Monsieur le Docteur QUEINNEC, originaire de Bretagne, s’est installé à Sainte-Ménehould en mai 1952. Ce sera, pendant plus d’une décennie, le Chirurgien de l’Hôpital. Avec l’aide de sa femme, médecin-anesthésiste et hémobiologiste, il créa, à l’hôpital de Menou, un poste de transfusion sanguine dont l’organisation fut citée en exemple lors du Congès de Chirurgie, le 12 mai 1954, à Paris.
Les anciens Ménéhildiens se souviennent sans doute encore de la brillante communication donnée par le Dr QUEINNEC à l’hôtel de ville, « Chirurgie et Chirurgiens Français », le 12 janvier 1959, sous l’égide du Centre d’Etudes Argonnais et de l’Association des Anciens Elèves du Collège Chanzy.
Monsieur le Docteur André QUEINNEC était membre du Comité de Rédaction des « Cahiers de Chirurgie » desquels est extrait la communication ci-dessous.
Le titre de cette communication peut surprendre. En effet, quels rapports peuvent exister entre les combats de la « Grande Guerre » et de jeunes soldats accomplissant leur « temps » ?
Le massif forestier d’Argonne, s’étendant du nord au sud, barre en partie la route vers l’ouest, par ses cinq défilés dont on a dit qu’ils étaient les « thermopyles de la France ». Cette région fut le théâtre de violents combats. C’est dans le bois de « la Gruerie » que ce sont passés les faits que nous allons relater.
Ce bois a été détruit en totalité et s’est reconstitué, tant bien que mal, en taillis, sur un sol bouleversé par les tirs d’artillerie et qui reste truffé d’obus non explosés. Malgré les interdictions et les mises en garde, des « récupérateurs » n’hésitent pas à déterrer les obus pour les métaux qui les constituent. Il y a des risques. Ils le savent. Ils les prennent et le paient souvent de leur vie ou de graves mutilations. Dans notre pratique, nous en avons observé de nombreux cas.
Il semblerait qu’au long des ans les obus aient tendance à remonter vers la surface du sol.
Dans le cours de l’été 1953, un incendie se déclara dans ce bois. Les pompiers locaux, rapidement dépassés par l’ampleur du sinistre, firent appel au corps départemental. Puis on appela l’armée qui dépêcha un groupe de jeunes soldats du « contingent ».
Le feu était presque maîtrisé lorsqu’un obus explose. Deux soldats tombent. L’un a une plaie au cou, du côté droit. Tous les vaisseaux sont sectionnés et il meurt en quelques instants, sous les yeux de ses camarades. L’autre soldat a reçu un éclat dans la fesse droite. L’hémorragie a été, semble-t-il, de peu d’importance. En effet, à l’arrivée dans le service, il n’est pas choqué, ou très peu. Une radiographie montra, dans la fesse droite, au contact de l’aile iliaque, un important éclat métallique.
La porte d’entrée est une plaie hachurée de six centimètres de long, environ. L’exploration montre des muscles dilacérés, avec un hématome peu important. Le corps étranger est facilement repéré et enlevé. Les zones contuses sont réséquées, des antibiotiques sont déposés dans le foyer, la peau est fermée après mise en place d’un drain de Redon. Un rappel de vaccination antitétanique fut effectué. Les suites opératoires furent très simples. Le blessé quitta le service le dixième jour, la plaie parfaitement cicatrisée.
L’intérêt des faits ici rapportés nous paraissent tenir à ceci :
1 “ Voir des soldats de vingt ans, accomplissant leur service militaire, mourir ou être blessés, par des obus d’une guerre qu’ils n’ont pas connue, alors qu’ils accomplissaient une tâche d’aide civile ;
2 “ Apprendre, après avoir montré l’éclat des obus à des artilleurs, qu’il s’agissait d’un 105 mm français ;
3 “ Apprendre que, plus de trente ans plus tard, ces obus sont encore efficaces (si l’on peut dire) ;
4 “ Apprendre qu’une zone, où ont eu lieu tant d’âpres combats, surtout d’artillerie, n’est jamais « saine », même après de nombreuses années.
5 “ Se souvenir de ce que me disait l’un de mes Maîtres : « l’ablation d’un corps étranger de la fesse est à confier à un jeune chirurgien, pour tester son habileté ».
Il est certain que rechercher dans les masses musculaires de la fesse, un corps étranger de faible volume est une entreprise ardue, mais combien facilitée aujourd’hui par la radiologie (amplificateur de brillance, stéréo-radio).
Dans notre cas, ce fut très simple : l’éclat d’obus mesurait 6 X 4 cm et se trouvait fiché dans l’os iliaque. Il ne risquait donc pas de bouger pendant les manœuvres de l’extraction.
Depuis cet accident, qui à l’époque, suscita quelques remous, nous avons été amenés à soigner de ces « récupérateurs » impénitents, victimes d’explosions d’obus de la Guerre 1914-18 ou encore d’engins de la Seconde Guerre Mondiale. Et, parfois, il s’agit de fusées ou autres engins de guerre, tirés sur les camps militaires dont regorge la Champagne.
Nous gardons, en particulier, le souvenir d’un de ces « récupérateurs » qui, ayant fait exploser une grenade au phosphore, eut une agonie particulièrement atroce, l’arbre trachéo-bronchique ayant été atteint.
Et quelles que soient les mises en garde ou les interdictions, les accidents continuent. Ainsi meurent ou sont blessés, des civils ou des soldats, victimes d’une guerre qu’ils n’ont ni faite, ni même connue.