Etre là, dans un trou, blotti contre un talus
Sous la grêle effroyable et folle des obus !
Etre là ! Ne pouvoir partir ! Sentir l’immense
Souffle lugubre et froid de la mort en démence
Passer sur votre tête et faire frissonner
Le corps qu’on essaie en vain de dominer !
Etre là ! Ecouter sous l’horrible rafale
Monter, autour de vous, rauque et profond le râle
Des blessés appelant sans espoir au secours !
Etre là ! Se baisser en attendant toujours
La fin de cette sombre et rouge boucherie,
Et s’étonner, tremblant, qu’on sente encor la vie
Circuler dans le sang qui fait bondir le cœur,
Sous la peau où ruisselle une étrange sueur !
Et puis quand le silence a recouvert la plaine,
Quand la nuit lentement s’est refaite sereine,
Aller, la gorge sèche, enlever les blessés,
Reconnaître les morts l’un sur l’autre entassés,
Et la tâche accomplie, les yeux au ciel sans voiles,
Interroger, farouche et calme, les étoiles !
Aisne, avril 1917, en souvenir d’une nuit sanglante
Fernand Carrier (1896-1918), L’Ombre étoilée (1919)
Ce jeune soldat français, mort au champ d’honneur le 29 juillet 1918, a écrit son recueil de poèmes au front, pendant les moments de repos.
Ce poème m’a été transmis par François Duboisy. Je pense qu’il a toute sa place dans notre Petit Journal alors que l’on célèbre, cette année, le centenaire de la « Grande guerre ».