Maintenant quand vous traversez un de nos villages, vous ne voyez personne et vous n’entendez que le bruit de quelques voitures qui passent. Pas étonnant ! Plus de commerces, plus d’artisans, plus de cultivateurs, plus d’école...
Dans chaque village, autrefois, on trouvait une ou deux épiceries, une boulangerie, souvent une boucherie, les femmes s’y rencontraient et des bistrots. Cette fois, c’était plutôt les hommes qui s’y retrouvaient. Le 31 décembre, « Le relais de la forêt », café restaurant de Passavant-en Argonne, a fermé ses portes. La maison Fouraux était pourtant renommée depuis de nombreuses années. Roselyne ayant pris la succession de ses parents Jean et Renée.
Les artisans, eux aussi, amenaient de la vie dans le village. Les enfants de l’école attendaient toujours avec impatience l’heure de la sortie pour aller voir le maréchal-ferrant mettre des fers à un cheval ou cercler une roue en bois. On était toujours admiratif devant le travail bien fait de l’artisan. En Argonne, les paysans ne sont plus nombreux eux non plus, il en reste deux, un, voire plus du tout. Les petites fermes de notre enfance avec une douzaine de vaches, deux chevaux, des cochons et de la volaille ont disparu. On voit passer les cultivateurs dans leur gros tracteur, mais souvent ils se sont installés à l’écart du village et la plupart n’ont plus de vaches allaitantes. Fini le temps, où, à heure fixe, on voyait la fermière revenir avec son troupeau qui, paisiblement, rentrait à l’étable.
Plus d’école ! On parle maintenant de regroupement scolaire. Les enfants sont véhiculés en car. On n’entend plus les cris des enfants pendant la récréation. Plus d’école, mais plus de curé non plus ! Les rares messes qui y sont données sont le plus souvent des messes d’enterrement.
Plus d’odeurs ! L’odeur du bon pain cuit qui sort du fournil ! du boudin que vient de faire cuire le boucher ! de l’alcool que l’on sentait quand le brandevinier avait installé son alambic et l’odeur que laissaient les vaches après leur passage dans les rues !
Et plus de commerçants ambulants qui passaient
dans les rues, venant parfois de loin ! Celui dont on se souvient le plus est...le marchand de peaux de lapins ! Il passait régulièrement, avertissant les gens de sa présence en chantant : « Peaux d’lapins ! Peaux » en traînant fortement sur la dernière syllabe, suivie d’un coup de trompette. Les lapins, on en élevait beaucoup. Ils ne coûtaient pas cher à nourrir et demandaient peu de soins. Le lapin tué, on retournait la peau, on la bourrait de paille pour qu’elle ne rétrécisse pas et on la pendait à des clous dans la grange ou le long d’un mur.
La vente de ces peaux ne rapportait pas beaucoup, mais cet argent, souvent donné aux enfants, était apprécié.
Un autre « gagne misère » qui passait régulièrement, le rémouleur : « A repasser, couteaux, ciseaux, rasoirs ! » D’autres encore comme le ferrailleur ou le rétameur !
Si l’on remonte encore un peu plus dans le temps, voilà ce qu’écrivait l’abbé Lallement : « Que n’ai-je pu recueillir toutes les modulations lointaines de ces bons Argonnais, venant à Sainte-Ménehould par des chemins impraticables, vendre pour quelques francs leur marchandise. »
Ainsi les femmes de Futeau, portant sur leur hotte d’énormes sacs de braise et disant d’une voix plaintive :
« Ach’tez d’la braisette ! »
Et les hommes de Futeau qui, du haut de leur voiture, annonçaient :
« Charbon, charbon, tout bleu, tout blanc, tout noir ! »
Que sont devenues toutes ces petites industries qui donnaient jadis à l’Argonne une vie intense et l’originalité d’un autre âge ?
Disparu le marchand de sable fin pour faire reluire les casseroles et les chaudrons. Au jour de la fête, on aimait faire briller toute la batterie de cuisine. Disparus le marchand de mort-aux-rats, le marchand d’encre, le marchand de talc de couleur brique pour marquer les moutons après la tonte, de pierre rouge pour le tracé des coupes en forêt, le marchand « d’harengs », voyageant le dos chargé d’une hotte dans laquelle était une sorte de cuvette pleine de poissons, le marchand de champignons et de différents fruits de la forêt et du terroir.
Les hommes de La Grange-aux-Bois clamaient d’un ton engageant :
"V’la du bon vino, vinaigre.
Du vinaigre, Mesdames, et du bon !
Apportez vos bouteilles,
Nous vous les remplirons !’
À la saison venue, ils disaient encore :
« Aux c’léïses, aux c’léïses ! » (cerises)
Les Passaventins, d’une voix plus grave, offraient les fruits de leur terroir :
« Aux balosses, aux écaillets, aux risins !(aux quetches, aux noix, au raisin) aux poires de Saint-Rouin ! »
Les gens de Givry venaient jusqu’à Sainte-Ménehould vendre des noix :
« V’la l’marchand d’écaillons, sur leur hotte à leurs pratiques du fromage blanc. Et pis des bons ! »
Les jolies filles de Florent apportaient au marché les fraises parfumées de la forêt. Les Verriérats (encore appelés les Padadas), renommés pour la fabrication des sabots faisaient la tournée des villages, la hotte pleine de sabots en scandant :
"V’là l’marchand d’sabots,
V’là l’marchand d’sabots !"
Les femmes de Chaudefontaine venaient avec des pots de lait, des jattes de crème et de ces gros haricots succulents appelés « poulets de Chaudefontaine ». Les femmes de Moiremont, de Verrières, d’Argers apportaient à leurs pratiques du fromage blanc, des fromages passés, « don bûre et des iu ». (du beurre et des œufs).
Nostalgie, nostalgie.
J’ai retrouvé dans un vieil almanach du Champenois un article intitulé : Au temps des crieurs des rues, car si les villages étaient animés, les villes ne l’étaient pas moins.
Pour s’amuser un peu.
Il n’existait pas de cris qu’à Paris ! Ceux-ci étaient connus de toute la Champagne-Ardenne !
A comme artichauts. Quand ils parvinrent dans nos campagnes, on leur prêta des vertus aphrodisiaques. Des marchandes de Reims, à la langue bien pendue, criaient :
Artichauts ! Artichauts,
Pour Monsieur et pour Madame !
Pour réchauffer les corps et l’âme
Artichauts ! Artichauts !
Pour avoir le nerf chaud !
C comme cerneaux : Cerneaux ! Aux cerneaux nouveaux !
C comme choux (les habitants de Coole et de Coolus ne se privaient pas de vanter leurs choux).
Achetez les bons choux gelés !
Ils sont plus tendres que rosée !
C comme cornichon :
Les petites cornes avaient des pouvoirs insoupçonnés...
Aux biaux cornichons qui r’levont l’patapon.
C comme croquignole (petit gâteau)
Croquignoles ! Croquignoles !
Pour danser la carmagnole !
E comme Epinards
Aux beaux épinards,
Qui vous rendent veinards ou peinards !
F comme Faverolles
Aux faverolles qui vous rendront folles !
Achetez mes faverolles qui vous f’ront faire la folle !
H comme Harengs (les poissons n’échappaient pas à la rime) :
Harengs appétissants ! Petits morceaux friands !
Pour déjeuner au matinet, avec soret et vin clairet !
H comme Haricots
Haricots coco, Haricots d’Soissons !
Haricots d’Soissons qui donnent beaucoup d’sons !
K comme Kerpondi
Demandez la belle kerpondi qui n’se défait mi !
M comme Maquereaux
Au beau maquereau qui bouge !
Au beau Maquereau qu’a la queue raide !
M comme Marrons
Chaud, chaud les marrons !
Pour avoir le cul chaud !
P comme Pâtés
(On vendait les petits pâtés de Châlons un sou, dès l’aube du premier janvier. Les porteurs partaient, la manne d’osier pleine sur la tête. C’était à qui chanterait le plus fort pour attirer les ménagères du fond des cuisines.)
Aux petits pâtés tout chauds, les voici, les voilà...
Ah ! Si vous saviez Mesdames, comme ils sont friands,
Vous n’hésiteriez pas à m’en acheter un cent !
P comme Poireaux
Aux gros poireaux ! Aux poireaux d’Mézières qui n’végètent guère !
Mais aussi : Achetez les belles porettes qui r’lèvent la ...
P comme Poires, Pommes
Pommes, poires, y’a qu’à voir !
P comme Prune
A la belle balosse qui donne des bosses, à la noce du père Bobosse !
S comme Salades
A la tendresse ! A la verduresse !
T comme Tomates
(On les appelait pommes d’amour)
La vendeuse criait : Pomme d’amour, amour à vendre !
Nicole Gérardot