Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Enigme d’initiales.

   par Jean-Claude Léger



          A la lecture de la page 33 du N° 42 dans « un peu de tout » j’ai émis un doute certain concernant l’affirmation que la maison Margaine était bien identifiée au numéro 22 de la rue Camille Margaine avec les initiales C et M enlacées que l’on peut également lire M et C.

          Les initiales peuvent être passées l’une dans l’autre comme représentées au 22 de la rue Camille Margaine, dans ce cas les typographes désignent l’ensemble de ces lettres sous le terme de « chiffre ». Les initiales personnelles juxtaposées sont apposées par les contractants au bas de chaque page des actes notariés, elles se trouvent sur les chevalières ou bien sont utilisées comme raccourci par les journalistes pour désigner une personne ayant une très grande notoriété, les exemples foisonnent comme PPDA, DSK, MAM et plus proche de nous BBB. Les initiales superposées CM de la chapelle sont bien personnelles de « Camille Margaine » le fronton nous le précise clairement. C’est là qu’est inhumé Henri Camille Margaine. Généralement ce sont les patronymes d’un couple qui sont mentionnés sur les sépultures familiales. Le fronton aurait pu être gravé des noms Margaine et Simon mais ce n’est pas le cas, bien que Lucile Simon fût enterrée à côté de son époux.
          Il faut résoudre l’énigme des initiales de l’imposte du N° 22 ; en partant du postulat que les initiales entrelacées sont le résultat d’une union, je peux orienter l’enquête. La première fois qu’elles seront gravées et encerclées ce sera dans un cœur sur un tronc d’arbre ou sur une pierre tendre, c’est l’Amour. Un couple a de multiples raisons de marquer sur de nombreux supports leurs initiales patronymiques. On les trouve sur les alliances, le linge de maison, les couverts et parfois la vaisselle, ou même d’une façon plus intime et indélébile par tatouage sur le corps. La propriété immobilière suit cette règle d’une manière plus ostentatoire et ce n’est pas un vain mot, il faut faire remarquer à quel couple appartient cette demeure. De nombreuses habitations bourgeoises sont marquées par cette identification personnalisée. A La Neuville au Pont les initiales sont gravées de part et d’autre de la porte d’entrée, dans un cartouche, un écusson au-dessus de celle-ci, ou encore superposées l’une à l’autre. Naturellement j’ai recherché les anciens propriétaires : les matrices cadastrales sont consultables en mairie. Ainsi j’ai pu identifier le dernier et l’avant-dernier. Jean-Marie Lequerme que je connaissais de très longue date, m’a donné de mémoire les deux précédents. Je progressais sur le parcours du jeu de piste, je pouvais aller vers un autre point de ralliement pour découvrir un nouvel indice. Je n’ai pu avoir de contacts avec les descendants de ces derniers propriétaires. Je ne pouvais pour autant me résoudre à jeter l’éponge, selon l’adage que tous les chemins mènent à Rome, il me fallait prendre un autre itinéraire. Je suis donc allé consulter les Archives Départementales : mon plaisir de prédilection. La source fondamentale pour la poursuite de mon investigation sera les recensements de la population de Sainte- Ménehould au 22 de la rue Camille Margaine pour les années 1936, 1931, 1911, 1906, 1896, 1991 et 1886. Ces états mentionnent l’identité des locataires d’un immeuble, mais en aucune façon le propriétaire. Avant la guerre de 1940 de nombreuses personnes étaient domiciliées dans la maison dont ils étaient propriétaires, une supposition mais sûrement pas une certitude. D’autres indices peuvent nous éclairer, l’individu est connu par sa situation par rapport au chef de famille, par sa profession et le niveau social, c’est à dire « patron » ou « ouvrier » avec le nom de leur patron. En 1891 des Martin sont domiciliés au 22 de la rue de Royon (ancien nom de la rue Camille Margaine). Je détenais peut-être une première initiale celle d’une rentière célibataire, mademoiselle Charlotte Martin, chef de famille, âgée de 44 ans, la deuxième initiale ne pouvait exister et pour cause. Il me manquait dans ma supposition un couple, les parents de Charlotte Martin. Fort de cette supposition et d’une argumentation sérieuse concernant les noms de la lignée des éventuels propriétaires, je pouvais finaliser mes recherches. La garantie ne pouvait être assurée que par un officier public, il apporte l’authenticité irréfutable. J’ai sollicité Maître Reuther qui m’a reçu le 30 avril, je lui ai présenté mes supputations argumentées. Au fur et à mesure qu’il consultait ses archives, mes hypothèses se confirmaient pour devenir la réalité. Avant la lecture partielle des différents actes notariés j’indiquais les vendeurs, ce que Maître Reuther confirmait avec un large sourire, jusqu’au dernier de ma connaissance concernant Charlotte Martin. A partir de cette personne, je n’avais aucune proposition à formuler. L’énigme fut levée à l’énoncé de l’acte de partage fait le 30 mai 1895 entre mademoiselle Charlotte Martin et sa sœur Mme Selmer suite aux décès des parents, monsieur Anselme Martin, de son vivant ancien conservateur des hypothèques du bureau de Sainte Ménehould et de sa femme Mélanie Charinet. Maître Reuther n’avait pas perdu son temps. Nous détenions enfin une réponse à ces énigmatiques initiales MC entrelacées, elles correspondent assurément au couple Martin et Charinet. Ces initiales ont un style désigné par l’expression « Ecole de Nancy » qui vit son apogée entre 1895 et 1905. Elle est connue par le travail de ses verriers (Gallé, Daum, Muller) de ses ébénistes (Majorelle, Vallin). Nous retrouvons le style de l’art décoratif de ces ébénistes justement dans l’assemblage de ces deux initiales sculptées dans le bois. Il est possible de situer maintenant la période de réalisation de l’imposte. Elle est antérieure à la date du partage du 30 mai 1895 (voir ci-dessous) et postérieure à 1886 car la famille Martin n’était pas encore domiciliée à cette date au 22 rue de Royon. C’était la demeure de la famille d’un avoué, celle d’Auguste Jacquot. Le tracé de cette œuvre est une merveille d’harmonie pour ces deux lettres entrelacées. Il est très probable que l’Ecole de Nancy ait pu inspirer un artiste local maniant avec dextérité le ciseau à bois.

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