---------La Contrôlerie est un hameau dépendant de la commune de Futeau, en Meuse. Le lieu compte aujourd’hui une dizaine de feux, dont quelques pavillons récents, sans grand intérêt historique. Le village a connu son heure de gloire, quand les maîtres verriers régnaient sur la vallée de Biesme [1]. De cette période subsistent des traces, en particulier, une imposante maison, qui a la rare particularité de posséder un toit à quatre pans. Cette bâtisse aurait pu être le domicile d’un propriétaire d’une verrerie au XVIIIème siècle. Hormis les affirmations de l’actuel occupant, un indice discret renforce cette idée et donne un renseignement précis : quelques dizaines de mètres plus haut, au cœur d’un petit terrain, se dresse une pierre tombale. Un texte y est gravé, mais reste difficilement déchiffrable. En voici la teneur complétée par des recherches généalogiques :
Ci-gît le corps de D. Marie Anne de BIGAULT D’AVOCOURT, décédée le 3 juillet 1803 à la Contrôlerie, née le 10 avril 1743, épouse en première noce de M.J.L. DORLODOT et en deuxième de M. Louis-Elie DUHOUX des ARCHES, ancien chef de L. et Ch. de St Louis. Requiem in pacem.
---------CLIN D’ŒIL DE L’HISTOIRE.
La pierre tombale est placée à l’ombre d’un houx, comme si, dans le repos éternel, Marie Anne de BIGAULT bénéficiait encore de la protection de Louis-Elie DUHOUX, son deuxième mari.
---------La famille de BIGAULT n’est pas inconnue à ceux qui se sont intéressés à l’histoire de l’industrie du verre en Argonne. On cite, de façon non exhaustive, les noms qui ont marqué cette période : DE BONNAY, DE GRANRUT, DE PARFONRUT, DE FINANCE, DE NONANCOURT, DE LA ROUVRELLE, etc Ces gentilshommes étaient fort jaloux de leurs privilèges et de leurs titres nobiliaires. Leurs fortunes étaient diverses, tantôt riches, tantôt dépourvus de tout bien. Les mariages entre les différentes branches étaient fréquents, même si les futurs époux devaient obtenir dérogation pour consanguinité.
---------En 1270, Henri, Comte d’HARCOURT, était originaire du Berry. On note traces, en Argonne, de ses petits enfants, dès le XIVème siècle où il firent souche. Les premières traces d’activité en verrerie apparaissent dans la biographie d’Etienne de BIGAULT, qui vécut au XVIème siècle. Ecuyer, gentilhomme établi au Bois-Jeppin, dans le Clermontois et les forêts d’Argonne, il avait un four à verre avec droit d’y travailler en conservant sa noblesse, suivant lettres patentes données en 1560 à Trois Fontaines, les Senades, les Islettes, la Chalade, le Neufour, Belle Fontaine. Etienne serait mort vers 1561. Il y aurait eu acte de partage de ses biens le 10 octobre 1561 (pièces produites à M. de CAUMARTIN en 1668). Etienne eut deux fils, Pierre et Jean.
---------Tous ces éléments ont été répertoriés par des descendants, en particulier M. Eric de BIGAULT des FOUCHERES et M. Guy de BONNAY de NONANCOURT. Ces lointains cousins ne se connaissent pas. Ce sont les passions de la généalogie et d’Internet qui les ont réunis. Menant chacun de leur côté des recherches, les deux chercheurs se sont rencontrés à l’occasion d’une visite organisée dans l’Argonne qu’ils découvraient pour la première fois. Ils ont été conquis par les lieux où ont vécu leurs ancêtres
---------M. Eric de BIGAULT a mené des recherches approfondies et méthodiques. Le fruit de ce travail tient dans un épais document de trois cents pages intitulé « Chronique familiale de Henri de BIGAULT : l’histoire de Henri et de ses descendants a été établie sur vingt-deux générations ». Le pavé contient la litanie des mariages et naissances, mais son auteur a cherché à illustrer ses propos de quelques anecdotes qui donnent de rares informations sur les faits de l’histoire locale. La sélection a été difficile, mais en voici quelques morceaux choisis de la période révolutionnaire. On y apprend, par exemple, que Pierre de BROSSARD de BAZINVAL (né à Bellefontaine le 23 décembre 1733) fut accusé par le comité de surveillance d’Aubréville « d’avoir abattu l’Arbre de la Liberté à Lochères, d’avoir vomi des injures grossières contre la Révolution, d’avoir souvent quitté son domicile pour aller, à Neuvilly, manger avec les chefs des ennemis et entretenir des correspondances avec eux ». Il fut condamné à mort par la Commission Révolutionnaire de Bitche, par jugement du 17 Frimaire An II (7 décembre 1793) et fusillé, « vu que, jusqu’à présent, la guillotine n’est pas arrivée ».
---------Si Pierre de BROSSARD resta fidèle au Roi comme de nombreux maîtres verriers, qui émigrèrent pour rejoindre l’armée de Condé, d’autres nobles adoptèrent des idées révolutionnaires.
---------Il en est ainsi de Louis de BIGAULT de SIGNEMONT, né en 1732. Abandonnant l’art de la verrerie qu’avait exercé ses parents, il embrassa la carrière des armes, dès 1746. Il fut réformé en 1763, mais réussit à se faire réintégrer la même année. Nommé Capitaine-Commandant le 4 juin 1776, il fit campagne sur mer en 1778 et se trouvait au combat d’Ouessant sur le vaisseau « Saint Esprit », commandé par le Duc d’Orléans, futur Philippe-Egalité. Promu Lieutenant Louis, il est victime du décret du 31 mars 1791 interdisant tout commandement militaire aux hommes âgés de plus de cinquante ans. Il se retire alors à Neuvilly-en-Argonne, où il organise la première « Garde Nationale » et se fait nommer Commandant Général de tous les gardes nationaux du département de la Meuse. Et lorsque le 21 juin 1791, le Roi fut arrêté à Varennes et que les gardes nationaux de tous les villages environnants se furent portés dans cette petite ville, il n’eut pas de peine à faire reconnaître son autorité. Mais, malgré le devoir qu’aurait du lui imposer la Croix de Chevalier de St Louis qu’il arborait sur sa poitrine et imbu des idées nouvelles, il préféra servir « La Nation » plutôt que son Roi et se mit à la tête des gardes nationaux qui escortèrent le carrosse royal de Varennes jusqu’à Sainte-Ménehould. L’Abbé GILLANT cite, à ce propos, l’ouvrage de l’Abbé GABRIEL, aumônier au collège de Verdun : « Louis XVI, le Marquis de BOUILLE et Varennes (Verdun 1784) » et raconte que « Madame Elisabeth, apercevant la Croix que portait SIGNEMONT, la montra au Roi en lui disant, avec une expression de pitié indignée : voilà, mon frère, un homme auquel vous donnez du pain ». L’année suivante, 1792, les Prussiens envahirent le Clermontois. Louis de BIGAULT de SIGNEMONT fut arrêté et emprisonné à Verdun. Délivré par KELLERMANN après Valmy (14 octobre 1792), il obtînt que ce dernier lui donna un commandement : celui de la place de Longwy. Mais, dénoncé par un nommé PACARET, il fut destitué le 1er février 1793. Il ne resta pas longtemps en disgrâce et, dès le mois d’avril 1793, on le retrouve Commandant de la Place de Sarrelouis. A nouveau dénoncé, il reste en détention jusqu’au 17 octobre 1794 et n’est libéré que grâce à l’intervention de KELLERMANN. Cette nouvelle détention marqua la fin de sa carrière. Retiré à Neuvilly dont il sera maire, il disparut au mois d’août 1796. Son corps fut retrouvé le 24 août 1796 (le 6 Fructidor an IV) dans la forêt d’Argonne, au lieu-dit « Les Bas-Bois » entre Neuvilly et le Claon. Son cadavre fut découvert à moitié dévoré par les loups. Sa femme, raconte l’Abbé GABRIEL, ne voulut point le reconnaître. Il fut enterré au cimetière de Neuvilly.
---------Lors de l’épisode de Varennes, Louis de BIGAULT de SIGNEMONT approcha la famille royale de près. Il est un autre membre de la lignée des de BIGAULT qui participa, bien involontairement, à ces événements. Il s’agit de Jean-Baptiste de BIGAULT de PREFONTAINE, qui, à la fin de sa carrière militaire, vivait retiré à Varennes, où il gérait les biens que le Prince de Condé possédait dans le Clermontois. En 1891, une petite nièce de M. de PREFONTAINE écrit : « Mon digne grand-parent passa deux nuits et deux jours debout en attendant ce trésor royal pour l’armée et que lui, avec son expérience, pensait devoir cacher ce passage de personnes attachées à la Cour et à la Famille Royale. Cette nuit du 21 juin 1791, à onze heures du soir, Monsieur le Chevalier de PREFONTAINE, n’en pouvant plus, se jeta tout habillé sur son lit et il donna l’ordre à son fidèle valet de chambre, Cervisier, de l’éveiller à la moindre alarme. La Reine entrait chez lui deux heures et demie après et ne voulut pas qu’on dérangeât Monsieur de PREFONTAINE, malgré le désir qu’en manifestait Cervisier, qui, du reste, ne pouvait voir dans cette dame vêtue de soie noire, avec une sorte de mante à capuchon renversé sur la tête, le trésor royal que son maître lui avait dit vouloir surveiller de très près. Cervisier fut cependant frappé de la beauté de cette dame et il n’en parlait jamais, de longues années après, qu’en disant : « Ah ! Elle était toute belle, elle me demanda l’heure qu’il était : je regardais ma montre, minuit et demie, Madame, puis elle s’éloigna au bras d’un Monsieur ». En 1865, au procès des héritiers PREFONTAINE, Monsieur de SEZE, avocat, a soutenu « un soir, dans la nuit du 23 juin 1791, une voiture s’arrêta en face de son habitation (de Préfontaine). Plusieurs personnes en descendent et demandent à entrer. C’était la Reine, après quelques moments de repos, elle se lève, remercie et se retire. Il y avait bien là un événement rapide, inopiné. Telle était la tradition très sure de la Famille, très respectée dans le pays. La chambre qui a reçu la Reine quelques minutes a été conservée telle qu’elle était à ce moment et elle est devenue l’objet d’un pieux souvenir » (le Droit, 17/09/1865) [2] .
---------Ces quelques extraits prouvent l’importance sociale et politique qu’avaient les de BIGAULT dans la région. Ils avaient et ont encore pour devise « MITTIT CRYSRALLUM SUAM SICUT BUCCELLAS » Psaume 147, verset 17 de la Vulgate, qu’un membre de la famille propose de traduire ainsi : « Tout ce qui sort de leur bouche se transforme en cristal », ce qui convient parfaitement aux maîtres verriers.
---------La documentation concernant la famille de BIGAULT peut être consultée sur Internet et on peut entrer en relation en écrivant à eric.de-bigault@wanadoo.fr. Monsieur Eric de BIGAULT accueillera avec plaisir toute forme d’information sur l’histoire des maîtres verriers de l’Argonne et de leurs familles. Il organise, pour le printemps prochain, une cousinade. Si tous les descendants d’Henri s’y retrouvent, on verra foule en vallée de Biesme.
br>
La maison familiale des De BIGAULT