A Verrières, charmant village à trois kilomètres de Sainte-Ménehould, la légende de Saint-Didier, patron de la paroisse est encore bien vivace dans la tête des anciens.
Voilà cette légende, citée dans « Contes et légendes de Champagne et des Ardennes » de Roger Maudhuy. Un peu partout en Champagne et en Bourgogne, on voyait en Saint-Didier un saint de glace. Et le moins que l’on puisse dire est que les vignerons de Verrières, voyant leur vignes gelées le jour de la Saint-Didier, le 23 mai, eurent une vengeance assez spéciale.
C’était la fin du XIIIème siècle. En Champagne, les vignes donnaient l’espoir d’une récolte abondante. Hélas, il gela. A Verrières, ce fut le jour de la Saint-Didier. Les vignerons étaient furieux de voir leurs vignes entièrement gelées. Ils attribuèrent ce désastre à leur Saint patron et coururent à l’église enlever la statue de bois du Saint. Ils la garrotèrent comme si c’était quelque voleur et la traînèrent près d’une fontaine. Là, l’ayant attachée à une longue bascule, ils lui plongèrent plusieurs fois la tête dans l’eau, l’insultant et lui reprochant les gelées, puis la levèrent bien haut, lui disant de bien regarder les dégâts. Ensuite, ils promenèrent la statue dans les environs pour que le Saint puisse voir les dégâts qu’il avait commis. Ils revinrent au village et jetèrent la statue dans la fontaine.
C’est depuis lors que cette fontaine porte le nom du Saint et qu’on ne cultive plus la vigne à Verrières. En effet, de rage, les vignerons arrachèrent leurs vignes et changèrent de métier.
Dans son livre, Roger Maudhuy ne rapporte pas ce que les villageois disaient en plongeant la statue dans la fontaine : « Luvez lu bié haut, l’briga, qui voyi l’dégâ qu’il y fa ! ». Ce qui veut dire : « Levez-le bien haut, le brigand, qu’il voit le dégât qu’il a fait ! »
Folkloriste et historien, Roger Maudhuy vit en bord de Meuse. Il est considéré comme l’un des meilleurs connaisseurs de la littérature orale du nord-est de la France.
Pourquoi cette légende de Saint-Didier dans la page du poète ? Parce que Séverine Hussenet a repris cette légende et l’a réécrite sous une forme poétique pleine de saveur.
La famille Hussenet est une vieille famille de Verrières. Son grand-père Marc écrivait dans notre journal. Après le baccalauréat, Séverine a fait cinq ans d’études à l’Institut supérieur agricole de Beauvais. Elle habite maintenant à Saint-Aubin de Crétôt en Seine-Maritime.
La légende de Saint-Didier
En ces temps reculés,
Dans notre belle contrée,
Les habitants n’étaient pas
Encore des « Padas ».
Partageant leur vie,
Sans trop de soucis,
Entre l’église et le café
Et les terres à cultiver.
Ils n’étaient pas mécontents
De leurs vignes et de leurs champs.
Et tous les fermiers
A l’esprit intentionné,
Cultivaient les vignes avec soin,
Sachant qu’elles fourniraient le vin.
Après avoir bien travaillé,
Ils se reposaient sur leurs lauriers.
Car Saint-Didier, leur saint patron,
Honoré dans toutes les maisons,
Veillait pendant qu’ils dormaient.
Tout allait très bien
Jusqu’à ce beau matin,
A l’aube du 23 mai,
Tous se réjouissaient,
De cette fête patronale
Qui ne s’annonçait pas si mal.
Depuis le boulanger,
Sur ses fourneaux penché,
Jusqu’à l’ecclésiastique
Qui astiquait ses reliques
Car on portait le Saint Patron
Dans tout le village en procession.
Mais, lorsque le premier Victor
Mit son nez dehors,
Il s’aperçut avec effroi
Qu’il avait fait bien froid !
Aussitôt on envoya
Le petit Eloi
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Voir aux « Corettes »
Les dégâts de cette nuit frisquette !
Il revint bientôt
L’air idiot :
Le jour de la Saint-Didier,
Les vignes avaient gelé !
Tous braillaient
Que le saint exagérait
La récolte était fichue,
Tout était perdu ;
Une année de vaches maigres
Les rendait tous aigres.
Le Saint, responsable de ce délit
Devait être puni !
A l’église on courut
Chercher la vénérable statue,
Malgré les cris du brave curé,
Les villageois emportèrent Saint-Didier.
On le suspendit au bout d’une corde,
Et, dans un grand désordre,
Toute la population suivit,
Dans les rues du pays,
L’étrange procession
Du Saint patron.
C’est bien sur en patois
Que criaient les villageois :
"Luvé lu bié haut l’briga,
Qui voyi l’dégâ qu’il y fa !"
Puis, pour marquer leur peine,
C’est dans la fontaine
Qu’ils plongèrent Saint-Didier
Afin de lui faire avaler
De l’eau, à défaut du vin
Qu’ils n’auraient point.
C’est pourquoi
Les villageois,
Sont, depuis ce temps-là
Appelés « les Padas [1] ! »
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Notes
[1] (Pada veut dire pendeur, on dit aussi Padada)
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