Malgré la tempête qui faisait rage, plus de 300
personnes sont venues entendre, mardi 9 février à 8 heures, dans la grande salle des œuvres, la magnifique conférence de M. le chanoine Thibault, licencié ès sciences, curé de Jalons-les-Vignes. Je dis magnifique conférence et je n’exagère rien. J’aurais regretté, pour ma part, de ne pas l’entendre.
L’orateur, dans sa très brillante et très complète exposition veut étudier l’Amérique sous 3 faces :
- L’Américain devant la nature.
- L’Américain devant l’homme.
- L’Américain devant Dieu.
Et le triple portrait qu’il en trace en maître frappe l’auditoire par sa netteté et son élégance.
Il nous montre la nature domptée avec une énergie, une volonté que rien n’arrête. Au fur et à mesure que les besoins immenses d’un immense pays se font sentir, l’Américain avance ; asséchant les marais, bâtissant des villes, taillant et brûlant les forêts vierges, construisant des voies de terre, d’eau, de fer et n’ayant d’autre but que la fortune, la richesse.
L’homme ne l’embarrasse pas plus que la nature même. Les Indiens qui le gênent en occupant les terrains qu’il convoite, il les massacre. Il asservit le nègre, même après l’avoir affranchi, il utilise le colon qui peut servir ses intérêts et augmenter sa richesse. Il ne reçoit chez lui, dans son vaste empire, que les étrangers capables d’apporter au pays du travail un progrès, de l’argent.
Et devant Dieu, il s’incline publiquement comme à plaisir, avec éclat. Ses présidents d’état Harrison, Roosevelt, demandent à leur peuple des prières à l’occasion de leur élection. C’est le cardinal catholique Gibbons, primat d’Amérique, qui bénissait hier l’exposition de Chicago six fois plus étendue que l’exposition de Paris en 1900. C’est le même cardinal qui bénira, à la demande de Roosevelt, l’exposition qui va, l’an prochain, s’ouvrir à Saint-Louis.
Puis après une comparaison fidèle entre l’Amérique et la France, entre l’Américain et le Français à qui il rend un légitime hommage, le conférencier recommande et prêche, en un élan de superbe éloquence, le culte et l’amour de la patrie. Mais il conseille aux jeunes d’étudier encore, toujours, d’aller voir sur place là-bas à New-York, Chicago, Baltimore, le travail vigoureux des deux Amériques, d’aller leur prendre les qualités qui nous manquent, la résolution, l’énergie, la décision qu’elles ont au plus haut degré et que nous n’avons pas, que nous n’avons jamais eues.
Enfin, après nous avoir tenus pendant une heure et demie sous le charme de sa parole savante et fleurie, Mr. Thibault nous montre en projections lumineuses, les villes qu’il nous a fait traverser tout à l’heure, les gares, les fleuves, les lacs, les cascades les plus célèbres du nouveau monde. Son dernier tableau représente la belle et gigantesque statue de Bartholdi, la liberté éclairant le monde.
Il nous invite à la saluer avec lui et termine avec des mots d’espérance cette causerie écoutée dans le plus grand silence, souvent, très souvent applaudie et l’une des meilleure que j’ai jamais entendue.
Signé J.D.
Note : À la belle époque, on prêche la bonne parole !!! Aujourd’hui, plus d’un siècle après, les avis seront sûrement loin d’être partagés. Recueilli par Dominique Delacour