Un récent article de presse [1] évoquait le vignoble Argonnais du temps passé, en même temps que l’espoir de le faire revivre.
Pendant plusieurs siècles, en effet, l’Argonne pouvait se targuer d’être une région viticole. A son apogée, vers 1807-1808, le vignoble Argonnais couvrait 2344 ha (1048 dans les Ardennes, 440 dans la Marne et 856 dans la Meuse [2]). Le vin produit était destiné uniquement à la consommation locale.
Les moines furent à l’origine de cette mise en valeur des terres, provoquant en même temps le développement de l’artisanat : fabrication de tonneaux, de cuveaux [3], d’échalats, de hottes, de paniers. La forêt toute proche fournissait le bois nécessaire, le Vouzinois l’osier, les nombreuses verreries locales les bouteilles et les verres. On construisit aussi des pressoirs. Le plus prestigieux témoin de cette époque monastique est sans conteste celui de Beaulieu. Il servait non seulement à l’abbaye, mais aussi aux villages voisins. Encore intact après huit cents ans, sa taille exceptionnelle montre la qualité du travail des artisans du XIIIème siècle, ainsi que l’importance du vignoble [4].
Pressoir de Beaulieu “ Photo B. UTARD [5]
Vers le milieu du XIIIème siècle, le comte Thibault de CHAMPAGNE concéda des coteaux bien ensoleillés à essarter [6] à condition d’y planter de la vigne. Petit à petit, de nombreux villages Argonnais suivirent ce modèle et créèrent leurs vignobles, d’une surface parfois considérable pour quelques uns. Par exemple, en 1791 : La Neuville-au-Pont 92ha “ Passavant 84ha4 “ Charmont 88ha9 “ Chaudefontaine 45ha4 “ Sainte-Ménehould 33ha8 [7].
Dans notre bonne ville, « Le comte Thibault fit défricher un long coteau en amphithéâtre, à l’aspect du midi Il y planta de la vigne. Les habitants, par honneur pour le titre du Roi de Navarre que portait Thibault, donnèrent à cette vigne le nom de « côte l’y Roi ». Ce beau coteau passe pour produire le meilleur vin de Sainte-Ménehould [8] ».
Au XIVème siècle, les vignerons méhéhildiens qui avaient créé la « confrérie de Notre-Dame des vignerons », sous la dénomination de « Les frères de Saint Vincent » tenaient des registres de leurs délibérations et arrêtés, dont voici un échantillon :
« Jehan et Barthelemi BARANCEL [9] ont venu faire ripaille chez nous et toute la vignonnerie. Ces grandes gens ont baillé une belle coupe d’argent blanc dans laquelle tous les venant lamperont tous les ans, venant Saint Vincent et y chanteront avo nous, à torlarigo, la belle rêverie de BARANCEL :
Si Dieu voulait à ma prière,
Changer en vin notre rivière,
Que ce changement serait bon !
Dedans me jetant à la nage
Je ferais souvent le plongeon,
Dans un si gentil breuvage. »
Les frères de Saint-Vincent étaient de bien joyeux lurons !
Mais hélas ! certaines terres impropres à la viticulture, les années pluvieuses, les maladies, les gels tardifs qui détruisaient la récolte une année sur trois, faisaient que la quantité et la qualité des vins produits étaient bien inégales d’une saison à l’autre. Charles REMY [10], dans son Histoire de Charmont (1868) note : « Le vin est la ressource principale des habitants ; on en vend parfois pour d’assez fortes sommes. Aussi, la récolte des vignes est le thermomètre de la gêne ou du bien être dans les ménages. »
De trop nombreux déboires incitèrent les vignerons à arracher les pieds de vigne les moins productifs. De plus, à la fin du XIXème siècle, le développement du chemin de fer a permis d’acheminer partout des vins du midi, bon marché et de meilleure qualité. Si bien qu’au début du XXème siècle, les deux tiers du vignoble Argonnais avaient disparu.
Le phylloxera, apparu dans notre région à cette époque, n’est pas, contrairement à l’idée répandue, le principal responsable de cette disparition.
A la Neuville-au-Pont, le dernier « Ban des vendanges » s’est tenu le 28 septembre 1863. Il s’agissait d’une convocation des vignerons par le Maire de la commune, pour les inviter à se rendre dans les vignes, afin de juger la maturité des raisins et permettre de fixer la date des vendanges, suivant les contrées [11].
Après, ce n’était plus nécessaire. En 1882, les vignes n’y couvraient plus que 15 ha et en 1910, elles n’étaient plus qu’un souvenir
Au début du XXème siècle, il restait 55 ha de vignoble dans toute l’Argonne : 9 dans les Ardennes, 37 dans la Marne et 9 dans la Meuse [12].
Au début du siècle, Passavant avait encore 15 hectares de vignes.
A Passavant, on a vendangé jusqu’aux années 1920-1930. Peut-être un lecteur aura-t-il plus de précisions sur ces dates.
A Charmont, quelques vignobles se sont maintenus jusqu’aux années 1950-1960.
Vendanges à Charmont dans les années 1955-1960
De même, à Sainte-Ménehould, on a vendangé la côte le Roi encore quelques années après la deuxième guerre mondiale.
De l’avis général, le vin Argonnais était d’une qualité très moyenne. Les crus de Beaulieu et de Passavant étaient les mieux cotés. Certaines personnes conservent encore un souvenir ému de la terrine de lapin au vin rouge de Beaulieu que confectionnait Madame Geneviève NOEL.
Quelques vieux ceps survivants de ci de là témoignent encore de ce passé, ainsi que quelques lieux-dits (le plus grand nombre a disparu lors des remembrements !) : La Vignette à Sainte-Ménehould, Côte à vignes à la Neuville-au-Pont, Sous les vignes à Valmy, la grande vigne à Moiremont, la vigne de Révieval, les vignes du Chef Châtel, la vigne des Moines et la vigne la Dame à Charmont.
Le pays natal de DOM PERIGNON verra-t-il un jour les vignes couvrir à nouveau ses côtes ensoleillées ? Les hivers sont maintenant moins rudes, les méthodes de culture et de vinification se sont améliorées et, s’il paraît utopique de vouloir y faire du champagne, pourquoi pas un bon petit vin de pays, si la législation le permettait ?
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Clé de voûte sculptée
Sur une maison de
La Neuville-au-Pont |
Clé de voûte sculptée
sur une maison de Valmy BONUM VINUM LACTIFICAT
COR HOMINIMUM « Le bon vin rejoint le cœur de l’homme » |