la dernière haie du village, là-bas sur le plat de l’Orme, tout près de Senard, le village des ancêtres Tollitte. Sa mère récitait la prière des morts. C’était la coutume car la vie et la mort en ce temps là Augustin leur fit un dernier adieu sans se retourner tant il voulait montrer sa force de fier soldat.
Et, pendant bien des jours, avec des haltes de nuit dans les granges, Augustin s’éloignait de plus en plus vers l’Est. Les gens ne parlaient plus patois mais un dialecte de prussien qui ne lui disait rien qui vaille. Il se prenait à chanter « La belle Lorraine », complainte que lui avait apprise un colporteur :

"Cuisinière parfaite et d’un esprit plaisant,
Vive comme salpêtre et ferme comme un gland.
Joignant aux plus beaux seins, la taille la plus riche,
Une croupe de cerf, une jambe de biche"


Cela aidait à la marche. Il évitait les auberges pleines de punaises, de servantes malsaines et de nourritures avariées comme il lui avait été dit.
A la mai-prairial, il aperçut du haut de la colline la bonne ville de Metz et sa joie fut grande.
Laissons maintenant Augustin lui-même raconter sa vie aux armées comme s’il la revivait :

« Au camp de Metz, ce matin-là, tout le camp est en remue-ménage. Le tambour bat pour inviter les soldats à se lever et à sortir des tentes et des baraques. Un commissaire souhaite la bienvenue à ces requis venus défendre la République. »
Dans la vieille caserne, Augustin gagne le châlit garni d’une paillasse sentant la sueur et la vermine où l’on doit dormir à deux, parfois trois. Le réveil se fait au tambour. Les soldats plongent le visage dans l’eau glacée, un bout de savon sert, paraît-il, à se préserver de la gale.
Cette fois dans les marmites on y fait cuire des pommes de terre, « riz, pain, sel » c’est la coutume de tous les jours et le sobriquet des anciens.
Augustin rêvait d’uniforme ! Pour les uniformes, c’est carnaval. Pas un soldat n’a le même couvre-chef ; les pantalons sont taillés dans les tissus les plus divers ; la cuillère attachée à la carmagnole est la seule pièce commune à tous.
Les anciens nous entraînent à la marche. Les étapes ne dépassent pas trente kilomètres par jour. Mais des centaines de kilomètres nous dépaysent. Et les anciens de nous raconter leur géographie, façon de faire l’apprentissage de la France. Ils ne manquent jamais de nous faire souffrir des brimades : manière de prélever sur notre maigre prêt de qui boire ou bourrer leur pipe.
Ils nous apprennent à porter, comme des automates, le long et lourd fusil, à l’entretenir, à la garnir de poudre, à allumer avant de tirer puis à le nettoyer sans cesse. Un jour, un battement de tambour nous réunit tous dans la cour de la caserne. Cette fois la cérémonie ne manque pas de panache.
Le commissaire de la République donne l’accolade aux soldats et aux officiers, leur remet les drapeaux. Aux jeunes, il demande de défendre la République une et indivisible. « Vous jurez haine aux tyrans et à leurs complices ». « Nous le jurons » crient les soldats d’une seule voix. La cérémonie s’achève sur un magnifique défilé. Puis nous rejoignons par petites étapes (six kilomètres au plus) l’armée de Sambre et Meuse. Je suis maintenant inscrit au deuxième bataillon du vingt-septième de ligne. Le 27ècomprend trois bataillons faisant partie de la division Boivin. En tête flotte notre drapeau. C’est le drapeau aux trois couleurs : bleu à la hampe, blanc au centre, rouge au battant, avec au centre deux branches de laurier encadrant le chiffre 27. Tous les soldats soignent leur tenue car l’ordre de route de 1791 à l’usage du 27èprécise : « Les bas officiers et soldats seront rasés tous les jours ; ils changeront de linge et se laveront ou feront laver leur chemise sale. Messieurs les officiers sont priés de veiller à ce que cet article soit exécuté ponctuellement ». (A suivre)

Notes

[1 Augustin avait 14 ans, âge adulte pour l’époque.

[2En septembre 1792, l’armée du nord, commandée par Dumouriez

[3Il y avait, après Valmy, des dommages de guerre. Ainsi le meunier reçut une somme d’argent pour la reconstruction de son moulin.

[4La conscription “ La conscription a été créée en France en 1798. Le tirage au sort désignait qui partait et qui ne partait pas à l’armée. Ceux qui tiraient les plus petits numéros étaient déclarés bons pour le service. Augustin avait 23 ans quand la conscription é été instaurée. Il a donc été l’un des premiers concerné par ce tirage au sort. Comme il a fallu attendre ce décret de 1798 pour qu’Augustin s’engage aux armées. Changement en 1872 : les numéros les plus bas font un service de 5ans, les autres d’un an seulement. Le système s’st arrêté en 1889, la durée du service militaire a été fixée pour tous à 3 ans.

[5Prairial : 9ème mois de l’année et 3ème mois du printemps du calendrier républicain, du 20 mai au 19 juin. (Calendrier utilisé de 1792 à 1806)

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