« Elle restait une semaine entière et même quelques fois deux. Elle travaillait vite et bien, avec beaucoup de goût. Je me souviens particulièrement d’une jupe plissée et d’une veste bleu marine dont j’étais très fière. Elle me l’avait confectionnée aussitôt après la guerre, quand j’avais une dizaine d’années. Comme il y avait encore pénurie de tissus, elle avait utilisé des échantillons donnés par un représentant habitant Somme-Tourbe.
Elle était logée et nourrie chez nous et comme en plus elle était bonne cuisinière, elle mettait volontiers la main à la pâte. Elle aimait beaucoup les plats en sauce comme le civet de lapin. Elle faisait en particulier des bouchées à la reine qui étaient un véritable délice. C’était une femme très discrète Avec elle, jamais de « ragots » d’une maison à l’autre ! Au fil des années, elle était devenue une amie fidèle pour ma mère.
Marcelle Desponds allait coudre aussi à Valmy chez des amis de mes parents, Marcel et Georgette Cochet. Dans cette famille de six enfants, Pierre, l’aîné devenu plus tard mon mari, se rappelle qu’elle restait chez eux une semaine entière environ tous les deux mois. Les petits l’adoraient, elle jouait avec eux. Quand elle cousait et qu’ ils venaient la taquiner, elle leur disait avec une grosse voix« Je vais vous coudre le derrière avec du fil rouge ! » Elle faisait de jolies robes à ses sœurs. Thérèse, la plus petite, est venue très longtemps se blottir sur ses genoux.
Chaque fois que nous allions faire des courses à Sainte-Ménehould, nous ne manquions jamais d’aller lui dire bonjour. »
Elle allait de même exercer ses talents dans une famille de Mont Saint Martin, en Lorraine. On venait la chercher en voiture et la reconduire à Sainte Ménehould plusieurs jours après. Des circonstances particulières liaient ces personnes [2] à Marcelle Desponds. En effet, elle les avait rencontrées en 1940, revenant d’évacuation, errant dans Sainte Ménehould., ne sachant où aller. Ils n’avaient pas le droit de rentrer chez eux, leur région ayant été décrétée « Zone interdite » par les Allemands.. Elle les a accueillis provisoirement chez elle en attendant que leur nouvelle vie de « réfugiés » s’organise. [3] Leur amitié ne s’est jamais démentie.
Elle ne s’est pas remariée, mais s’est beaucoup occupée de ses neveux, Alain et François Duboisy qu’elle appelait affectueusement ses « petits cocos ». C’est tout aussi affectueusement qu’ils parlent d’elle :
« C’était une femme d’une grande dignité, intelligente gentille et généreuse, très loquace, un brin autoritaire et très indépendante
, une maîtresse femme.
Quand nous avions besoin de blouses grises pour l’école, de pantalons ou de tout autre vêtement, elle venait plusieurs jours chez nous, aux Islettes.
Elle prenait nos mesures, les reportait sur du papier-journal qu’elle découpait, posait et épinglait sur le tissu. Elle taillait, faufilait, et puis, il fallait essayer. Et ça, on n’aimait pas trop, on se faisait toujours engu... . Elle nous faisait aussi nos costumes, ce qui ne nous plaisait que modérément ! on les trouvait un peu vieillot. On aurait préféré des modèles de confection un peu plus modernes comme les copains. C’est même elle qui a fait nos costumes de communiants en 1952 !
Elle se fournissait en tissus chez Nordeman. Quand elle arrivait dans le magasin, on lui avançait une chaise avec cérémonie et une vendeuse lui présentait les tissus de toutes sortes : cotonnades, soieries, lainages, ou rayonne [4] . Elle les tâtait, les palpait, donnait son avis avant de choisir avec soin ce qui convenait à ses clients : satinette pour les tabliers et les « banettes » [5], vichy pour les robes, finette pour le linge de nuit, piqué pour les chemisiers ou les robes, serge de laine pour les pantalons, les jupes, les costumes, coutil pour les vêtements de travail, velours unis ou côtelés etc.
Elle a travaillé ainsi pour de nombreuses familles jusque dans les années 60, et n’a plus fait, ensuite que quelques travaux chez ses amis. Elle a toujours vécu très simplement, sans jamais devenir riche.
Elle avait toutefois une autre passion que les tissus et la couture, elle adorait cuisiner. Elle était très gourmande et mangeait beaucoup, ce qui lui a, d’ailleurs, valu un bel embonpoint en vieillissant ! A table, s’il y avait des restes, dans un plat, elle le prenait vers elle en demandant à la ronde « Personne n’en reveut ? »Bien sûr, tout le monde disait non, et hop ! C’était déjà versé dans son assiette. »