Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Le Four de Paris.

   par John Jussy







































Aujourd’hui, le Four de Paris, c’est seulement un calvaire avec une grande croix, un panneau avec des papiers jaunis censés en raconter l’histoire. C’est Charles de Bigault de Granrut et sa sœur Lucie qui avait épousé le baron de Charnacé (d’où le nom de Charnacé sur certaines cartes postales) qui décidèrent d’ériger un calvaire à la mémoire des membres de la famille tombés au combat, dont Louis le fils de Charles, mais aussi, comme il est marqué sur le socle de pierre : « A la mémoire des combattants de la Gruerie 1914-1918 ». C’était en 1926, le 28 août, et la cérémonie avait réuni plus de 300 personnes. Depuis, en 1996, on a remplacé la croix de bois par une croix en acier, pour que le souvenir reste.



Le Four de Paris



Des villages entiers ont disparu avec la guerre 14-18 et le hameau du « Four de Paris » fait partie de ces lieux jamais reconstruits ; aujourd’hui, seule une croix rappelle ce douloureux passé. De la grandeur industrielle à la ruine

Comme ce devait être joli, ce petit coin d’Argonne, le hameau du « Four de Paris », dans la vallée de la Biesme, à l’orée de la forêt On est dans la Meuse, séparée de la Marne par la petite rivière.
Louis Brouillon, dans son livre « Guide du touriste et du promeneur » parle d’une petite chapelle dédiée à sainte Anne, d’une vieille maison de bois avec deux pavillons d’angle (voir notre article page 33 du n°86), avec une enseigne : « Loge calèches de poste et autres voitures, bon vin, bon logis ».
Georges Chenet, dans son livre « Argonne guide illustré », un guide des sites de guerre, parle en 1920 de la vieille auberge de rouliers aujourd’hui anéantie. Les rouliers étaient les transporteurs à bords de voitures hippomobiles. L’arrivée du chemin de fer avait dû ruiner cette activité.

Mais le passé prospère du Four de Paris vient d’une ancienne verrerie, d’où son nom. On y fabriquait des bouteilles au standard de Paris, d’où l’ajout de « Paris ». Dans toute la vallée de la Biesme, les verreries étaient nombreuses et se déplaçaient suivant les besoins en énergie, le bois.
La verrerie était exploitée par Charles de Bigault de Granrut qui possédait quatre autres verreries dans la vallée de la Biesme ; à savoir qu’en 1312, le roi Philippe le Bel, avait autorisé les gentilshommes de Champagne à souffler le verre sans « déroger ».
Il y avait donc au Four de Paris le chalet, appelé également « Château », servant de relais de poste, une modeste chapelle construite par les moines de La Chalade et les maisons des ouvriers. On parle aussi du manoir de Belvaux (écrit aussi Belleveaux), situé sur la route de Varennes.
Mais à la fin des années 1980, l’usine fut déplacée dans la région de Reims : plus de verreries, plus de commerces L’arrivée du chemin de fer avait été fatale à toutes les usines situées loin des lignes. Il ne restait que les Islettes.
Donc, en 1914, Lucie était venue au manoir avec sa fille Marie-Thérèse et ses enfants ; mais tous durent partir précipitamment devant les annonces d’une guerre proche, se demandant s’ils y reviendraient un jour.
Et en septembre la guerre arriva. Le hameau fut complètement anéanti car il était situé tout près du front et à un endroit stratégique que se disputaient les armées françaises et allemandes.
Les Allemands avaient envahi le pays, passant en Argonne et allant bien plus au sud. Mais après la retraite des armées ennemies en septembre 14, Sainte-Ménehould et le sud de l’Argonne étaient libérés et le front se stabilisait au nord de la Biesme. Le but de l’envahisseur était d’arriver par les vallées de l’Aire et de la Biesme jusqu’à la voir ferrée Châlons-Verdun, c’est-à-dire Les Islettes, et ainsi de couper l’armée de Champagne de celle de Verdun.

Alors les combats furent rudes, surtout pendant l’automne et l’hiver 14-15. On se battait au corps à corps pour prendre une tranchée et à cela s’ajoutait la terrible guerre des mines. Et pour la première fois on se battait en forêt, ce qui donna à la guerre en Argonne une bien triste spécificité. Dans le livre « Le guide d’Argonne », on peut lire :

« Impossibilité de marcher déployés à vue sur une même ligne des ravins, des crêtes, des taillis coupant toute visibilité à 25 m Un silence pesant règne partout, troublé par le bruit des branches brisées Derrière ces gros troncs d’arbre se cache peut-être un feldgrau ou un pantalon rouge, les basses branches accrochent les fusils, les ronces retiennent les vêtements. On se bat à coups de crosse et de baïonnettes. »

La relève étant faite, les poilus redescendent au Four de Paris et, dans le manoir, le seul bâtiment encore debout, le piano est encore là, comme les fauteuils de ce pavillon de chasse. On se repose, on se soigne, on écoute la messe ; avant de remonter au front.

Les Allemands qui ont repris Servon, seront arrêtés au Four de Paris et n’atteindront jamais ni la Biesme ni les Islettes. Ls combats cesseront avec l’offensive des armées américaines.
Après la guerre, tout était détruit, les bâtiments soufflés par les obus, le château mitraillé avec le toit montrant sa charpente comme un squelette. Charles de Bigault avait tout perdu, les maisons éventrées, les hectares de bois dévastés. On ne garda rien du Four de Paris.
John Jussy



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