Au début du XXèsiècle, deux pilotes d’avions, l’un allemand, l’autre français, auraient pu se rencontrer pour vivre ensemble leur passion. La guerre les en empêchera et pourtant à quelques semaines près, ces deux militaires vont fréquenter la ville de Sainte-Ménehould.
Le pilote allemand, Oswald Boelcke, avait pour son homologue français Célestin Adolphe Pégoud une grande admiration. Ce dernier passait pour un « fada » car il fut le premier à réaliser des loopings avec un Blériot.
Célestin Adolphe Pégoud est le troisième enfant d’une famille de paysans. Intelligent et actif, il rêve de voyage et délaisse le travail de la terre pour s’engager dans l’armée. Sa carrière militaire commence le 8 août 1907 comme cavalier au 5e régiment de chasseurs d’Afrique et participe en 1908 à la campagne du Maroc. De retour en métropole, il est muté au 3e régiment d’artillerie coloniale à Toulon après un passage de quelques mois au 2e régiment de hussards de Gray (Haute-Saône). C’est là qu’il découvre et se passionne pour l’aviation grâce à un officier aviateur, le capitaine Louis Carlin, qui lui donne son baptême de l’air au camp de Satory, près de Versailles. De retour à la vie civile à la fin de son engagement de 5 ans en février 1913, il apprend le pilotage, obtient son brevet le 28 février 1913 et est engagé par Louis Blériot comme pilote d’essais pour tester toutes les nouvelles solutions et améliorations techniques. Le 19 août 1913, il réussit un saut en parachute en abandonnant un avion sacrifié pour l’occasion. Il fut aussi le premier à réaliser une boucle complète (un looping), deux semaines plus tard, le 31 août à Buc (Yvelines) puis le premier septembre 1913 sur le terrain de Juvisy à Viry-Chatillon, ce qui le rend célèbre dans toute l’Europe. Pégoud va participer à des meetings et c’est à cette occasion que Boeckle va le voir évoluer.
Oswald Boelcke va devenir un As parmi les As, l’un des grands théoriciens de la guerre aérienne. Ses « Dicta Boelcke », véritable code de lois des pilotes de chasse, feront encore autorité vingt ans plus tard. Il est sérieux et appliqué dans son service mais ne laisse passer aucune occasion de s’amuser. Il est dans tous les bals, se passionne pour le tango et le one-step, ne néglige pas les présences féminines, monte à cheval, participe aux compétitions inter-garnisons, au Pentathlon olympique de 1913, voyage... Mais surtout, il se laisse fasciner par l’aviation. Les avions aperçus à Coblence et à Metz (ville allemande à l’époque) l’ont marqué. Il est présent au Trophée aérien du prince Henri de Prusse et, en novembre 1913, file à Francfort pour assister à un meeting :
« Samedi dernier, écrit-il à sa mère, je suis allé à Francfort voir Pégoud, l’aviateur français. Vous ne pouvez pas imaginer ce que ce gars-là est capable de faire : des cabrioles aériennes, des remontées à la verticale, des virages, des vols sur le dos, et tout cela avec un tel aplomb, une telle sûreté qu’on ne peut pas imaginer un instant qu’il puisse s’écraser. Cet homme m’a fait une forte impression... »
Une telle impression qu’en avril 1914, il demande à passer dans l’aviation.
En 1914, l’escadrille de Pégoud est basée à Châtel, près de Varennes, alors occupé par les allemands, à proximité de la forêt d’Argonne. C’est là que, le 1er septembre ” jour anniversaire de la victoire allemande de Sedan en 1870 ”, Oswald effectue son premier vol de guerre, pendant que son frère repère les positions d’artillerie françaises. Leurs observations vont permettre aux canons allemands de déloger leur adversaire. Les frères Boelcke enragent : à plusieurs reprises, au cours de leurs vols d’observation, ils sont contraints de revenir aussi vite que possible pour éviter les avions français, maintenant armés de mitrailleuses, alors qu’eux-mêmes, comme tous leurs camarades, ne peuvent opposer que leurs pistolets et leurs carabines Mauser. Le ciel, à cette époque, appartient aux Français. Le soir, l’oeil noir, les pilotes du Feldfliegerabteilung 13 discutent de leur infériorité autour de la table somptueusement garnie de la maison qu’ils occupent à Sainte-Ménehould où ils sont maintenant stationnés. La salle à manger de cette demeure, propriété d’un lieutenant de cuirassiers français, est confortable et le cuistot est si bon que les aviateurs l’ont surnommé Adlon, du nom du plus célèbre palace de Berlin. Le champagne coule quotidiennement à flot.
Ce n’est que quelques mois plus tard, quand les allemands auront quitté Sainte-Ménehould, que les français vont construire un terrain d’aviation à la Camuterie. En janvier 1915, l’escadrille de Pégoud est désignée pour opérer à Sainte-Menehould et il s’y rend bien vite, non sans avoir salué Verdun, au départ, de quelques vols à renversement, comme il saluera à l’arrivée sa nouvelle résidence. Pégoud tient un carnet où il note dans un style télégraphique. Le 5 février, il écrit :
« Temps très clair. A 9 h. 35, pars sur Morane, avec Lerendu, et deux heures de vol, pour reconnaissance avions boches et protéger nos avions. A 2 000 mètres, survolant région Grandpré, arrive un Taube direction sur moi. Le charge à environ 50 mètres en dessous, avec mitrailleuse. Il fait demi-tour ; le poursuis à environ 100 mètres de distance, continuant à le mitrailler. Après une minute de poursuite, Taube, très nettement atteint, fait une longue glissade sur l’aile gauche et tombe en chute, l’avant de l’appareil entouré de fumée et de feu, et des lambeaux de toile déchiquetés aux ailes, disparaît dans le vide, vers sud Grandpré. Aperçois presque aussitôt deux Aviaticks, l’un survolant la région sud-est de Grandpré, l’autre survolant la région nord-est Montfaucon. Attaque avec mitrailleuse le plus rapproché, celui vers Grand-Pré. Aux premiers coups de feu, Aviatick pique plein moteur ; charge sur lui verticalement avec moteur et mitrailleuse. Vu très nettement Aviatick touché par mitrailleuse. Après l’avoir vu piquer complètement dans le vide, redresse mon appareil à 1500 mètres, reprends de la hauteur en me mettant à la poursuite du deuxième Aviatick, survolant en ce moment Montfaucon. L’aborde à environ 40 mètres en dessous, avec mitrailleuse. Aviatick soutient le combat pendant environ cinquante secondes, ripostant par fusil automatique. Se sentant touché, l’Aviatick pique dans un virage. Le charge en vol plané, verticalement, faisant tirer continuellement mon mitrailleur. Ai vu très distinctement Aviatik touché par mitrailleur aux ailes et à la queue. Après l’avoir vu disparaître dans le vide, à 1400 mètres, redresse mon appareil ; suis encadré par obus ennemis petit et gros calibre. Atterris Sainte-Menehould à 1 h. 45.