Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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LE REFUGE

(3ème partie)

   par André Theuriet



Résumé des chapitres précédents


---------Après avoir mené grande vie, gaspillé son bien, Vital de Lochères retourne, à cinquante-huit ans, sur ses terres et s’installe dans le château familial à la Harazée. Lors d’une promenade en forêt, égaré, trempé, il est recueilli par Monsieur de Louëssart, garde général des forêts. A cette occasion, il rencontre la fille de son hôte, Catherine dont la jeunesse et la beauté le troublent.

V


---------Il n’avait pas l’intention de frayer « avec ces Louëssart » et cependant, quinze jours ne s’étaient point encore écoulés qu’il s’acheminait, par une après-midi de décembre, vers le hameau du Four-aux-Moines. A la vérité, il avait choisi avec préméditation cette journée de soleil, comptant bien ne trouver personne au logis ; mais, si nous sommes maîtres de nos décisions, nous oublions toujours que le pouvoir d’en régler les conséquences ne nous appartient pas. Si, dans le domaine de l’âme, les lois qui nous déterminent à agir restent incertaines et mystérieuses, il est indiscutable du moins qu’une fois l’acte accompli, notre volonté est impuissante à en diriger ou à en atténuer les suites. En dehors de nous, nos actions engendrent une succession de phénomènes dont le gouvernement nous échappe irrémissiblement. De même, assis à la crête d’une colline escarpée, il nous est loisible de détacher une pierre du sol ; mais, dès qu’elle a roulé sur la pente, nous ne sommes plus maîtres de l’arrêter dans sa chute hasardeuse. Dut-elle en ricochant écraser deux ou trois vies humaines, nous n’y pouvons plus rien et nous assistons, consternés, aux désordres causés par le désagrément, insignifiant en apparence, d’un caillou que notre pied a nonchalamment poussé dans le vide. Si nous y réfléchissions, chacune de nos déterminations devrait nous faire frissonner d’angoisse ; mais nous calculons rarement jusqu’au bout la portée de nos actes ; notre égoïsme nous empêche d’en avoir nettement la prévision, et c’est ce qui explique la tranquille sérénité avec laquelle M. de Lochères s’avançait sur la route du Four-aux-Moines.
---------La terre durcie par la gelée résonnait sous les pieds du marcheur. Sur la pâleur laiteuse du ciel d’hiver, les cimes boisées se profilaient fondues et vaporeuses. Le givre, qui blanchissait l’herbe des prés, suspendait des filigranes diamantés aux fines branches des taillis. Dans les endroits ombreux, elles ressemblaient à de délicates dentelles, tandis qu’aux places où tombait le soleil, elles prenaient d’humides teintes rosées. Par ce beau temps sec, Vital supposait que les Louëssart devaient être absents. « Tout s’arrangera pour le mieux, songeait-il, je ne trouverai personne et la politesse sera faite. » Quelques renseignements peu favorables, recueillis à droite et à gauche, avaient corroboré en partie le jugement porté par Mme Saudax sur le garde général, et Vital se souciait peu de continuer des relations avec ce personnage d’un caractère douteux. A mesure qu’il se rapprochait du Four-aux-Moines, l’hypothèse d’une rencontre avec M. de Louëssart lui semblait de moins en moins probable, et déjà il fouillait dans sa poche pour préparer les cartes qu’il déposerait entre les mains de Mariette. Bientôt la maison grise lui apparut au détour du chemin, avec sa toiture ensoleillée et son perron de pierre séparé du ruisseau par un sentier herbeux. A la naissance de la gorge étroite, un silence profond enveloppait le logis. Le ruisseau engourdi par la gelée se taisait, les bois engivrés étaient muets ; seul, à l’une des cheminées, un filet de fumée bleue montant tout droit vers le ciel donnait une apparence de vie à la demeure ensommeillée.
---------Vital sonna discrètement et attendit une bonne minute qu’on répondit à son coup de sonnette. Déjà il se disait que la maison était déserte et s’apprêtait à glisser sa carte pliée dans le trou de la serrure, quand il entendit enfin un pas léger sur les dalles du couloir ; la porte s’entrebâilla et il se trouva face à face avec Catherine de Louëssart. Pendant tout le trajet, il avait souhaité l’absence des maîtres du logis, et soudain, par une illogique contradiction, il éprouva une sourde joie en voyant devant lui la blanche et séduisante figure de la jeune fille.
---------Catherine elle-même parut plus réjouie que gênée par cette visite inattendue. Ses yeux noirs s’éclairèrent et un sourire accueillant retroussa les coins de ses lèvres, tandis qu’elle s’excusait d’avoir fait attendre le visiteur.
---------- Pardon, dit-elle, Mariette est allée aux provisions, mon père est en forêt et je suis seule à garder la maison.
---------- En ce cas, Mademoiselle, je ne veux pas être indiscret et je vous prie d’exprimer tous mes regrets à Monsieur votre père ...
---------En même temps, il faisait mine de se retirer, mais c’était hypocrisie pure ; il espérait bien qu’on le retiendrait et ce fut ce qui arriva :
---------- Comment, Monsieur, se récria-t-elle, vous voulez vous en aller ? Je pense que vous ne me ferez pas cet affront, ou bien je croirai que vous craignez de vous ennuyer en compagnie d’une petite fille ... Venez vous reposer un instant ... D’ailleurs, mon père ne tardera peut-être pas à rentrer.
---------Elle s’effaça pour le laisser passer, puis l’introduisit dans la salle à manger où elle s’était installée près du poêle, avec un livre étalé sur la table recouverte de toile cirée :
---------- Pardonnez-moi de vous recevoir ici, reprit-elle en avançant un siège, c’est la seule pièce où il y ait du feu ...

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