Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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75ème anniversaire de la libération de la ville



75 ans, cela fait 75 ans que la ville a été libérée ; ceux qui, en 1944, avaient l’âge pour se souvenir ont aujourd’hui passé les 80 ans. Pour certains la mémoire fait malheureusement défaut, pour d’autres, ils préfèrent comme depuis des années ne plus en parler.
C’était la confusion extrême, les Allemands partaient, des Américains arrivaient, des Allemands repassaient, donnaient des ordres, des contrordres. Quelques Ménéhildiens sortaient des armes cachées, les autres avaient reçu l’ordre de se rendre dans les abris.
Maurice Jaunet, capitaine des pompiers, aidé de son frère Camille et de Henri Champion, coururent éteindre les incendies. Il a écrit à la main le récit de ces journées en commençant par le 28 août, un récit dont on retrouve des extraits dans le livre d’histoire de Emile Baillon. Nous avons choisi de présenter à nos lecteurs le récit intégral en commençant pour une question de pagination par le 30 août. C’est rendre hommage à ce Ménéhildien qui a risqué sa vie pour faire son « boulot ». Seules quelques lignes sur le Pont-d-Pierre rappellent son nom.


"Nous passâmes la nuit tranquillement chez M. Tixier, j’étais persuadé que l’heure de la libération était proche.
Le 30 août de bonne heure je descendais immédiatement en ville et me dirigeais vers le Pont-de-Pierre. Quelques amis étaient là qui causaient, et nous allâmes chez M. Quintin prendre le petit verre de l’amitié.
Peu de temps après, nous apprenions que les Allemands venaient de mettre le feu à une remorque en panne devant l’hôpital et je me précipitais avec quelques camarades. Je montais sur la remorque et nous commençons immédiatement l’extinction de ce début d’incendie. Quelques seaux d’eau en eurent vite raison. Deux mines placées dans la remorque furent enlevées et immergées dans l’Aisne par deux infirmiers de l’hôpital. Il était alors 8 heures.
Profitant de l’absence momentanée des Allemands, je fis appel à quelques Ménéhildiens présents et Charles Herbillon se plaçait rue de Chaudefontaine pour nous signaler l’arrivée éventuelle d’indésirables et, sans perdre une seconde, la charge de mines qui devait faire sauter le Pont-de-Pierre fut immergée à son tour dans le lit de l’Aisne. Etaient présents pour cette opération les Ménéhildiens Jacquesson père et fils, Quintin, Didier Naudin de Verrières et deux infirmiers de l’hôpital. Le déménagement n’avait demandé que quelques minutes, le pont ne sauterait pas.
Les Allemands, montés dans une voiture beige à + rouge, revenaient peu après et mettaient le feu une seconde fois dans la remorque. Ils n’avaient pas fait 500 mètres que le feu était une nouvelle fois éteint. Je trouvais dans celle-ci un code secret et un état des services allemands pour l’aviation se trouvant en France depuis novembre 1943. Ces documents ont été remis aux autorités américaines par moi-même.
Les Allemands devaient revenir une 3ème fois pour incendier la remorque, mais, pas plus que les fois précédentes, ils ne réussirent. La dernière fois c’est Adrien Vignon qui m’avait précédé pour l’extinction.
L’heure du déjeuner était arrivée, ce devait être le dernier repas avant la libération. A la fin de celui-ci, de furieuses explosions retentissaient en bordure de la prairie de Planasse [1], un dépôt de munitions que des Ménéhildiens avaient déménagé dans la matinée et que des Allemands avaient découvert, commençait à sauter. Les explosions durèrent plus d’une ½ heure. Les obus de 37 et les ? partaient dans toutes les directions et ricochaient dans la prairie.
Au même moment d’épais nuages montaient au-dessus de la Maison Autier [2], s’échappant par toutes les cheminées. Les Allemands venaient de mettre le feu aux maisons de la rue Philippe de la Force. Toutes celles-ci devaient être détruites. En même temps le dépôt de fil qui se trouvait place de l’Hôtel de ville était lui aussi la proie des flammes. Ce dépôt avait été fait la veille, d’accord avec le major allemand pour éviter la destruction des maisons. La parole donnée ne fut, hélas, pas respectée.
Les cinq Allemands, voleurs de montres, et leur voiture (une Citroën bleue) étaient toujours dans les parages. Ils avaient fait connaissance dans le courant de la nuit de 3 jeunes Françaises logées chez Mme Janin. Elles venaient de Normandie avec les Allemands. Ceux-ci continuaient leur pillage. Un des leurs devait âtre tué au coin du square Pasteur face au café de Paris, au début de l’après-midi par un F.F.I. du groupe du Cdt Lauri de Clermont-en-Argonne.
Des ordres étaient donnés au groupe à seule fin qu’il se tienne prêt aux limites Nord de la ville, à attaquer immédiatement la ville à l’instant propice. Tixier faisait la liaison.
Un message au Commandant de groupe Américain de reconnaissance, rédigé par M. Canonne et remis à Naudin de Verrières fut porté par lui vers 14h 30. Je luis faisais passer la rivière à gué derrière la propriété de la Mignonnerie [3] pour éviter le passage en ville. De là il se dirigeait vers la Haute Maison et reprenait la route de Châlons par le chemin de terre en dessous des 6 Frères.
Ma mission était remplie. Je demandais à mon frère Camille de sortir l’autopompe et d’aller place de l’Hôtel de ville et essayer d’attaquer l’immense incendie de la rue Philippe de la Force. La voiture était arrêtée au carrefour des rues Gaillot-Aubert et de l’Abreuvoir et apercevant le major que j’avais vu la veille à la gare, je me dirigeais vers lui. Celui-ci avait un revolver dans la main droite. Arrivé à 3 m environ de ce dernier, je le priais de bien vouloir mettre son arme dans sa poche. Il me dit que je n’avais rien à craindre et qu’il avait l’intention de se suicider. Il ajouta « Je suis déshonoré, ces incendies ont été mis malgré mon opposition formelle ». Je le priais une seconde fois de bien vouloir faire disparaitre son revolver dans sa poche, geste qu’il fit immédiatement. Sur ma demande, il m’autorisa à me rendre rue Philippe de la Force pour me rendre compte de la gravité du sinistre, mais il n’y avait rien à tenter, la totalité des habitations était la proie des flammes.

Pendant ce temps le major était sollicité par un groupe de Ménéhildiens et par Charles Mourot qui lui demandait de se rendre. S’échappant de leur étreinte il se dirigea de l’endroit où il se trouvait (entre le monument et la boucherie Barbelet vers la rue Drouet, il longeait la Caisse d’épargne puis la gendarmerie quand des coups de feu éclatèrent. J’étais alors entre le monument et la sous-préfecture. Au même moment les Américains traversaient la place, dirigés par Naudin monté sur son vélo. Le major accusa un coup en fléchissant sur la jambe droite. Le 1er tank ouvrit le feu et le major d’effondra. Il était mort, atteint à la tête (Henri Champion était monté à l’avant du tank, armé d’un fusil).
La foule délirante, sortie on se demande de quel endroit, poussait des cris de joie, les gens s’embrassaient. La colonne américaine continuait son chemin vers La Grange-aux-Bois, point extrême de sa reconnaissance. Les fusils et revolvers, sortis de leur cachette, apparaissaient entre les mains de quelques habitants qui voulaient tirer du « boche ». (Aubourg, Javelot). Quelques-uns ne possédaient que les armes, n’ayant pas ou peu de munitions. Je priais ces enragés de ranger leurs armes sans délai, prévoyant que nous n’en avions pas terminé avec les Allemands.
Les Américains, leur mission accomplie, repassaient bientôt et reprenaient le chemin de l’armée. Quelques minutes plus tard de nouveaux soldats allemands amenés par camion débarquaient à proximité du pont du chemin de fer de la route de Vitry. Un adjudant, mitraillette sous le bras défilait rue Drouet, se dirigeant vers la gare, il essuyait une vingtaine de coups de feu tirés de la gendarmerie mais ne fut que blessé et fait prisonnier à la sortie de la ville route de Verdun. Il fut amené et pansé à l’abri Lavison.
Profitant d’un moment d’accalmie je rentrais l’autre pompe dans la cour de M. Varin et décidais de rester dans cette maison avec mon frère.
Trois cyclistes allemands patrouillant en ville arrivaient peu après place de l’Hôtel de ville. Le 1er fut abattu par Chaventré fils et emmené à l’abri Percheron [4] où il fut caché sous des bottes de paille.
De la fenêtre du 2ème étage je pouvais suivre les évènements qui se passaient alors dans le secteur place de l’Hôtel de ville, rue Drouet, avenue de la gare, route de Verdun. Une cinquantaine de soldats allemands longeaient les murs de ces rues. Les premiers tombèrent en arrêt sur la mare de sang se trouvant sur le trottoir de la gendarmerie où le major avait été mortellement atteint. Ils firent signe à leurs camarades qui se trouvaient sur le trottoir opposé et ceux-ci trouvèrent immédiatement le cadavre du major.
C’est alors que les Allemands, sous le commandement d’un officier qui venait d’arriver au même instant dans une petite voiture automobile, commencèrent à défoncer les portes des habitations de la rue Drouet. Des grenades furent jetées dans celles-ci. Ils allumèrent un incendie dans la maison de M. Ninguet. Peu après M. Girardet sortait de chez lui et discutait avec les soldats allemands.
Un peu plus bas ces derniers firent sortir de leur maison Mme Bigorgne et son fils ainsi que le fils Rouff qui s’était abrité chez eux. Je fis part à M. Rouff qui se trouvait également chez M. Varin de ce que je venais de voir, sans toutefois lui exprimer les craintes que je ressentais pour ces personnes.
M. Barbelet fut tué peu après au coin de la sous-préfecture. Sa femme voulut de toutes ses forces aller jusqu’à lui et traversa la place en courant. Elle revint bientôt mais en sang et nous fîmes tout pour la consoler mais, hélas, comment faire pour consoler une femme qui vient de perdre son mari. Peu après je remontais à mon poste d’observation et je pus constater avec joie que M. Barbelet n’était pas mort. Je le voyais en effet remuer son bras droit. J’en fis part immédiatement à sa femme et téléphonais aussitôt au poste de secours de bien vouloir transporter sans délai le blessé. Celui-ci ne devait mourir que le lendemain matin.
Un peu plus tard, je vis 2 Allemands accompagnés de Beaupard entrer à la sous-préfecture. L’un des deux reste sur le trottoir face à la fenêtre. Le second ressortira peu après avec un ruban de papier. Tous trois se dirigèrent vers la rue Chanteraine.
Peu après, une bonne femme, Madame Pitet, traversait la place. Elle avait deux pains longs sous son bras et se dirigeait vers sa maison. Elle devait bientôt faire demi-tour sur un ordre qu’un soldat allemand lui donna. Je prévenais M. Rouff et lui disais de tenter de rejoindre son fils pour lui faire gagner un abri. Il partait en effet aussitôt et eu la joie de rejoindre avec lui l’abri de la côte Canard [5]. Pendant tout ce temps je redoutais le pire pour la population ménéhildienne, mais n’en parlais pas aux personnes qui s’abritaient chez M. Varin. Des messages que j’avais reçus la veille et que j’avais sur moi furent cachés dans un endroit sûr, ne voulant pas, en cas de fouille, qu’ils fussent trouvés sur moi.
J’ai pensé aussi à un moment rejoindre ma famille qui se trouvait chez M. Tixier en traversant la prairie de Planasse, mais des coups de feu tirés de la Côte Leroy me firent abandonner ce projet. Le temps passait, mais les minutes paraissaient des heures.
Un roulement lointain nous faisait comprendre que le gros des blindés approchait quand, tout à coup, la sonnerie du téléphone retentit. J’allais à l’appareil et apprenais que les tanks lourds traversaient Dommartin la Planchette à toute allure. Je communiquais aussitôt cette nouvelle aux personnes abrités dans les caves de M. Varin. L’espoir d’une libération toute proche était maintenant certaine.

Ne voulant rien perdre de celle-ci, je remontais au 2ème, accompagné cette fois par mon frère et Bister. Un bruit assourdissant nous parvenait, celle fois ils étaient là ! Peu après un déluge de feu et de fer partait des blindés, les balles traçantes sillonnaient le ciel. Les 1ers blindés traversaient bientôt la place. Certaines balles traçantes venaient percuter dans la façade de l’Hôtel de ville, de la Caisse d’épargne, le cadran de l’horloge, belle cible, était bientôt disparu.
A un certain moment mon frère me dit « Je m’en vais, car notre fenêtre sera bien arrosée, elle aussi ». Il était à peine dans l’escalier qu’une pluie de balles entrait dans la pièce. Bister se cachait d’abord sous le lavabo puis disparaissait à son tour. Quant à moi je fus obligé de prendre la même direction, des balles incendiaires arrivant à leur tour, inondant la pièce d’étincelles rouges. J’étais couvert de plâtre quand je sortis de la pièce.
Notre ville était libérée. Tous les habitants, fous de joie, envahirent les trottoirs et saluèrent nos libérateurs. Blindés, tanks et camions déferlaient à travers la ville.
Le travail de S.P. n’était pas terminé. La motopompe fut mise en batterie sur le Pont-Rouge et l’attaque du sinistre qui ravageait les maisons Mangin (?), Ninguet et Girardet fut immédiatement entreprise.

L’équipe Janot (pompiers auxiliaires) se mettait en batterie pour combattre l’incendie qui faisait rage Faubourg des Bois dans les maisons Pointet et voisins. Aidé de mon frère, nous faisions deux coupures dans les toitures pour limiter les dégâts.
Tout danger conjuré, je revins place de l’Hôtel de ville et j’apprenais que les allemands avaient fait évacuer les abris des Caves Goyeux [6] et Robert [7], celles de la rue des Prés et avaient dirigé leurs occupants vers Verrières, Elise et Argers. Je ne savais plus que penser et grande était mon anxiété en pensant quel sort leur était réservé [8]. Ma famille était naturellement du nombre et je ne pouvais savoir dans quelle direction elle était partie.
Il était alors minuit environ et après avoir été faire un tour place d’Austerlitz où je vis un groupe de prisonniers allemands sortir de chez M. Foucault sous la garde du groupe à Picq, je décidais de retourner avenue Drouet pour aider au rangement du matériel d’incendie. Alors que je passais devant la maison de M. Langreniat, un ordre impératif tombé de la lucarne du grenier m’intimait de m’arrêter si je ne voulais pas recevoir une rafale de revolver. Je demandais à la personne qui vociférait cet ordre s’il n’était pas un peu fou, mais un second ordre suivi d’un troisième me fit donner un nom. M. Langreniat, car c’était lui, s’excusa et descendit immédiatement pour s’excuser de nouveau. Mais il fut reçu avec tous les honneurs de la guerre !
Je me rendis ensuite près de l’équipe de la motopompe qui, à ce moment, rangeait son matériel.
Je fis ensuite un tour rue des Prés où je fermais les portes de la maison après avoir fait une visite complète et, à 3 heures du matin, nous répondions mon frère et moi à l’invitation du camarade Louis Godon qui nous offrait le gite et de quoi nous restaurer.
C’est ainsi que se terminait pour moi le jour de la Libération.

Photos : collection Janine Goyeux.

Amitié franco-allemande : le 14 juillet, un groupe de pompiers de Bruchsal, ville jumelle
allemande, est venu participer aux cérémonies au monument aux morts en compagnie de leurs
homologues argonnais.



Notes

[1 “ Prairie derrière la caserne des pompiers.

[2 “ Maison, au coin de la rue Philippe de la Force qui sera sous-préfecture.

[3 “ Rue de la libération. Voir article n° 81, hiver 2019.

[4 “ Future rue Zoé Michel, aujourd’hui magasin de Motoculture.

[5 “ L’abri (une cave) était dans la première maison de la côte, aujourd’hui écroulée.

[6 “ Route de Chaudefontaine les caves étaient dans la butte.

[7 “ Dans la butte, en face des actuels tennis.

[8 “ Cet épisode est raconté par E. Baillon. Les habitants sortis des abris furent rassemblés au coin de la rue Menut et de la rue Florion ; grâce à l’intervention de M. Vi ? qui parlait allemand, tous sont libérés et contraints de quitter la ville.

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