Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Elles ont vécu l’évacuation

   par Raymond Gérardot



Nous sommes à Villers-en-Argonne le mardi 11 juin 1940 Le maire a fait savoir qu’il fallait quitter le village, ce soir, avant 20 h Il faut tout abandonner Sa maison, ses biens les plus précieux, ses animaux On emporte un minimum de linge, de nourriture, d’objets divers Un dernier regard, une larme essuyée furtivement et c’est fini Reverrons- nous un jour ce petit coin d’Argonne ?
Soixante-quatorze ans ont passé Elles s’appelaient Denise, Lucienne, Charlotte, Ide, Agathe, Germaine.
C ’est en 2009 qu’elles m’ont raconté leur évacuation. Pas d’amertume ni de tristesse.
dans leur récit mais le regret d’avoir perdu une partie de leur jeunesse, de leur vie. Elles avaient alors 15, 20 ans Faites lire ou racontez ces terribles moments à vos proches et surtout à la jeune génération. C’est une parcelle de notre histoire.
Raymond Gérardot

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DENISE


"Le maire, M. Optat Jeanson, a fait savoir à la population qu’il fallait quitter le village.
Ma tante Antoinette d’Eclaires qui était venue le lendemain pour chercher des affaires a dit : « C’était un village mort ! Un village fantôme ! »
Mes parents et moi sommes partis avec nos voisins d’en face, M. et Mme Maigret, à pied derrière la voiture à chevaux. Peu de gens avaient alors une voiture automobile. On avait pris « un barda ». La voiture était pleine jusqu’aux « échelettes » : draps, couvertures, matelas, linge
On nous avait dit : « Mettez les affaires que vous n’emportez pas dans une pièce ». Mais je pense qu’on a dû fouiller partout. J’ai retrouvé un plat dans la cuisinière sous les décombres !
Le premier soir on a dormi à Noirlieu dans de la paille et du foin bien poussiéreux. Ensuite, on dormait où on pouvait : dans les fossés ou sous les chariots pour être abrités des bombes. A Brienne-le-Chateau, la nuit, on a essuyé un bombardement.
Nous avions pris très peu de ravitaillement. On avait l’impression qu’on ne devait plus ni boire ni manger. On était perdu « à fait ». En ce qui me concerne, j’ai mangé du sucre et du chocolat pendant quinze jours, sans pain bien sûr !
Les routes étaient pleines de réfugiés qui venaient de partout. Un jour on a dormi dans un fossé. Dans la nuit, une bagarre a éclaté pas loin de moi et quelqu’un a été tué. Une autre fois, un homme à bicyclette s’est approché de nous et nous a dit : « Ne restez pas là ce soir, allez plus loin, la bataille va avoir lieu ici ! » Que faire ? On a vu une ferme au loin, en haut d’une côte. On est allé s’y réfugier. La ferme était vide et on a dormi dans la cave. Le lendemain quand on est redescendu, tout avait été massacré, bombardé.
Je pense qu’on est arrivé à une trentaine de kilomètres de Dijon. Je disais toujours : « Plus on avance, plus on entend le canon ! » Les Allemands nous ont rattrapés. Je me souviens de ce « tank » recouvert d’une immense croix gammée ! Encore aujourd’hui, si je revois une croix gammée sur des journaux ou à la télé, ça me rend malade ! Ea m’a tellement marquée !
Les Allemands nous ont fait arrêter et nous ont donné à manger chaud : du riz avec du veau, moi qui n’aimait pas le riz !... Les Allemands nous ont respectés.
Et ce fut le retour On est rentré par la route d’Ante et en découvrant le village, on a bien vu qu’il n’y avait plus de clocher. Quelle angoisse ! Notre maison !
En arrivant dans le village, mon père est monté sur le tas de décombres et s’est mis à pleurer. Le village avait été brûlé sur 800 m de long. La maison de ma grand-mère n’avait pas été détruite, on s’y est installé. On a seulement retrouvé notre chat (s’il avait pu parler !) on a commencé à ranger, à revivre un peu. Le 14 juillet vers 23 heures, il y a eu un terrible orage sur Villers et la foudre est tombée sur la maison de la grand-mère. Tout a été anéanti, rien n’a été sauvé. On n’avait même pas un mouchoir pour sécher nos larmes
M. et Mme Rollet nous ont prêté deux pièces de leur maison et nous ont donné du pain. On s’est remis au travail, on a refait le jardin, un poulailler.
Le 8 septembre 1941 on est entré dans un baraquement provisoire et c’est seulement 10 ans plus tard que notre maison a été reconstruite.
J’avais 15 ans, ma jeunesse était finie ! Je me suis repliée sur moi-même. Et maintenant, plus je vieillis, plus j’y pense."

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LUCIENNE


"Je suis partie avec mes parents. Papa conduisait la jument attelée à une charrette. On avait emporté un peu de nourriture, du linge et de l’avoine. J’avais aussi mon vélo mais on me l’a volé.
Le 1er jour on est allé à Epense. On dormait comme ça se présentait à la belle étoile ou dans une grange. On avançait chaque jour d’une quarantaine de kilomètres. Tout le monde se suivait.
On est allé jusqu’à « L’Hérissé » en Côte d’Or où on est resté au moins deux jours. Il a fallu revenir à Villers. On a su en route que le village avait été bombardé mais nos deux maisons n’étaient pas détruites. L’une des deux avait été endommagée. On l’a réparée avec des planches et du papier goudronné et on a vécu là tant bien que mal."

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