Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Un argonnais protestant choisit l’exil.

   par Luc Delemotte



Les anglais ont déjà le sens des affaires.
Le XVIèsiècle est marqué par les guerres de religion. Les communautés s’affrontent et souvent persécutés, les protestants doivent s’exiler. Cela explique en partie la présence de verriers français, et notamment lorrains, en Angleterre. Parmi eux, des gentils-hommes argonnais quittent la vallée de Biesme. La répression n’est pourtant pas sévère dans la région et qui se préoccupe de ces quelques ouvriers perdus dans les bois ? En fait, les maîtres verriers cherchent à échapper aux taxes de plus en plus lourdes et ils entendent l’appel d’un exilé, Jean Carré. Ce dernier propose un contrat de neuf ans aux artisans qui veulent s’installer en Angleterre. Alors que les maisons nouvellement construites sont plus confortables et comptent de plus en plus de fenêtres, la demande de vitres est en forte augmentation. Or nos verriers argonnais maîtrisent l’art de fabriquer ce verre plat et leur réputation a dépassé les frontières. De son côté, Jean Carré est un habile négociateur. En août 1567, il écrit à Lord Burghley, conseiller de la reine Elizabeth, pour obtenir une patente. Il prétend que les matériaux utilisés dans cette industrie ne sont que « fougère, ronces et cailloux » de peu de valeur. L’espoir de voir fabriquer un produit recherché à bon marché pousse le gouvernement anglais à accepter le marché.

Mais rapidement les verriers anglais voient d’un mauvais œil l’installation de concurrents étrangers qui ne partagent ni connaissances ni bénéfices et quiconsomment de grandes quantités de bois. La situation devient si tendue qu’en 1574,des maisons de français sont incendiées au cours de révoltes. Dix ans plus tard, Mr Newkener, membre du parlement du Sussex, demande que soit employé un ouvrier anglais pour deux ouvriers étrangers. Cette proposition aurait permis le développement de l’espionnage industriel mais, alors que la proposition est entérinée par les deux chambres, la reine refuse de la signer.

La situation tendue des années 1570 ne ralentit pas l’arrivée de verriers lorrains.

Des verriers argonnais en tirent partie.
En 1571, la famille du Houx, auparavant établie aux Senades et à la Contrôlerie, est notée sur les registres de l’Eglise Française de Rye dans le Sussex. Trois ans plus tard, ils sont enregistrés sous le nom de « Dehowe » à Wilsborough Green in the Weald.

Ces protestants ont fuit la France et l’un d’entre eux, Pierre du Houx, établit en 1576 un four à Buckholt dans le Hampshire (sud de l’Angleterre) [1].

Les immigrants protestants devaient prouver leur foi pour être admis aux offices « avec attestation » ou « témoignage ». La Société huguenote a publié les registres de l’Eglise Wallone de Southampton. On y repère notamment le nom de M. du Houx, à la date du 4 janvier 1579, verrier à Bouque Haut (« Bouque Haut » est vraisemblablement la traduction phonétique de « Buckholt »). Il peut s’agir de Jean du Houx, recensé en 1580 dans la même ville et qui voit son nom transformé en John de la Hooe. [2].

On trouve trace de verriers argonnais en d’autres lieux. Au début du XVIIèsiècle, les « Bigos » [« Bigots ], « Henzeys » [Hennezel] et « du Houx » s’installent à Eccleshall. Ces derniers sont originaires des Senades, près des Islettes, où ils sont recensés en 1582 et 1594. En 1616, la famille d’Isaac du Houx réside à Stockport, dans le Cheshire, bien que la verrerie d’Isaac du Houx soit construite à Denton près
de Manchester, au lieu-dit Haughton Green. Le choix d’Issac du Houx peut s’expliquer par le fait que les pasteurs d’Eccleshall étaient puritains. Il aurait donc préféré s’établir dans cette localité plutôt que de s’installer dans le sud-ouest du Lancashire, riche en charbon et en sable mais dominé par l’Eglise Catholique Romaine.

La présence de verriers argonnais en Angleterre est donc attestée dès le XVIèsiècle. Les généalogistes ont étudié la descendance de ces émigrés, laissant une part importante à la branche anglaise. Reste que si, à l’occasion d’un voyage outremanche, vous croisez un Monsieur Dehowe, il peut s’agir d’un anglais qui a des souches argonnaises [3].

Notes

[1Des fouilles menées aux alentours de 1860 prouvent l’existence de ces activités le long du tracé d’une voie romaine.

[2Signe d’intégration, beaucoup de Lorrains se voient ainsi anglicisés : « du Tisac » devient « Tysac »,« Vaillant » devient « Valayan », « Hennezel »devient « Henzey ».

[3Un article évoquant la famille du Houx a été publié par notre revue, N°18 de Janvier 2005.

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