J’ai acheté une lampe dans une brocante en Belgique, au prix de 3 euros, une lampe française. Ces lampes qui font la joie des collectionneurs sont facilement identifiables car elles portent au dos l’inscription SNCF. Je me doutais que ces lampes avaient une histoire ; il n’en fallait pas plus pour que je demande à Jean Hussenet, éternel chef de gare, de nous la raconter.
- - - - - - - - - - - - -
Ces lampes se nomment « lanternes de manœuvre en signalisation ferroviaire » ; les agents les utilisaient pour assurer les manœuvres d’engins, wagons de marchandises et voitures de voyageurs. Tout candidat au métier de cheminot apprenait ces consignes en premierDans les triages, les voies de service et dans les gares, les agents de manœuvre utilisaient, soit un drapeau rouge de jour, soit cette lanterne la nuit. Mais aujourd’hui on utilise des liaisons radio beaucoup plus efficaces et moins dangereuses.
Les lampes étaient rangées dans une lampisterie, un petit bâtiment situé à l’origine à l’écart car les premières lampes étaient à acétylène. Chacun avait sa lampe mais il n’y avait pas de nom gravé ; dans une manœuvre il fallait être quatre personnes : le chef de manœuvre, 2 brigadiers et le conducteur.
L’utilisation de cette lanterne devait se conformer à une « gestuelle réglementaire » composée de cinq ordres précis : « tirez-refoulez-ralentissez-arrêtez-appuyez ».
Tirez : le feu blanc de la lanterne est élevé verticalement de bas en haut à plusieurs reprises ; le train peut avancer.
Refoulez : le feu blanc de la lanterne est balancé horizontalement : le train doit s’arrêter.
Ralentissez : le feu blanc de la lanterne est présenté avec un léger mouvement d’oscillation vertical.
Arrêtez : le feu rouge de la lanterne est présenté ou, à défaut, n’importe quel feu vivement agité.
Appuyez : le feu blanc est élevé à hauteur des épaules et déplacé à plusieurs reprises horizontalement d’un léger mouvement.
Dans la manœuvre de jour, le drapeau est soit roulé pour « tirez refoulezralentissez » soit déployé vivement et agité pour « arrêter ».
Dans les années 60, il y avait encore 10 agents à la gare de Sainte-Ménehould. On livrait des wagons à l’usine de la zone ou du charbon chez Perrin. Puis le trafic a baissé et le nombre d’agents avec. Et maintenant on ne manœuvre pratiquement plus la nuit.
J’étais chef de manœuvre de juin à octobre 1969 dans les gares de Villers-Daucourt, La Neuville au Pont et Vienne la Ville sur un locomoteur « Y 4000 » (400 chevaux. C’était Guy Moreau le chef de gare. Puis mon poste a été supprimé avec la disparition de la ligne Amagne Lucquy et l’abandon de la gare de Guise. Mais je suis revenu à la gare de Menou en 1981 avant de prendre ma retraite en 2001

Pour la photo, Jean a remis sa casquette et a fait les mêmes gestes qu’à la grande époque de la gare de Menou, des gestes qu’il n’a apparemment pas oubliés