Depuis leur venue sur terre, les hommes savent profiter des bienfaits de la nature. Ce que vous allez lire va tout de même vous surprendre. Ce texte est tiré du livre d’Alcide Leriche, paru en 1979 intitulé « Argonne terre étrange ».
"Durant trois siècles, les habitants de Futeau vécurent de l’industrie du verre. Quand au début du XIXe siècle, les verreries durent fermer leurs portes en raison de la concurrence, l’unique moyen d’existence des habitants disparaissait.
Les hommes devinrent bûcherons, équarisseurs, scieurs de long, charbonniers Métiers qu’offrait la forêt toute proche et qui ne nécessitait pas d’instruction. Mais le travail de l’homme ne suffisant pas aux besoins de la famille, les femmes recherchèrent des occupations pour augmenter les revenus familiaux. C’est vers la forêt qu’elles se tournèrent également. Cette forêt qui cache dans ses clairières, le long de ses sentiers ou sous sa futaie des quantités importantes de fruits sauvages
C’est ainsi que la saison des fraises et des framboises est particulièrement
attendue à Futeau. Dès que ces fruits commencent à mûrir, les femmes se réunissent pour organiser leur travail. Des femmes et des enfants partent pour cueillir les fruits en forêt. Très tôt le matin et jusqu’au milieu de l’après-midi, ils parcourent le bois à la recherche des fraisiers et des framboisiers. Vers 16 heures, ils rentrent au village où les attend un groupe de femmes qui ont préparé de petits cageots. Ces dernières y déposent délicatement les fruits sur des feuilles pour garder la fraîcheur. Les cageots sont ensuite chargés sur une voiture à cheval et on conduit dans la soirée la récolte à Châlons-sur-Marne distant d’une cinquantaine de kilomètres.
Un autre groupe d’une dizaine de femmes choisies parmi les plus habiles (et sans doute les plus délurées) s’établit pour six
semaines dans cette ville. Leur travail est de vendre les fruits récoltés. Pour ce faire, elles vont soit au marché ou font du porte à porte ayant des clients attitrés qu’elles retrouvent chaque année. Quand le temps de la récolte est passé, toutes se réunissent et partagent les bénéfices.
La saison des airelles et des myrtilles est également mise à profit pour récupérer quelque argent."
Dans un article paru dans « Horizons d’Argonne » de 1979, François Jannin évoque également la cueillette des fraises à Futeau mais également à la Contrôlerie, Bellefontaine et Courupt (villages proches). Il donne quelques détails. Les femmes qui cueillent les fruits s’appellent « les leveuses ». On peut évaluer le produit brut des fraises d’une seule année à plus de 4000 francs (des francs or bien entendu), mais on ignore le bénéfice réel. Ce que l’on sait c’est que ces femmes, en 1848, consacrèrent une partie de leur bénéfice à payer la cloche de la chapelle.
Hélas ! en 1849, la récolte ne trouva pas d’amateurs : une épidémie de choléra venait de se déclarer et les médecins avaient recommandé de ne pas manger de fruits. Bien qu’à l’époque le microbe du choléra ne soit pas encore connu, on avait remarqué que les fruits, manipulés sans précautions de propreté, pouvaient propager la contagion.
Bravo à ces femmes travailleuses, compétentes, organisées et on
pourrait encore trouver bien d’autres adjectifs les désignant !
Nicole Gérardot
Notes : Alcide Leriche (1934-2001) est un écrivain régionaliste passionné. Il a écrit cinq livres sur l’Argonne. Il a été un membre actif dans sa commune, Montfaucon, dans la Meuse, dont il a été maire.
François Jannin (1924-2009) est un homme passionné qui a fait des recherches sur le verre en Argonne et publié de nombreux articles dans « Horizons d’Argonne ». Il a créé l’Association des amis du verre d’Argonne qui anime chaque année une exposition sur l’histoire des verreries d’Argonne à partir de sa collection et de ses travaux.
Photo de l’église de Futeau (Village meusien dans la vallée de la Biesme)