1789 : en début d’année, comme dans toutes les petites paroisses de France, les Florentins ont rédigé leur Cahier de Doléances accompagnant l’élection des délégués aux états généraux. Et puis, ils ont été tenus informés des coups portés à l’ancien régime par la prise de la Bastille, la mise en place de l’Assemblée Constituante, l’abolition des privilèges, le 4 août. Aussi, quand les petits seigneurs du voisinage viennent en despote narguer les villageois, ils vont constater que les esprits ont évolué et que la révolution est en marche.
Sous l’Ancien Régime, les Seigneurs possédaient seuls le droit de chasser sur les terres dépendant de leurs seigneuries ; ils en usaient à leur gré, à pied et à cheval, traversant au besoin les champs ensemencés et les récoltes, pour y débusquer le gibier à poils ou à plumes.
C’était là une très grosse charge pour le peuple des campagnes ; aussi, bon nombre de Cahiers de Doléances demandèrent-ils sa suppression, qui fut votée par l’Assemblée Nationale Constituante, le 11 août 1789.
Si nos ancêtres supportaient leur Seigneur Nicolas-Joseph de FAILLY, chassant sur ses propriétés et sur les leurs, parce qu’ils ne pouvaient faire autrement, on peut concevoir l’indignation et le tumulte que provoquèrent, le 7 septembre 1789, six jeunes gentilshommes verriers du Neufour, venant chasser sur le territoire de Florent.
Malgré les observations qui leur étaient faites, ils traversaient les jardinages et saccageaient sur leur passage, les récoltes d’avoine, de chanvre et de sarrazin, allant même jusqu’à menacer de mort les habitants qu’ils rencontraient.
La loi précitée avait bien accordé à chaque citoyen le droit de chasser et de détruire le gibier sur sa propriété, mais nos jeunes nobliaux ne le possédaient pas, n’ayant aucune terre à Florent et reconnaissaient d’ailleurs « qu’ils chassaient sous l’amende ».
Ce n’était plus l’époque où la Noblesse pouvait se livrer à toutes ses fantaisies, sans qu’il lui en coûtât rien et c’est ce que sagement pensèrent les parents de nos jeunes chasseurs, en cherchant à « pacifier » et à atténuer les suites des faits que nous venons de citer. Dès le 10 septembre, en présence de la Municipalité et des habitants de Florent assemblés, de MM. CHEDEL, lieutenant de Maréchaussée à Sainte-Ménehould, et PICART, Procureur du même siège, ils offraient de céder à la Communauté de Florent, les sept fusils saisis sur les chasseurs, et de donner la somme de deux cents livres pour tenir lieu des dégâts causés dans les empouilles et indemniser du temps employé par certains habitants à maintenir l’ordre.
L’offre fut acceptée par la Municipalité.
Nous reproduisons ci-après, des procès-verbaux relatifs à ce fait-divers argonnais, extraits du registre des Délibérations de la Municipalité de Florent, en pensant qu’ils intéresseraient les lecteurs de « l’Almanach Matot-Braine ».
Florent-en-Argonne, le 1er juin 1929
POIRET
Extraits du registre de la Municipalité de Florent
« Ce jourd’huy sept septembre mil sept cent quatre vingt neuf entre midy une heure, la Communauté de Florent a requis la Municipalité du dit lieu de s’assembler pour recevoir leurs plaintes et griefs qui sont et vont être rédigés par écris de par notre Greffier :
Que le Garde d’empouilles [1] et de chasse de Monsieur de FAILLY, de Florent [2] auroit, sur les neuf à dix heures du matin en sa garde faisante rencontré six gentils hommes verriers, demeurants au Neufour [3] en Clermontois, chassant par attroupement dans les empouilles en avoine de la dite Communauté et chanvre et sarrazin, et même traversant les jardinages d’icelle Communauté, lequel a juré véritable et a signé sa déclaration ».
J. Louis AUBRY
« Est survenu Pierre DIDIER, garde Pitoyeur pour la dixme et terrages [4]
de la Communauté de Florent a vers les sept à huit heures du matin rencontré deux gentils hommes verriers, des mêmes que ceux de cette chasse faisante demeurant au Neufour-en-Clermontois dans les empouilles de la dite Communauté, le dit DIDIER n’a pu les reconnoître. Ce qu’il a juré et affirmé véritable et a signé ».
Pierre DIDIER
« La dite Communauté vers les midy se trouvant offensée de l’attroupement de ces six Messieurs a fait sonner l’alarme et a requis la Municipalité de lui permettre de se mettre en garde et deffences contre les vexations faites par ces mêmes Messieurs qui du matin battaient le terroir en entier en chassant dans toutes les empouilles qui se rencontraient, dans leurs passages, avec un chien blanc un peu tâché sans qu’eux [5] et chassant ; et le nommé Pierre GENTIN, tonnelier, demeurant à Florent, accompagné du sieur du HOUX gentil homme demeurant à Florent les auroient vu à quatre, leurs chiens chassant dans le chanvre appartenant à Pierre DAQUIN de Florent, le dit GENTIN parlant aux fils de Mme de LONGCHAMP et au fils de M. DORLODOT, deux de ces quatre chasseurs, les auroient prié de se retirer, ce qu’ils n’ont voulu faire et ont répondu « qu’ils chassoient sous l’amende et ne craignoient personne » ; après quoi, les habitants ayant fait une sortie du village au bruit de cette alarme sonnée du côté de Rohay [6] où l’on croioit que ces Messieurs chasseurs s’étoient transportés ; les mêmes habitants n’ayant trouvé personne dans ce dit Canton du terroir ont rentré dans le village et retourné chacun à leurs travaux ; mais sur les quatre à cinq heures du soir, ces mêmes chasseurs revenant de leurs chasses du côté des Perrières, Canton du terroir, du côté de Moiremont, avant d’entrer dans le village de Florent, ont été entendu par des personnes du dit lieu qui travaillaient dans leurs jardinages, formant le dessein d’un tumulte en se disant « passons dans ce gueux de village de Florent et si l’on nous dit quelque chose nous y viendrons demain vingt quatre ». Ces Messieurs parvenus jusqu’au milieu du village, un Bourgeois du dit lieu auroit demandé pourquoy ils venaient chasser par attroupement sur notre terroir ; survenu Pierre GENTIN et Louis CARRE, qui en ont arrêté deux, les quatre autres de ces Messieurs se sont sauvés jusques derrières les jardins de Monsieur de FLORENT avec leurs carnassières pleines de gibier que tous le Public a vu s’étant amassé par le son de la cloche réitéré à cette heure. Ces deux Messieurs arrêtés ont été de suite conduit chez Monsieur de FLORENT pour y être désarmés, crainte d’événements de leurs parts ; les quatre autres Messieurs retirés dans les jardins du côté du Neufour auroient attaqué plusieurs femmes et filles de Florent qui cueilloient le chanvre en les insultant, les mettant en joue en les menaçant « qu’ils payeroient pour les autres, que si l’un les manquoient les autres ne les manqueroient pas » ; ces quatre Messieurs s’avançant vers le Neufour ont rencontré le nommé Louis PERIN de Florent, l’ont vexé et maltraité de paroles lui disant « qu’il étoit de Florent et qu’il alloit payer pour les autres qu’il falloit qu’il le tue et qu’il y mette la vie, si ce n’étoit point aujourd’huy se seroit une autre fois » ; ce qu’il atteste et a signé ».
Louis PERIN
« Sur le même instant ces Messieurs descendus du Neufour auroient pris main forte de Monsieur d’Orlodot père et d’autres, et étant revenus à Florent au nombre de six dont cinq armés de fusils à deux coups et fusils simples ; parvenu à la porte du château le nommé GENTIN sortant de son travail sur la rue donnant proche le château, le fils de Monsieur d’Orlodot et l’un d’iceux chasseurs l’auroient mis en joue ; le dit GENTIN est rentré dans son écurie et s’est muni d’une fourche de fer pour se défendre ; le dit sieur d’Orlodot père auroit aussi mis par plusieurs fois le dit GENTIN en joue à la vue du public, lui disant « si tu fais un pas je te brûle la cervelle » et sur cette parole le dit GENTIN a foncé sur luy.
Au même instant l’un de ces Messieurs sur le même Pont a mis en joue le sieur Pierre VUILLEAUME membre de la Municipalité et d’autres personnes qui étoient avec le dit VUILLEAUME au devant de sa maison ce qui a forcé le dit VUILLEAUME et autres à rentrer dans sa dite maison ; et même pour mieux ajuster son coup a posé sons fusil sur la lisse du Pont et s’est mis à genoux et a le dit GENTIN signé ».
L. CARRE, P. GENTIN, P. VUILLEAUME
« Entré dans la cour du château les sieurs d’Orlodot père et fils et autres se sont attaqués aux nommés LIONARD et Joseph FAGOT tous deux domestiques de Monsieur de FAILLY de Florent, les ont mis en joue en leur disant que « comme domestiques du château c’étoient par eux qu’il falloit commencer », ce qu’ils ont attesté et ont signé ».
J. FAGOT
« Et à l’instant étant entré chez mon dit seigneur de FAILLY de Florent où les habitants et plusieurs membres de la Municipalité se sont rendus et ont désarmé ces messieurs crainte de plus grand événement à leur sortie, au nombre de sept, dont quatre fusils à deux coups et trois à un seul coup, lesquels sept fusils resteront déposés à notre greffe, avec une carnassière supportée dans laquelle est une boîte à poudre de carton vide, et un gobelet ovale en verre de leur travail [7] ; dans les sept fusils l’un a été vuidé en l’air, les autres ont été déchargés dont on a trouvé dans quatre double charge de poudre, plomb et bals et aux fusils simples même charge. Et avons nous Municipaux et autres habitants avec nous sindic et notre greffier signé les jour et au susdit, après lecture faite ».
P. ROUILLON, P. VUILLEAUME, J. JANELLE, N.HANUS,
J. DEGOMBERT, B. ROUILLON, LE GENTIL, PETIT.
« Ce jourd’huy dix septembre mil sept cent quatre vingt neuf les membres de la Municipalité assemblés avec les autres habitants soussignés, M. Charles-François DORLODOT, écuyer, demeurant au Neufour et dame Marie-Anne-Elisabeth PRODHON, veuve de M. DELONGCHAMPS, désirant passifier pour eux et leurs enfants dénommés ci-dessus [8] rétablir l’ordre et maintenir la concorde entre eux, leurs enfants et les habitants et Communauté de Florent, ont offert, en présence de MM. CHEDEL, lieutenant de Maréchaussée [9] et PICART, Procureur du Roy en la dite Maréchaussée, de ceder à la Communauté de Florent les sept fusils dont il est question au verso de l’acte ci-dessus et de donner la somme de deux cents livres payable dans les mains du sindic de la Municipalité, pour tenir lieu, tant des dégâts qui peuvent avoir été faits, dans les empouilles que pour indemnité du temps qui peut avoir été employé par aucun des membres de la commune de Florent au maintien de l’ordre ce qui a été accepté par les membres de la Municipalité et autres habitants soussignés, et au moyen de ce d’un côté MM. DORLODOT, DE JUILLOT, Mme DELONGCHAMPS, pour eux et leurs enfants et les habitants et Communauté de Florent représentés comme il est dit ci-devant, ont promis de vivre en paix les uns avec les autres, et ne se rechercher ni directement ni indirectement pour quelques cas et cause que ce puisse être.
Signé après lecture faite ; à l’instant la somme de deux cents livres a été payée dans les mains du sindic ».
DORLODOT DESSART, PRODON DELONGCHAMPS, P. BOURGEOIS, LE GENTILS, PETIT, secrétaire, P. VUILLEAUME, J. JANELLE, J. LIIONARD, P. GENTIN, MORIN, P. ROUILLON, N. HANUS, J.B. GARNIER, P. VIROLET, DE JULLIOT, L. CHEVALLIER.
« Ce jourd’huy quatre octobre mil sept cent quatre vingt neuf la Municipalité assemblée en la manière accoutumée ont décidé après l’accord fait par un procès-verbal dont la minute est ci-devant entre la Municipalité de Florent et Messieurs les Gentils hommes dénommés au dit procès-verbal. Duquel accord il est résulté pour terminer toute difficulté une somme de deux cents livres qui ont été payées par les dits Seigneurs Gentils hommes, laquelle somme de deux cents livres a été répartie du sentiment de la dite Municipalité suivant l’accord signé respectivement des parties. Fait et arrêté en la dite Chambre des jours et au sus dit, le sindic en étant déchargé et avons signé après lecture faite ».
DE FAILLY, de Florent, JANELLE, L. CHEVALLIER, LE GENTIL, P. BOURGEOIS, sindic, P. VUILLEAUME, C. PETIT, Secr.
« Et ce dit jour et à l’instant a été délibéré par nous que les fusils au nombre de sept désignés par le procès-verbal cy-devant seront par le sindic vendus au plus offrant et dernier enchérisseur, dont il sera remis six affiches au village et circonvoisins, pour l’argent en provenant être versé par la Muncipalité suivant son délibéré et avons signé après lecture ».
DE FAILLY, de Florent, LE GENTIL, P. VUILLEAUME, J. JANELLE, L. CHAVALLIER, N. HANUS, P. BOURGEOIS, sindic.
« Ce jourd’huy huit novembre mil sept cent quatre vingt neuf la Municipalité de Florent assemblée a délibéré que, pour satisfaire aux autres délibérations cy devant prises par elle, et désirant pacifier envers ces Messieurs Gentilshommes dénommés au procès cy devant écrit, voulant aussi maintenir la paix et union réciproque entre les parties ont décidé qu’au lieu de la vente déterminée par l’article cy dessus les dites armes leur seront remises moyennant la somme de soixante douze livres.
A Florent, les jours et an ci-dessus ».
DE FAILLY, de Florent, LE GENTIL, JANELLE, P. VUILLEAUME, BAUDET, curé de Florent, P. BOURGEOIS, sindic.
« Nous soussigné reconnaissons avoir nos armes pourquoy nous déchargeons le nommé PETIT, greffier.
DORLODOT DESSARTS, DE LONGCHAMP, C. PETIT