Au début du mois d’août 1725, un cortège de cinquante voitures et carrosses, fort de 130 personnes, quitte Paris. Son Altesse Sérénissime la comtesse de Clermont se rend à Strasbourg. Là, elle doit, au nom du jeune roi Louis XV, y célébrer la cérémonie de mariage avec Marie Leczinska, fille du roi élu de Pologne. Cette union est considérée par certains sujets français comme une mésalliance. En effet, la très jeune Infante d’Espagne, promise au roi, a été renvoyée à la cour madrilène après quelques années d’enfance passées à Versailles. La différence d’âge, l’impatience du roi encore adolescent, les exigences diplomatiques aboutissent à la dissolution de cette union encore « non consommée ». Dans la liste des prétendantes au mariage royal, Marie Leczinska passe presque inaperçue et rien ne semble prédisposer la jeune fille de 22 ans à coiffer la couronne. Son père, Stanislas Leczinski, a été chassé de Pologne par son rival Auguste II et ne possède rien. Ce n’est que trente ans plus tard qu’il recevra le duché de Lorraine en échange d’une abdication négociée favorable à la France. Pour l’instant, il vit dans une maison bourgeoise en Alsace et l’annonce du choix étonnant de Louis XV lui procure richesse, gloire et soutien. Sur les conseils de Mme de Prie, maîtresse influente du Duc de Bourbon, on avait choisi Marie pour sa soumission et sa docilité.
La tradition et l’étiquette veulent qu’on aille chercher l’élue jusqu’à la frontière, le roi ne pouvant quitter le pays qu’à la tête de ses armées. C’est ainsi qu’en grand apparat, le cortège prend la direction de l’Alsace. Auve, Sainte-Ménehould, Clermont sont situés sur le trajet. Les notables locaux se feront un honneur d’accueillir ces équipages avec faste. Il convient de rappeler que Sainte-Ménehould se relève à peine de l’incendie de 1719. Monsieur de La Force est sur place, dressant les plans d’une ville nouvelle.
Le cortège est impressionnant. Imaginez cette troupe faisant halte dans chaque ville. Ce ne sont pas moins de 130 personnes, parmi lesquels des gens de marque, qu’il faut loger, nourrir et divertir. Il convient d’y ajouter les soldats et gendarmes chargés de la sécurité et tous les suiveurs, pique-assiettes et autres.
A l’aller, la colonne entre à Sainte-Ménehould le 16 août 1725. Elle y est de retour, avec la Reine, le 27 août.
Les détails de ces journées ont été couchés par le géographe du Roi, le Chevalier Daudet de Nîmes. Le texte est retranscrit ci-après. L’orthographe de l’époque a été respectée dans la mesure où elle ne constituait pas une gêne pour le lecteur. Buirette s’est vraisemblablement inspiré de cette relation pour écrire le chapitre consacré à cet événement dans son « Histoire de Sainte-Ménehould ».
L. DELEMOTTE
Journal historique du voyage de S.A.S. Mademoiselle de Clermont, depuis Paris
jusqu’à Strasbourg ; du mariage du Roy et du voyage de la Reine depuis
Strasbourg jusqu’à Fontainebleau ; de l’entrevue des deux Rois et des
deux Reines au Village de Bouron
Par le Chevalier Daudet de Nismes, Ingénieur Géographe de Leurs Majestés
Imprimé à Chaalons, chez Claude Bouchard, Libraire et Imprimeur du Roy et de la
Ville, à la Bible d’or
M. DCC. XXV.
Extraits
DEPART DE CHAALONS
Le lever de la Princesse à sept heures, et sur les huit heures Son Altesse fut entendre la messe aux Récollets, et partit ensuite pour aller coucher à Sainte-Ménehould. La Bourgeoisie s’était mise sous les armes aux portes de la Ville, de même que la Compagnie des Arquebusiers. La Maréchaussée de Champagne attendait la Princesse hors de la ville, commandée par M. Loisson, Grand Prevôt de la Province, pour achever de l’escorter jusqu’aux limites de leur Département. A trois lieues de Chaalons, l’on vit passer M. de Goesbriant, Gouverneur de Verdun, qui descendit de la chaise de poste pour venir saluer la Princesse, et après un moment de conversation, il partit pour se rendre à son Gouvernement, afin d’y recevoir la Princesse. On arriva environ à une heure à Auve, village du Diocèse de Chaalons, appartenant à Madame la Comtesse de Gizaucourt. M. Lescalopier qui avait devancé la Princesse, la reçût en ce lieu dans la maison de M. Chalons, Seigneur de Vaugency, où M. l’Intendant avait fait préparer un magnifique dîner : il fit aussi offrir de la manière la plus gracieuse à tous les gens de la suite des rafraîchissements.
Dans les temps qu’on était à table, arriva M. le Marquis de Nangis, qui passait pour s’en aller à Strasbourg ; il entretint pendant quelque temps Son Altesse Sérénissime : et après le dîner Son Altesse voulût continuer sa route, elle fit plus d’une lieue à pied accompagnée de M. l’Intendant, de M. de Nangis, de Madame la Duchesse de Béthune, de Madame d’Egmont, et de Mademoiselle de Villeneuve. Son Altesse Sérénissime aurait encore marché plus longtemps, si une grande pluie n’était survenue, qui l’obligea de monter en carrosse ; tandis que Son Altesse faisait cette longue promenade, la Maréchaussée eût toujours l’épée à la main.