Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Que sont devenues les bibliothèques des abbayes ?

   par Patrick Desingly



Comme chacun sait, la loi du 2 novembre 1789 a dépossédé les propriétés d’église : bâtiments, terres agricoles, bois et forêts, objets. Ceux-ci ont été vendus pour résoudre la crise financière.
Les huit principales abbayes d’Argonne n’ont pas échappé à cet état de fait (Beaulieu-en-Argonne, Montfaucon, Châtrices, La Chalade, Chéhéry, Le Mont-Dieu, Belval et Moiremont). Des inventaires précis et détaillés ont été dressés. La vente de tous ces biens a abouti à un transfert massif des propriétés non pas vers le peuple mais vers les particuliers qui possédaient une créance sur l’Etat.
Peu de métayers, de locataires, de journaliers, d’artisans ont pu acquérir car le principe de la vente en lots a été longtemps de mise, on peut le regretter.
A noter que le « jansénisme » a été favorable à cette confiscation car il souhaitait voir revenir l’église à son fondement « la pauvreté évangélique ». La dispersion de tous ces biens a privé notre pays d’un trésor considérable en particulier sur le statuaire, les livres et les meubles.
Pour les objets épargnés par la tourmente révolutionnaire, cachés et préservés dans les églises, la fin du 19ème siècle a sonné le coup de grâce. Beaucoup ont été vendus par les fabriques avant la séparation de l’Eglise et de l’Etat à l’instar des cariatides, des stalles de l’abbaye de Moiremont (?) vendues à Monsieur Géraudel, pharmacien à Sainte-Ménehould, pour en faire une bibliothèque ; comme la crémaillère ouvragée de 2,50 m de haut, vendue au propriétaire d’une fromagerie de la Meuse au titre d’objet de collection.
A la Révolution, pour l’église, il n’y a pas eu d’indemnisation sinon une tentative d’un « salariat » pour les prêtres.

Aussi, en feuilletant de nombreux actes de vente des biens de ces abbayes, je me suis étonné de ne jamais trouver de traces de ventes de bibliothèques (meubles et contenus) et pourtant chacune d’elles en possédait une. Celle de Moiremont était, dixit l’Abbé Lallement, « remarquable et bien achalandée ». Nul ne sait ce qu’elle est devenue. Sans doute a-t-elle été dispersée, volée, détruite. Etait-il compromettant ou mal vu à cette époque de posséder des écrits religieux, outre le fait que la lecture n’était pas l’apanage de tous ?
Aussi, en février 2014, en nettoyant une maison inhabitée qui venait d’être visitée, Monsieur VD (il se reconnaîtra), a trouvé, au milieu de journaux et prospectus éparpillésdeux livres et une feuille volante grignotés par les souris, dont le sort immédiat était plus près de la benne que d’autre chose. Y avait-il d’autres livres ou documents à l’origine dans cette corbeille d’osier retournée ? Nul ne le saura. Réflexion faite, après les avoir dépoussiérés, séchés, quelle émotion de pouvoir découvrir leur contenu de d’appréhender leurs origines.
- La feuille volante date de 1631 et concerne un texte de loi exemptant les ecclésiastiques de la redevance de la taille. A noter qu’à cette époque, la taille représente 50% du revenu du royaume.

- Le premier livre date de 1692 (l’Année chrétienne) et a été publié avec l’autorisation royale de Louis XIV. La première surprise passée, une autre m’attendait en découvrant l’annotation écrite à la plume le 3 février 1822 par J-N Robert, manœuvrier demeurant à Moiremont.Ce livre, en toute logique, devait représenter une grande part de son patrimoine pour oser « une bouteille en récompense », quand on sait qu’à cette époque, une bouteille de vin représentait une journée de travail.
De surcroît, une plume servait de marque-page à l’explication de l’évangile sur sainte Marie-Madeleine, patronne du village, curieuse coïncidence.
- Le second date de 1776 et rapporte les lettres du pape Ganganelli (Clément XIV) adressées à tous les grands du royaume, en particulier une lettre à Louis XV, en 1770, sur l’irréligion et l’autre à F. Boudier, supérieur de Bénédictins de la congrégation de Saint-Maur et grand prieur de l’abbaye royale de Saint-Denis.
Assurément les livres sont la transmission des idées, des ordres, ici la conservation des textes et l’accès à l’information. Dans les monastères, la lecture était une activité intellectuelle très importante pour les religieux.
A noter qu’à l’époque de Gutenberg, l’église se méfiait de l’avènement de l’imprimerie car elle craignait une diffusion d’idées pas toujours compatible avec les recommandations de ses pairs. Avant cette invention, chaque abbaye possédait un « scriptorium » (lieu de travail des moines copistes). Ce travail permettait aux œuvres chères et rares de circuler à moindre coup entres les abbayes et les prieurés (petites abbayes). Ces deux ouvrages ont traversé des siècles, le hasard les a fait ressortir de l’oubli.
Le collectionneur François Roger de Gaignières (1642-1715) qui parcourut toute la France pour sauver le mémoire du Moyen âge et ses documents, se plaisait à dire : prenons grand soin du livre car il deviendra le patrimoine de demain Il n’avait pas entièrement tort.

Photos Dominique Bourelle


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