Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Il ne faut pas en rire

Un accident au Pont des Bois.

   par John Jussy, Luc Delemotte (dessin)



Il est des histoires qui font rire quand on les raconte, qui attristent quand on les lit. C’est le cas pour ce récit qu’on pourrait intituler : « Le noyé et le curé ».

Le Pont des Bois enjambait le deuxième bras de la rivière Aisne, sur le chemin de l’Allemagne, un pont justement nommé puisqu’il était sur la route qui mène aux bois ; plus tard on le nommera le « Pont Rouge ».
A cette époque la ville ne s’était pas encore étendue jusqu’à lui. Le pont, dont l’entretien était à la charge du gouvernement, menaçait ruine depuis longtemps, ébranlé par le grand nombre de voitures qui y passaient journellement. On avait demandé plusieurs fois sa reconstruction, ce fut en vain.

L’hiver 1783-1784 fut très rude ; la neige couvrit les terres pendant plus de six semaines. Le dégel, associé à une pluie incessante, provoqua des inondations et la crue de l’Aisne. Les eaux rugissaient, emportant des blocs de glace qui s’amoncelaient et se heurtaient avec fracas.
Des personnes bien imprudentes venaient sur le pont pour jouir du spectacle inhabituel offert par Dame Nature. Ce jour-là, trois bourgeois se trouvaient au beau milieu du pont quand l’arche centrale se souleva et retomba dans la rivière, entraînant avec elle les malheureux curieux. Deux furent entraînés jusque dans la prairie de Planasse inondée, mais le troisième, arrêté à peu de distance du pont par un amoncellement de branches, resta à vue des témoins et des personnes accourues après avoir entendu le fracas.
On mit rapidement une embarcation à l’eau, mais elle chavira et les sauveteurs faillirent se noyer ; une corde fut envoyée plusieurs fois à l’aide d’un arc, mais elle n’atteignit pas le but. Trois heures passèrent pendant lesquelles le malheureux se lamenta et cria qu’on le sorte de là. Alors, nous dit Buirette [1], « avec simplicité » parce qu’à cette époque ce devait être une chose naturelle, l’homme vit apparaître sur le pont le curé de la paroisse, tout de noir vêtu et un crucifix à la main.
Que se passa-t-il alors dans la tête du malheureux si celui-ci, après 3 heures de souffrance, pouvait encore penser à autre chose qu’à sa survie ? De l’effroi en pensant que si on avait fait venir le curé c’est qu’il n’y avait plus aucun moyen de le sauver ou satisfaction de mourir en ayant reçu les Saints Sacrements ? L’homme reçut la bénédiction avant de périr noyé. Autres temps, autres mœurs.
Les deux autres compagnons de malheur furent retrouvés au bas des vignes de la Côte Le Roy où les eaux tumultueuses les avaient entraînés ; l’un était mort, l’autre vivant, était « à moitié gelé ». Il vécut encore quelques mois dans des douleurs atroces, après avoir subi deux amputations.
Chacun pensa, comme on le fait encore aujourd’hui, que le bilan aurait pu être plus lourd si le pont s’était détaché en entier ; une trentaine de personnes auraient alors subi le même sort que les 3 malheureux. De plus « la voiture publique attelée de six chevaux et une chaise de poste » avaient traversé le pont moins d’une heure avant l’accident.

Notes

[1Histoire de la ville de Sainte-Ménehould, page 488.

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