Monsieur l’abbé Louis Lallement, qui fut curé de Moiremont, recueillit en patois les contes et légendes de l’Argonne. Ce vieux langage imagé, vivant, savoureux à entendre avec l’accent du terroir est souvent difficile à écrire et à lire.
De cette « féerie argonnaise », voici le diable et la femme, transposé en français, dans lequel j’ai laissé quelques termes pittoresques.
« C’est une vieille histoire et celle qui nous l’a apprise n’a plus mal aux dents, pour sûr ! C’est la Marie Hannequin, la fille de maître Berna, celui qui faisait l’école près de la route neuve. Elle tenait cette histoire et encore bien d’autres de son père “ je crois plutôt que c’était de son grand-père “ l’Jacquot Hannequin, un bon maître d’école aussi, qui avait trouvé des tas d’histoires dans les papiers des moines. Il fallait voir la « cambuse » de la Marie : une « gaille » n’y aurait pas retrouvé son « bouca ». J’allais avec elle aux étangs chercher des framboises ou de la bruyère et je conduisais son âne, qui était aveugle. Pendant que le cadet prenait de bonnes « goulées », la Marie nous racontait l’histoire du diable et de la fermière. Ecoutez bien ! Ea m’a toujours épouvanté et il faut que je me signe ».
Un jour de printemps, notre Seigneur se promenait avec Saint Pierre dans le grand jardin du Paradis. Quand ils furent bien « hodés », ils cherchèrent un endroit pour s’asseoir. Pendant que Saint Pierre parlait, le Bon Dieu regardait au loin, de l’autre côté de la terre. C’était terrible !
Le diable ne venait-il pas de se faufiler près d’une femme pour l’enjôler ? Monsieur le curé nous disait, au catéchisme, que le diable prenait toutes les formes qu’il voulait. Justement, pour ne pas se faire reconnaître, il était habillé en femme, avec une coiffe, un corset bien agrafé et une belle robe bleue. Il faisait de belles révérences et de grands gestes en s’approchant d’elle. Puis il se mit à dire des quolibets et à chercher querelle. Ma foi, ça n’a pas été du tout !
La femme croyait que c’était quelqu’un d’égaré et le repoussa. Ils se donnaient de bons coups et se démenaient comme des enragés. Le diable était « défurloqué » et la femme « tourtout défuléïe » avec la peau comme une écrevisse. Il fallait voir le chantier, je vous le dis !
Notre Seigneur se faisait du mauvais sang, vous le croyez bien « nome » ! Il dit à Saint Pierre : « ça ne peut plus durer plus longtemps, descends vite et va les calmer ». Saint Pierre descendit « vitema » et se mit entre les deux entêtés, mais ses paroles n’eurent aucun effet et même, ils « l’avon r’chignii’ ». Le diable et la femme l’insultèrent tellement que le bon Saint Pierre n’hésita pas. Il tira son sabre et d’un coup, il fit tomber les deux têtes dans la « paourette ». Il essuya son épée dans un herbage qu’on appelle depuis « la malice de la femme » et remonta de suite, bien content, ma foi, auprès de notre Seigneur.
- « Ah ! notre Maître, maintenant ils sont bien d’accord ! » dit-il
- Tu as fait une belle action là ! Je ne t’avais pas dit de les tuer, je t’avais dit va les calmer. Je ne demande pas mieux qu’ils se battent, mais qu’ils se tuent, non ! Tu sais bien, mon ami, que le monde ne serait plus le monde si le diable et la femme n’avaient plus à « s’tigni ». Ea irait trop bien, en vérité, et moi, qu’est-ce que je deviendrai ? Retourne en vitesse d’où tu viens et vas me raccommoder ces deux têtes là ! Allez, dépêche-toi et ne me fais pas de gros yeux comme ça ! »