---------Celui-là descendait en droite ligne du célèbre lièvre de La Fontaine ; aussi ne nous étonnons pas que les facétieux chasseurs de Mareuil-en-Brie n’aient été dupes du tour qu’il vient de leur jouer.
---------Dernièrement, des jeunes chassaient : un lièvre, poursuivi par des chiens et ayant au moins un kilomètre d’avance, sortit du bois et vint à passer près du berger du village. Ce dernier, qui ne jouait pas du flageolet comme ceux de Florian, aperçut notre gaillard qui fuyait à toute vapeur. Il lança ses chiens et notre lièvre, déjà fatigué, fut bientôt atteint et appréhendé au collet ; déjà les mâtins le secouaient, ni plus ni moins qu’un gendarme qui saisit un démocrate ; déjà, il était à demi mort, lorsqu’un villageois, le sieur R. vint à passer. Ecarter les chiens, donner un coup de fourche sur les reins du pauvre animal, le charger sur ses épaules, fut l’affaire d’un instant. Il s’en allait, fier comme un garde national qui porte son arme à volonté, tranquille comme un rentier qui n’a pas mis à la loterie des lingots d’or, lorsque le berger le rejoignit. Ce dernier avait tout vu, et, alléché par l’appât d’une cuisse de gibier, il avait laissé ses sabots dans les champs pour reprendre son lièvre.
---------Grand débat ! L’un veut garder la bête, l’autre la veut partager. Cette scène rappelait le célèbre jugement de Salomon. Il est fâcheux que ce grand monarque ne se soit pas présenté, car l’affaire se fût terminée autrement.
---------« - Ce sont mes chiens qui l’ont attrapé ! disait le berger.
---------- Bah, si je ne l’avais pas assommé avec ma fourche, il serait bien loin !
---------- C’est égal, il m’en faut ma part !
---------- Eh bien, soit, partageons !
---------- La jolie bête ! Quel poil lustré ! Je vous laisse la peau, vous la vendrez au moins cinquante centimes !
---------Sur ce, maître R. jette sa bête à terre et tire son couteau.
---------« - A quelle sauce le mangerez-vous ? reprit le berger ; moi, je le ferai rôtir.
---------- J’aime mieux un civet. Il me semble déjà que la fumée me monte au nez. Quelles cuisses ! Quel gaillard !
---------Là-dessus, il se baisse pour prendre le lièvre, mais ce dernier, qui avait entendu ce colloque, lève les oreilles, et, comme il n’était qu’à moitié étourdi au moment où l’on vantait le potelé de ses cuisses, il se dresse sur ses pattes et s’élance d’un bond dans les champs, laissant nos deux quidams se disputer encore la peau du lièvre, avant de l’avoir vendue.
---------Nous garantissons à nos lecteurs la véracité du fait et nous affirmons que notre lièvre n’est pas un canard.