Lorsque nous nous reportons au temps de notre enfance : enfants d’agriculteurs, nous constatons entre hier et aujourd’hui une grande différence, cet hier se situant avant la dernière guerre. Nous pouvons y joindre le temps d’occupation, où rien n’a évolué... Beaucoup a changé depuis, en ce qui constitue la vie professionnelle et la vie familiale.
Sur le plan professionnel : l’importance, à cette époque, du travail manuel était la base même de toute l’activité. Tant de travaux s’effectuaient à la main : non seulement les binages, démariages des betteraves, échardonnages. La plupart des fermes possédaient un troupeau laitier, trait à la main, souvent par la fermière elle-même, ce qui obligeait à une présence permanente, dimanches et jours de fête compris. S’ajoutaient les soins quotidiens aux animaux : alimentation, entretien des étables, sorties des fumiers, suivi par le chargement dans des tombereaux pour la conduite aux champs et l’épandage...
Le temps des récoltes : fenaison, moisson, ramassage des pommes de terre, cueillette des fruits... exigeaient beaucoup de bras ; malgré la présence de faucheuses, faneuses, moissonneuses-lieuses que nos grands-parents considéraient déjà comme des grands progrès par rapport à leur temps avec le fauchage à la faux et le liage avec des liens de paille. Le battage des moissons fait souvent par des entreprises itinérantes était lui aussi comparé au battage au fléau d’autrefois...
Mais à l’époque de notre enfance, la mise en meulons du foin, sa manipulation en vrac, le chargement en chariots, jusque son engrangement en greniers où il fallait remonter de lourdes fourchées de foin. Tout cela nous rappelle de durs moments de labeur... Le temps de moisson demandait lui aussi de nombreux travaux manuels depuis le « débassage » opération qui consistait à faucher à la faux à crochets le tour des champs de céréales, afin d’éviter aux chevaux tirant la moissonneuse, de marcher dans la récolte, jusqu’à la mise en tas des gerbes et leur rassemblement en meules édifiées aux champs ou rentrées en grange près de l’exploitation.
Les chevaux constituaient la force motrice, quasi exclusive, pour le travail des terres : labours, préparation des sols, charrois en tous genres, tirage des machines... Nous pouvons même dire qu’en ce temps, les agriculteurs produisaient leur carburant « pour la nourriture des chevaux : avoine et foin produits sur l’exploitation » production très écologique !!
Toute la famille de l’agriculteur était très impliquée : l’épouse, comme dit plus haut, se chargeait souvent de la traite des laitières et des travaux de laiterie : vente du lait aux clients de la ferme... Dans certaines exploitations suivaient écrémage et confection du beurre et des fromages puis commercialisation auprès des familles clientes et de commerces locaux...
Les enfants eux aussi étaient souvent associés aux travaux agricoles : les grandes vacances à l’époque, s’étendait du 15 juillet au 1er octobre (période de travaux plus intenses), ramassage des pommes de terre et des fruits en saison, conduite au parc ou garde des troupeaux dans la vaine pâture [1], coupage des ficelles à la batteuse, mise en tas des gerbes à la moisson etc... Tout au long de l’année, tous les membres de la famille, y compris les grands-parents, s’impliquaient en période de gros travaux ou de travaux spécifiques comme l’abattage du porc et la confection de la cochonnaille... Elle servirait à toute la famille...
Existait aussi une solidarité du quartier et du village, pour donner un coup de main rémunéré ou échangé contre d’autres services ou fournitures (charrois, lait pommes de terre, fumier...) aide fournie toujours en période de travail intense ou à l’occasion d’un événement exceptionnel : accident, décès, fête familiale...
La vie familiale : sur le plan alimentaire, la famille vivait beaucoup en autarcie : lait et produits laitiers, œufs, volailles, viande de porc et charcuterie, souvent base de l’alimentation carnée tous les jours de la semaine avec poisson le vendredi et souvent volaille ou lapin le dimanche, légumes du jardin, fruits. Chaque ferme possédait quelques arbres fruitiers... Pour la boisson, depuis longtemps déjà dans la région, la vigne avait disparu et ne fournissait plus de vin. En Argonne le cidre était encore produit dans beaucoup de fermes, avec les pommes ramassées dans les pâtures et les poires carisées (venant de gros poiriers occupant souvent les fourrières ou les bouts de champs). Le cidre était pour les familles la boisson principale.
Certaines coutumes festives se présentaient chaque année : dans notre région, la Saint Eloi le 1er décembre (elle se fête toujours) réunissait tous les travailleurs de la terre et du métal avec Messe solennelle, bénédiction et partage ensemble de la brioche, bien arrosée... A cette occasion, chaque propriétaire de chevaux préparait une corbeille d’avoine où étaient implantés des petits pains, autant que de chevaux possédés, ils étaient bénis et distribués aux animaux au repas de midi. Dans de nombreux villages à la Saint Eloi, toute la communauté se rassemblait pour un repas en commun, parfois accompagné de jeux ou d’un bal.
A la fin de la fenaison et de la moisson, lorsque rentrait le dernier chariot de foin ou de gerbes, un bouquet de fleurs sauvages était accroché sur l’échelette avant ; c’était l’occasion pour tous ceux qui avaient participé aux travaux, de déguster une tarte préparée par la fermière, autour d’un pot de l’amitié, moments chaleureux où se racontaient histoires, anecdotes et souvenirs.