Jamais la ville de Sainte-Ménehould n’a eu d’homme politique aussi important que Camille MARGAINE. Ce républicain sut, après le désastre de la guerre de 1870, affirmer ses convictions dans une chambre à majorité monarchiste. Nous avons publié dans notre n° 6 le mémoire que consacra Lucien DUBOIS à notre illustre compatriote et à son fils, Alfred MARGAINE. Nous avons retrouvé le texte dont il s’est inspiré. Signé Pierre et Paul il est paru dans la revue des hommes d’aujourd’hui, vers 1880. Camille MARGAINE est alors député de la Marne et questeur de l’assemblée, c’est à dire chargé de son administration. Il va s’intéresser aux questions militaires et devenir le chantre d’une formation militaire intégrée à l’éducation de base du citoyen. Il est en quelque sorte dans la lignée de ceux qui, à la Révolution, on voulu promouvoir une armée émanation de la nation. Ces propositions peuvent faire sourire, mais il faut les replacer dans leur contexte historique d’une France traumatisée par la déroute de l’armée de « Napoléon le Petit ».
Elu en 1876 député par l’arrondissement de Sainte-Ménehould, Camille MARGAINE a été réélu après la dissolution qui suivit le 16 mai.
Appelé par la confiance de ses collègues aux fonctions de questeur, il n’en prend pas moins part aux débats et aux travaux de la Chambre, surtout en ce qui concerne les questions militaires. Il fit échouer le projet du Général de CISSEY, qui donnait deux capitaines à la compagnie et supprimait les adjudants-majors en maintenant la fonction ; seulement, l’emploi était rempli à tour de rôle par l’un des quatre capitaines en second, et comme la fonction de capitaine adjudant-major exige une monture, il y avait un cheval par bataillon pour ces quatre capitaines. « Ce seront les quatre fils Aymon » dit M. MARGAINE. Le mot tua l’idée.
Lors des dernières discussions militaires, il insista pour que l’état major fût un corps essentiellement ouvert et recruté parmi les officiers de mérite ayant quelques années de grade au lieu d’être recrutés parmi les officiers à peine sortis des écoles. Le contrôle indépendant et fortement organisé pour pouvoir être local et préventif, devait s’étendre à toutes les armes.
Des modifications ayant été apportées à son projet pendant la discussion, modifications qui en altérèrent la portée au point de vue des principes admis, il donna sa démission de rapporteur, ne voulant pas soutenir comme tel des théories contraires à ses idées personnelles.
Mais c’est surtout en ce qui concerne le recrutement qu’il a des idées. Il croit qu’une éducation virile peut seule faire une forte génération et que la France doit faire tous les sacrifices possibles pour l’éducation militaire de la jeunesse. Par cette éducation seule on pourra arriver à établir l’égalité de « l’impôt du sang » et supprimer la circonscription. A ses yeux, le service de paix doit être d’autant plus court que le jeune Français a reçu une bonne instruction et une éducation primaire.
Il adressait au directeur politique de la semaine républicaine, son collègue et ami, Monsieur GAGNEUR, la remarquable lettre qui suit, où il émet une idée alors toute nouvelle, devenue depuis très populaire : l’introduction des exercices militaires dans les écoles primaires et secondaires.
Il déposera d’ailleurs, dès la rentrée, de concert avec son collègue, un projet de loi à ce sujet.
« Mon cher Gagneur,
Le problème consiste à assurer le service obligatoire et donner une instruction suffisante aux jeunes soldats avant leur libération. A tenir constamment prête à répondre à l’appel de la patrie une armée nombreuse, vaillante et bien dressée et cependant réduire autant que possible cet énorme budget de la guerre.
En même temps, à tenir grandement compte de la situation des campagnes et du bien légitime désir des familles d’exonérer le plus possible les jeunes gens de ce service, en temps de paix, de cette vie de caserne ou des corps de garde qui n’est ni instructive, ni utile.
Cela est d’autant plus urgent que la population des campagnes a été drainée de ses bras les plus jeunes et les plus robustes, par les guerres néfastes de l’Empire et par les travaux excessifs qu’il a provoqués dans les grandes villes. A quoi bon, se disent les paysans, ces nombreuses familles d’autrefois, si la guerre ou la ville doit nous enlever nos enfants ?
Ces différents termes du problème qui paraissent inconciliables, je vais tâcher de les concilier. Voici la solution telle que je la comprends.
Dès l’école primaire des exercices et des marches assoupliront les enfants. Les chevaux de la ferme, en courant le long des routes, serviront aux exercices des futurs cavaliers. Il faudra être soldat un jour, diront les instituteurs aux enfants ; mais si vous ne voulez pas l’être longtemps en temps de paix, prouvez d’avance que vous pouvez l’être en temps de guerre.
De quatorze à vingt ans, on ouvrirait, le dimanche et le jeudi, des écoles de tir cantonales. Déjà ces écoles se fondent, surtout dans les départements limitrophes de la Suisse, où elles sont en grand honneur.
Eh bien ! Les jeunes gens aiment le bruit et le mouvement ; ils aiment à se regrouper, s’enrégimenter, jouer au soldat. Profitons donc de cette tendance de leur nature. A vingt ans, le jeune homme saurait tirer à la cible, monter à cheval et exécuter la marche gymnastique. Le conseil de révision ne prendrait que ceux qui, mal inspirés, n’auraient pas su acquérir cette instruction militaire. Il y aurait toujours assez de ceux-ci pour le recrutement.
Pourquoi ne pas exempter d’une manière absolue du service de paix le jeune homme qui, à vingt ans, prouve à son conseil de révision qu’il a l’instruction nécessaire aux besoins du service en temps de guerre ?
Il ne lui faudrait plus que quelques mois passés au corps pour compléter son instruction et si court que soit ce temps, il suffirait pour donner aux jeunes gens les habitudes de propreté, de discipline, une tournure martiale qu’ils conserveraient chez eux.
Si nous ne pouvons réaliser dès aujourd’hui cette réforme, du moins faudrait-il se mettre à l’œuvre immédiatement ; car il faut le temps d’organiser cette éducation militaire.
Ce principe accepté, quelle émulation à devenir soldat, au lieu de la tendance actuelle à ne pas servir du tout ou à servir le moins possible !
Comme on le voit, je ne suis pas l’adversaire de la réduction du temps de service, puisque je suis, au contraire, partisan d’exempter le plus de monde possible et même tout le monde. Cependant je ne voudrais pas voir cette question de la réduction du service soulevée avant qu’on ne réglât celle de l’éducation des enfants. J’aurais peur qu’en ne s’occupant que de la diminution du service, on n’amoindrit en même temps l’esprit militaire, sans chercher à le remplacer par rien, pas même par le patriotisme. »
M. MARGAINE voudrait voir adopter ce système de l’éducation militaire et de l’exonération du service de paix graduée sur l’instruction militaire acquise ; il voudrait surtout qu’on renonçât à appliquer à un système nouveau un outillage aussi peu approprié au service obligatoire que l’outillage des lois de 1832 faites pour une armée restreinte et pour une armée alimentée par la circonscription.
La circonscription ! Mot et chose que la République eût dû faire disparaître.
Au lieu de la circonscription, il faut une armée nationale constituée par toutes les forces vives du pays, forces qui auront reçu l’instruction militaire après l’âge de vingt et un ans, si elles n’ont pas voulu l’acquérir avant.
Pierre et Paul