Le monde paysan fait parler de lui : négociations de l’organisation mondiale du commerce, méfiance vis à vis des manipulations génétiques, opposition à une agriculture sans âme industrialisée, uniformisée, défense d’une ruralité racine de chacun d’entre nous. Dans notre Argonne menacée par la désertification, mais riche des traditions agrestes, ces questions touchent notre sensibilité.
Pour marquer notre symbiose avec ceux qui travaillent notre terre, nous avons voulu leur rendre hommage à travers cet émouvant poème d’un des leurs.
J’ai vu certain matin d’avril se lever le soleil ...
Pourquoi ce spectacle quotidien m’a semblé sans pareil ?
Peut-être, parce qu’il y eût ce jour-là tant de beauté
Tant de préparation, tant d’éclat ... tant de complicité
A moins que l’âme du poète ... qui sommeille ...
Au cœur du paysan que je suis ... ne s’éveille ...
A la promesse de la vie ... à l’annonce du nouveau jour ...
J’ai ralenti mon pas ... de l’horizon ... mon regard fit le tour ...
En face : « Cité Kellermann » ... volets ... clos ... seule une cheminée fume ...
A droite Crémont ... déshabille ses sapins ... de leur robe de brume ...
Plus bas, « les Prages » ... à peine verdoyants ... enlisés dans le brouillard ...
Plus loin .. le château ... Vertes-Voyes incertaines dans le matin blafard ...
Des corbeaux en quête de semailles nouvelles ... passent en croassant ...
Un camion qui quitte l’autoroute ... freine bruyamment ...
Un chien aboie du côté des « marécages » ... une vache appelle son veau ...
Puis l’arrêt ... le silence ... l’attente de l’événement nouveau ...
A la pointe Sud de « Crémont » ... juste à côté ... de « mon idée » ...
Une lueur est apparue ... jaunâtre ... orangée ... comme auréolée ...
Le brouillard recule ... la lueur devient clarté ... le jaunâtre rougeoie ...
Un premier croissant se découpe sur le côteau ... la brume poudroie.
Des milliers de particules se dispersent ... chassées par la lumière ...
Les premiers rais du soleil ... bondissent dans une danse fière ...
Le croissant devient hémisphère ... masse incandescente ...
Porteuse de la chaleur future ... irrésistiblement ... ascendante ...
De buisson en arbuste ... reconnaissant le paysage familier ...
Les rayons musardent conquièrent l’espace ... le prunier ... pommier ...
L’un deux s’attarde sur le toit de la maison ... du grenier : la lucarne
Fut son premier éclat de rire ... je lui trouvais ... bien du charme ...
Puis quittant la crête ... le soleil largue sa dernière amarre ...
Majestueux ... resplendissant de tous feux ... monte sans tintamarre ...
Semblant s’arracher à l’attraction terrestre ... magnifique ... il rit ...
Scintillant à travers toutes les rosées ... dispersées ... il sourit ...
Le soleil était levé ... j’ai repris ma marche dans l’aube nouvelle ...
J’ai respiré à pleins poumons ... j’ai trouvé la vie plus belle ...
Les yeux ivres du spectacle ... du soleil ... de la plaine ...
Paysan ébloui ... le cœur gonflé d’une joie sereine ...
Témoin de la vie qui renaît ... témoin de la neuve création ...
J’avais vu se lever le soleil ... je compris que cela était bon.
mai 1978
Photo F. STUPP