Pour faire suite à l’article de Jean-Louis Méry, il m’a semblé intéressant de rencontrer un jeune agriculteur pour connaître sa vision de l’agriculture d’aujourd’hui et de demain
C’est Arnaud Fouraux, 37 ans, marié, deux enfants, qui a accepté de répondre à nos questions avec beaucoup de gentillesse et d’intelligence. Notons qu’il exploite les terres de Monsieur Méry au sein du G.A.E.C. de Pinette.
Pourriez-vous nous présenter votre exploitation ?
C’est un G.A.E.C. qui comprend deux unités de culture, l’une à La Croix en Champagne, l’autre à Sainte-Ménehould. Nous avons donc repris le G.A.E.C. de M. Méry, ses installations et également loué d’autres terres. Cinq couples de deux générations vivent sur l’exploitation ainsi que deux salariés. Si on se limite à Sainte-Ménehould, l’exploitation compte 280 hectares dont 70 en propriété. 67 ha sont en pâture, 70 consacrés à l’ensilage du maïs pour l’élevage, le reste produit du grain qui est vendu. La caractéristique du G.A.E.C. est l’importance donné à l’élevage laitier (125 vaches laitières) et également la commercialisation du lait et la fabrication de fromage qui nous donne une lisibilité particulière.
Cette laiterie-fromagerie est une activité essentielle pour vous ?
Il n’en est rien, elle ne dégage pas de bénéfice. Regardons les chiffres : pour notre élevage, nous avons un quota laitier de 1,3 millions de litres que, par manque de place, nous n’atteignons pas, nous limitant à 1 million de litres. En plus nous sommes autorisés à transformer 135 000 litres en laiterie-fromagerie, mais nous n’atteignons que 80 000 litres vendus sous forme de lait cru et fromage (6% de la production).
Pourquoi ne pas atteindre votre quota ?
Parce que le marché n’est pas très porteur. Quelle est la ménagère, aujourd’hui, qui s’intéresse au lait cru pour en extraire la crème et la frangipane pour la pâtisserie ? Et la fabrication manuelle, sans aucun automatisme ainsi que la commercialisation nécessitent beaucoup de travail.
Comment s’organise la commercialisation ?
Nous vendons 20% de la production sur les marchés de Vitry et Châlons (et là il faut se lever de bonne heure), ainsi que dans les commerces locaux et grandes surfaces du type Leclerc et Carrefour.
Vous étranglent-ils comme ils le font avec les autres producteurs ?
Non, on ne se plaint pas. Ils ont besoin de nous pour se donner une image « terroir » et les négociations se passent bien.
Pourquoi ne produisez-vous pas des fromages plus communs du type camembert ?
Nos installations ne sont pas du tout adaptées à une telle production qui nécessite de l’automatisme, donc un gros investissement. Actuellement, le fromage est fait manuellement par ma mère et ma tante qui pensent à la retraite.
C’est à dire que la fromagerie qui fait partie du patrimoine de la ville risque de disparaître ? Adieu le « Menou fermier » ?
C’est probable car il ne sera pas possible d’embaucher deux salariés pour prendre la suite. Cela serait pour nous une charge financière insurmontable.
Avez-vous pensé à diversifier vos productions ?
Nous avons un troupeau de 40 vaches allaitantes de race Gascogne, rustiques et nécessitant peu de soins. Mais c’est avant tout pour occuper des parcs car, ne bénéficiant pas de primes, elles ne sont pas d’un grand rapport.
Et les cultures maraîchères les fruits rouges ?
C’est un tout autre métier et ce n’est pas le nôtre.
Et maintenant, parlons d’avenir. Et tout d’abord pour les années qui viennent.
Il est malaisé de parler d’avenir. Tout est flou car les prix de nos productions ne sont pas fixes. Comment monter un projet alors que les prix font le yoyo. En 2009, le prix du lait a baissé de 17%. Quant au blé, il est passé de 240 à 100. Toute une spéculation se développe sur nos productions. Ainsi, lorsque les prix étaient hauts, nous avions envisagé de construire un grand bâtiment d’élevage à La Grange aux Bois, qui nous aurait permis d’accroître notre cheptel. La baisse des prix à la production, la hausse des charges (soja-matériel), l’incertitude concernant les quotas laitiers que l’on parle de supprimer nous a amenés à renoncer au projet.
Que souhaitez-vous ?
Tout d’abord ne plus vivre de primes qui nous donnent une mauvaise réputation dans le pays, une réputation d’assistés alors que nous travaillons beaucoup.
Je crois que l’opinion publique a bien compris et votre image est positive maintenant.
Je l’espère. Nous voulons simplement vivre de notre travail avec des prix rémunérateurs et fixes qui nous permettent, comme toute autre entreprise, de pouvoir développer des projets en toute sécurité. L’image du cultivateur travailleur libre est désuète. En fait, on ne décide de rien. On est pris en tenaille entre la politique agricole européenne et les intermédiaires.
Et si on se projette dans 20 ans, alors que l’on parle de l’après pétrole, qu’en sera-t-il de l’agriculture ?
On peut imaginer une production raisonnée de Diester réservé à l’agriculture. Quant à l’énergie électrique, aura-t-elle assez progressé pour concerner notre matériel ? Je ne sais pas, mais je sais qu’on aura toujours besoin d’agriculteurs. On s’adaptera.
Propos recueillis par François Duboisy.