La relecture du livret de Mme Procureur a ravivé en moi certains souvenirs que m’ont racontés mes parents. Comme beaucoup je regrette de ne pas les avoir assez écoutés.
Mon père est allé à l’école avec M. Rousselle, ma mère née en 1913 a fréquenté la classe de son successeur M. Mignot qui est arrivé à Verrières en 1925. A plusieurs reprises j’ai eu l’occasion de parler avec des dames qui, elles aussi, étaient écolières à cette époque.
Comme mes parents, elles m’ont vanté le formidable dévouement de ces enseignants qui ne ménageaient ni leur peine ni leur temps. Ma mère m’a souvent parlé du patronage du dimanche après-midi. Mon père m’a raconté être allé aux cours du soir pour adultes. Il me disait y avoir beaucoup appris. Tous se souvenaient des fêtes que les instituteurs organisaient, au 14 juillet notamment, mais aussi des pièces de théâtre l’hiver et des voyages de fin d’année pour récompenser les lauréats du certificat. Les enseignants n’hésitaient pas à garder les élèves qu’ils présentaient au certificat après la classe et même le jeudi matin. C’est très justement qu’on les a appelés « les hussards de la République ».
Mais comme le dit François Duboisy dans le journal « L’Union », un conflit va naître entre ces enseignants éduqués qui viennent de la ville et une population traditionnelle, figée qui envoie ses filles à « l’école libre ». Mes parents m’ont peu parlé de cette situation. Ils n’étaient pas nés quand M. et Mme Rousselle sont arrivés au village. Mais c’est certain que les enfants ont été les témoins et parfois les victimes de cette animosité qui existait entre les deux camps.
Ma mère a fréquenté l’école publique. Elle n’était même pas baptisée. Son père, ayant eu un différend avec le curé du village. Cela devait être rare à l’époque et elle l’a certainement mal vécu. Peut-être aurait-elle aimé avoir des amies qui fréquentaient l’école libre ; peut-être était-elle humiliée d’aller à l’école qu’on appelait alors « l’école des pauvres ou l’école du diable ».
Mon père, au contraire, avait des parents très pratiquants. Il allait, comme tous les garçons du village, à l’école publique, mais M. Rousselle ne devait pas être tendre avec ces enfants. J’entends encore mon père me dire : « Quand j’ai passé mon certificat, ma mère avait gardé un coq qu’elle destinait à l’instituteur comme cela se faisait. Je n’ai jamais voulu aller le porter et je ne suis jamais retourné à l’école. Je préférais aller glaner avec ma mère. Et pourtant, me faisait-il toujours remarquer, c’est dur pour un gamin d’aller glaner » !
Des dames du village m’ont dit : « celles qui allaient à l’école libre se croyaient supérieures. Même qu’on se battait dans la ruelle de l’église » ! L’une d’elles se souvient que lors de la communion solennelle, les filles de l’école libre étaient devant et les autres derrière. Mme Procureur cite l’histoire du reposoir de la « Titine » que le prêtre n’a pas voulu bénir parce qu’il y avait des petites filles de l’école publique. Mais inversement Suzanne, élève de l’école libre et qui, à sa fermeture, a rejoint l’école publique, s’est vue attribuer, avec ses autres compagnes, les places près du poêle, au fond de la classe, sans beaucoup d’attention de la part de l’instituteur. Ma mère me racontait aussi qu’elle avait vu un instituteur, lors d’un goûter, servir d’abord tous ses élèves et s’occuper à peine des autres.
Les années ont passé. Ces querelles sont bien loin maintenant. Tous les élèves fréquentent l’école publique, la bonne vieille école (très bien rénovée) de M. et Mme Rousselle. L’école libre est maintenant la salle des fêtes du village.
J’ai également rencontré Roger Hénin, habitant de Verrières. Voici ce qu’il m’a dit : « L’ouverture d’une école publique a créé une cassure entre les habitants. Il y avait ceux qui sentaient que l’instruction apporterait une vie meilleure à leurs enfants et ceux plus réfractaires, moins ouverts aux nouveautés. Il y avait les »rouges« comme on les appelait, favorables à l’école publique et les autres, sous l’influence de l’église qui était importante à cette époque. Les successeurs de M. et Mme Rousselle, plus consensuels, ont apporté un peu de calme et amélioré les rapports entre les gens. Puis ce fut à nouveau des heurts entre le clergé et de nouveaux enseignants, l’un et l’autre plus sectaires. Le contexte politique, un peu avant la deuxième guerre, étant favorable à cette opposition. En 44, l’école libre a fermé. Les gens avaient bien d’autres soucis. Des jeunes instituteurs sont arrivés et le prêtre qui était en place, grâce à ses grandes qualités humaines et à son dynamisme, a su réconcilier tous les habitants. »