Fin juillet 1940 “ La ligne de démarcation à Verrières
---------La ligne de chemin de fer Revigny-Amagne matérialisait la ligne de démarcation entre la zone occupée à l’ouest et la zone interdite à l’est, où l’on ne pouvait se rendre sans papiers.
---------Les Allemands, pensant annexer la zone interdite, ne tenaient pas à ce que les habitants y reviennent, surtout les agriculteurs dont ils spoliaient les terres et le bétail. Les propriétaires devenaient ouvriers agricoles et le remembrement était tôt fait. Nous l’avons constaté plus tard, en rendant visite à l’oncle Marcel à Sivry.
---------Des patrouilles allemandes veillaient. Sur le pont supérieur en haut de la « Perrière », un poste de garde était établi (il occupait la maison Debreille, aujourd’hui Jean-Paul C.).
Une mitrailleuse était en position sur le pont et la sentinelle scrutait à la jumelle le coin du Moulin de Bas, jugé point sensible. Les abords de la ligne de chemin de fer avaient été élagués, ce qui leur donnait une bonne visibilité.
---------Mais heureusement, il y avait des « angles morts », ce qui a permis à des dizaines de meusiens en particulier, de franchir cette « frontière » sans encombre, mais avec l’aide bénévole de passeurs.
UNE DES PLUS GRANDES FRAYEURS
---------Un samedi soir, nous voyons arriver trois jeunes femmes de trente trente-cinq ans, avec quatre enfants de six à treize ans. Des personnes d’un village voisin, dont elles ne connaissaient pas le nom, leurs avaient dit : « Allez dans ce village, à quelques kilomètres d’ici, voyez le maire, il vous fera passer ! »
---------Cette petite troupe, avec quelques sacs de vêtements (dont vraisemblablement les maris étaient prisonniers) voulait regagner la Meuse. Après les avoir restaurés, ils passèrent la nuit sur le tas de foin dans la grange (il faisait bon à cette époque). Je leur dis : « Demain, de bonne heure, je vous ferai passer ! »
---------Et ce dimanche, après leur avoir donné à chacun un bol de lait et un morceau de « pain cuit maison », nous nous préparons à partir (j’avais été chercher dans une musette des pommes d’août sous l’arbre de Gaston). Nous faisons un crochet (par les Caurettes “ il y avait un petit sentier à l’emplacement de la maison Guillet) pour ne pas être vus des Allemands postés au pont supérieur. On redescend près d’une carrière qui ne ressemble pas à celle d’aujourd’hui. Le sentier est un peu abrupt. Il nous permet d’atteindre le déversoir qui servait à réguler le niveau d’eau. Il actionnait une turbine, qui elle, faisait fonctionner une petite tournerie de manches de plumeau. Le long de ces vannes, il y avait une étroite passerelle et pour y accéder, un escalier vétuste constitué de croûtes de bois de scierie.
---------Je dis aux trois femmes : « Montez, je vais vous passer les enfants ». J’en passe un, puis deux, qui gagnent l’autre rive avec l’aide de leur maman Quand tout à coup, j’entends un bruit de moteur proche et deux voitures s’arrêtent à une dizaine de mètres de nous : des Allemands !
---------J’ai eu, je l’avoue, une des plus grandes frayeurs de ma vie et je pensais que j’avais été dénoncé. Ils avaient vu notre « manège » ! Je crie aux femmes : « Restez de l’autre côté, asseyez-vous près de la rivière. Vous êtes en promenade. Je vous passerai les deux enfants tout à l’heure ». C’était invraisemblable, mais dans ces moments là, on n’a pas le temps de réfléchir. Les Allemands pouvaient connaître le français ? J’avais près de moi les deux enfants, les plus jeunes : six et sept ans.
---------Je vois descendre cinq officiers allemands. Ils sortent du coffre de leur voiture leurs fusils de chasse. Ils s’avancent dans ma direction. Je suis un peu rassuré par ce genre d’armes. Quatre montent prestement l’escalier, répondant « Guten Tag » à mon « Bonjour Messieurs ». Le cinquième, un peu attardé, répond à ma salutation, gravit l’escalier. Pendant ce temps, l’une des femmes avait de nouveau franchi la passerelle dans l’autre sens pour récupérer les enfants qui étaient restés près de moi et ne réalisaient pas la situation. Mais l’officier lui dit : « Nein ! » et se retournant, il me tend les bras ; je prends l’enfant et lui passe.
---------Il le remet à la maman qui était derrière lui, puis tend à nouveau les bras (fusil en bandoulière) pour prendre le dernier. Je lui dis un « Danke schöne ! »
---------Je n’oublierai jamais cet épisode de ma vie : ma frayeur et cette situation peu ordinaire d’un officier allemand qui m’aide à passer des enfants de l’autre côté de la digne de démarcation ! Bien-sûr, à mon sens, ils n’ignoraient pas que c’était la ligne séparant la zone occupée de la zone interdite. Eux, n’étaient pas des S.S., mais vraisemblablement des officiers de réserve, pères de famille. De plus, ils venaient faire une partie de chasse et n’étaient pas chargés de faire la police.