Néanmoins Pierre Gamin a conservé jusqu’à sa retraite une clientèle d’agriculteurs ayant gardé des chevaux. Beaucoup étaient éleveurs et possédaient plusieurs juments poulinières. Cela finira dans la décennie 50-60 Les tracteurs prirent toute la place. Mais avant, entre 1930, date à laquelle il avait pris la succession et 1950-1955, ce sont les chevaux qui occupaient le plus le bourrelier. Jeune, je me rappelle que chaque année, avant les foins, se pratiquait dans chaque ferme d’élevage le rhabillage. Le bourrelier s’arrêtait 2 à 3 jours dans chaque exploitation pour passer en revue l’ensemble des harnais : réparer, recoudre, confectionner, démonter selles et colliers au crin trop compressé pour l’aérer dans les griffes d’une cardeuse. Tous les harnais en cuir étaient ensuite trempés dans l’huile chaude pour leur conservation. Ce travail fait chaque année autour des harnais m’impressionnait. Il m’avait suggéré un poème que je vous propose à la suite de ce rappel de la vie d’un artisan bourrelier. Tous ceux qui ont pu le fréquenter l’ont apprécié et aimé.
Pierre Gamin est décédé subitement le 9 avril 1969, dans sa boutique, où, en retraite, il aimait encore taquiner le cuir.
Le 15 janvier 2012, Jean-Louis Méry.

Enseigne du magasin, photo musée de Sainte-Ménehould
Le rhabillage et le bourrelier
Tire, tire donc, tire forttire vite sur la fine ficelle
Elle brunit, se raiditprend couleur caramel
La poix figée, dans les replis d’un cuirPierre Gamin
Préparait son fil de coutureà chaque matin
Bourrelier, durant deux jourspour le rhabillage
A la ferme contrôlaitl’harnais des attelages.
Chaque année ainsi, au début de l’été : brides, croupières
Avaloirs, sellettes, guidescolliers et ventrières
Passaient dans les mains expertesdu gai bourrelier
Il cardait crinrembourrait sellettes et colliers
Trouait à l’emporte piècecousant, nous fascinait
L’alêne perçaitdansaient les aiguillesqu’il tirait.
En chantantblaguant : perce, tire dessous, tire dessus
Virevolte d’aiguillesbelle couturela vitesse en plus
Amplitude et précision des gestesle fil roux
Accompagne en larges arabesquesce ballet fou
De chaque harnais vérifiéle cuir à la suite
Etait trempé dans l’huile chaudemis à sécher ensuite.
Ainsi chaque annéese répétaitl’aventure
Images déjà loind’une disparue conjoncture
Comme celle du charronqui ferrait les roues de bois
Du maréchal qui battait les ferstant de fois.
Forges, ateliers : furent lieux d’échanges, de bruits, de vie
Souvenirs retrouvésrappellent ce qu’était la vie.
Août 1996
A gauche, après la rue, le magasin avec l’enseigne, à droite la ferme Méry