Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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LE REFUGE

(2ème partie)

   par André Theuriet



IV


Lorsqu’il entra dans la chambre qui lui était destinée, Vital trouva, devant un feu clair, des serviettes et du linge de corps étalés sur des chaises et déjà tièdes. La prévoyante Catherine y avait ajouté des vêtements empruntés à la garde-robe de M. de Louëssart. Ce dernier contempla avec satisfaction les préparatifs faits par sa fille.
- J’espère, dit-il, qu’elle n’aura rien oublié ... Vous allez être obligé de revêtir ma défroque pour ce soir, mais dès que vous aurez quitté vos effets, on les portera dans la chambre à four et vous les trouverez bien secs demain matin. Maintenant je vous laisse ... Quand vous serez prêt, vous nous rejoindrez dans la salle à manger.
Vital le remercia vivement et le vit partir avec joie. Il lui tardait de se débarrasser de ses hardes humides et lourdes comme des éponges. Catherine avait pensé à tout ; sur la table du lavabo, M. de Lochères remarqua un pot d’eau chaude et même un flacon d’eau de verveine que la jeune fille avait dû certainement distraire de ses propres objets de toilette. En un clin d’œil il se dévêtit, se lava, se frictionna et goûta avec délice l’agréable sensation qu’on éprouve, après avoir été trempé de pluie, à introduire son corps ressuyé dans une chemise chaude. Le linge de M. de Louëssart était d’un grain un peu rude, mais il exhalait une suave odeur d’iris. Après avoir enfilé la veste de chasse trop longue et trop étroite du garde général, M. de Lochères se sentit néanmoins plus à l’aise et descendit en pantoufles dans la salle à manger, qu’une suspension éclairait de sa lumière blonde et où un poêle de faïence répandait une douce chaleur.
Il y trouva Mlle Catherine, seule, occupée à étager avec de la mousse, en deux corbeilles de dessert, les pommes et les poires de son jardin. Au bruit de la porte ouverte et refermée, elle se retourna, vit celui qu’elle considérait un peu comme un héros de roman, engoncé et sanglé dans le veston paternel ; elle ne put réprimer un sourire qui courut sur ses lèvres malicieuses et creusa les fossettes de ses joues. Vital, bien qu’il ne se fût pas regardé dans la glace, devina le motif de cette hilarité.
- Vous riez de mon accoutrement, mademoiselle, dit-il d’un ton jovial, mais quoi ? ... J’ai le tort de n’être pas aussi svelte que monsieur votre père, et je m’estime encore fort heureux d’avoir pu échanger mes habits humides contre un bon veston bien douillet ; d’ailleurs, à mon âge, il faut mettre la coquetterie de côté.
- Pardon, monsieur, murmura-t-elle, confuse ...
Elle s’en voulait d’avoir été prise en faute et rougissait visiblement.
- Vous allez me croire moqueuse, s’écria-t-elle en manière d’excuse, et je ne suis qu’étourdie ! ... J’ai le vilain défaut de ne pouvoir cacher les folies qui me montent au cerveau.
- Allons donc, répliqua Vital, c’est vouloir paraître ce qu’on n’est pas qui est un défaut ... La franchise au contraire est une qualité.
- Pas toujours ! dit Catherine en hochant la tête ; dans les petits pays, il faut tourner sept fois sa langue avant de parler, sans quoi on a vite la réputation d’une évaltonnée et d’une fille mal élevée ... C’est, du reste, l’opinion qu’ont de moi ces dames de la Chalade.
- Qui sont ces dames ?
- Des personnes très respectables et très collet monté : Mlle de Saint-André, Mme de Verrières ...
- Mme de Verrières aussi ! s’exclama en souriant M. de Lochères qui se souvenait d’avoir été jadis très avant dans les bonnes grâces de la dame ... ; n’est-ce point une brune piquante, assez jolie, grande, avec un léger duvet à la lèvre supérieure ?
- Piquante, elle l’est toujours, repartit la jeune fille avec une pointe de sarcasme ; quant à jolie, possible qu’elle l’ait été de votre temps, mais il n’y paraît guère aujourd’hui, et le duvet de sa lèvre est devenu une belle moustache ...
- Au fait, soupira rêveusement Vital, en s’appuyant au buffet sur lequel Catherine rangeait ses fruits, il y a vingt-quatre ans de ça, et j’en parle toujours comme si c’était hier. Les jolies femmes de mon temps doivent être montées en graine ... C’est curieux qu’on ne se sente pas vieillir !
Il demeurait familièrement accoudé en face de la jeune fille, qui souriait et lui répondait en manière de compliment :
- Bah ! vous autres hommes, vous restez bien plus longtemps jeunes que les femmes !
La porte se rouvrit et M. de Louëssart apparut avec un panier à bouteilles. Il s’arrêta un moment sur le seuil à examiner le groupe formé par sa fille et M. de Lochères, se tortilla complaisamment la barbe, puis, refermant bruyamment l’huis, il dit à son hôte :
- Excusez-moi, j’étais descendu à la cave. Je n’ai point de bordeaux ni de bourgogne à vous offrir, mais un simple petit vin du Verdunois ... Seulement, je l’ai soigné moi-même et il a neuf ans de bouteille.
En parlant, il tirait du panier les fioles avec précaution et les disposait sur la nappe.
- Maintenant à table ! ajouta-t-il, à la vue de Mariette qui apportait le potage.

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