En Argonne, on connaît le nom « mobile » par le monument situé à la sortie du village de Passavant, élevé en souvenir d’une tragédie : le massacre des Mobiles. Moins connue est cette chanson dont la partition a été retrouvée par Roger Berdold, membre de notre association.
Cette chanson est une romance qui raconte l’histoire d’un soldat, un Mobile, pris dans la tragédie de ce massacre, blessé et fait prisonnier. Le mobile était un soldat de la « Garde nationale Mobile » qui était composée des exemptés du service actif, ceux qui avaient échappé au recrutement soit par chance au tirage au sort, soit par exonération. C’est le maréchal Niel, alors ministre de la guerre, qui avait instauré cette garde mobile par la loi du 1er février 1868. Ces soldats étaient familièrement appelés « moblots ».
Cette tragédie de Passavant a été maintes fois contée : Louis Brouillon, dans son ouvrage « l’Argonne, guide du touriste et du promeneur » y consacre plus de deux pages. Ce guide a été écrit au tout début du XXème siècle, bien avant la guerre de 14-18, et quelques dizaines d’années seulement après la tragédie.
De Vitry à Passavant.
C’était la guerre de 1870 ; après un début de conflit désastreux, on se décida à appeler les soldats de la garde mobile et les jeunes gens concernés des arrondissements de Vitry et Sainte-Ménehould durent se rendre à Vitry où était le centre de recrutement. Les pauvres jeunes qui furent tués à Passavant étaient donc pour certains des Marnais, certains habitant même les villages concernés par ces douloureux évènements ; Bouillon écrira que quelques mobiles avaient été autorisés à aller jusqu’à la maison de leurs parents. Notre héros de la chanson était donc, comme beaucoup d’autres, « un jeune enfant de notre Argonne ».
Ce 25 août, le 4ème bataillon des mobiles de la Marne avait quitté Vitry-le-François pour se rendre à Sainte-Ménehould, avant de rejoindre l’armée de Mac-Mahon. La troupe était composée de 1 200 gardes mobiles, d’artilleurs et de soldats, en tout 1 500 hommes. Les mobiles, dit Louis Brouillon, n’avaient comme signe distinctif qu’une cocarde et un fusil à tabatière dont ils connaissaient peu le maniement.
La troupe, malheureusement, rencontra des Allemands et de nombreux mobiles se réfugièrent alors vers la ferme de la Basse (commune de Sivry-Ante). Faits prisonniers, 843 hommes et 27 officiers furent emmenés par Ante, Villers et Passavant. Là, presque à l’entrée du village, ce fut le massacre : 49 Mobiles furent tués, 125 blessés et 669 (chiffres donnés par Brouillon) furent emmenés en Silésie [1], dont le mobile de la chanson.
Une romance à la fin heureuse
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Cette chanson est une romance, car le Mobile « se mourait de sa mie ». Du soldat, on ne saura jamais ni le nom ni le prénom, l’auteur dira « petit soldat de France » ou « moblot », peut-être volontairement pour que ce soldat puisse être un de ceux qui furent emmenés en Silésie. Tout allait cependant bien se terminer : avec l’aide de Dieu, le soldat guérit, la guerre se termina et le Mobile rentra chez lui où, presque mourant dans les bras de son père, il revint à la vie grâce à l’air vivifiant de l’Argonne et au minois de sa chère Sylvie. Comme dans les bonnes histoires, ils se marièrent et
Si on sait peu de choses du compositeur, Mlle M. Gaillard, par contre l’auteur des paroles est bien connu de ceux qui fouillent l’histoire : Henri Paupette, patron du journal local « Le Revue de la Marne » (le bureau était près de l’actuel café-hôtel Dom Pérignon) et auteur de nombreux poèmes. Notre Ménéhildien en profite pour vanter l’Argonne : les grands taillis, la forêt sombre, les bois ombreux, les prés fleuris, la fière Argonne et le riant pays. Henri Paupette avait d’ailleurs la plume facile et agréable, et là, dans ces paroles, il trouve, et ce n’est pas toujours facile, deux rimes avec Argonne : « je frissonne en songeant à ma fière Argonne » et « il épousa la mignonne dans son riant pays d’Argonne ».
Ce chant patriotique était dédié au commandant Duval, ancien chef du 4ème bataillon des Mobiles de la Marne, ce 4ème bataillon qui, d’ailleurs, connut cette tragédie de Passavant.
Cette chanson n’est pas datée, mais c’était l’époque où l’on chantait beaucoup ; cette partition était en vente à la librairie Alexandre, rue Chanzy, au prix de 25 centimes. Et si, comme dans tout écrit, le droit de reproduction est réservé, on peut dire, sans parler de domaine public, que Mlle Gaillard et Henri Paupette seraient bien heureux que l’on ressorte de l’oubli leur si jolie romance.
John Jussy sur une idée de Roger Berdold
- A lire : « Le massacre des Mobiles de la Marne à Passavant » par A. Patoux, réédition en 2003 dans la collection « Le livre d’histoire ». (En vente à la Bouquinerie de l’Argonne à Hans)
Le monument de Passavant, dû à un architecte et à un sculpteur de Reims,
a été inauguré le 28 août 1871. Une cérémonie s’y déroule chaque année.
II
Mais quand s’agrandirent les jours,
Le bon Dieu vint à son secours ;
Il vint redonner l’espérance
A son petit soldat de France.
Son flanc troué se referma.
Mais comme en un diorama,
Chaque nuit dans ses lourdes fièvres,
Ces mots revenaient sur ses lèvres :
Refrain
Je veux revoir mes grands taillis,
Ma forêt sombre et mon pays.
O ! mon Dieu, je vous en conjure,
Il faut, pour guérir ma blessure,
Mes bois ombreux, mes prés fleuris,
Mes vieux parents, mes bons amis !
Dans mon délire, je frisonne
En songeant à ma fière Argonne.
III
La terrible guerre prit fin.
Et le « Moblot » chez lui revint.
Expirant presque de misère,
Tomber dans les bras de son père.
Mais les senteurs de ses grands bois,
L’air vivifiant et le minois
De sa chère et douce Sylvie,
Le rappelèrent à la vie.
Refrain
Deux mois après on pouvait voir,
Parmi les ombres d’un beau soir,
Devisant sur l’herbe fauchée,
Le « Mobile » et sa fiancée.
Le seigneur exauça ses vœux,
Il fut complètement heureux,
Car il épousa la mignonne
Dans son riant pays d’Argonne !