Avant-hier :
Le château de Braux-Sainte-Cohière est, sans contestation possible, la bâtisse patrimoniale la plus prestigieuse de l’Argonne, même si, pour ne pas hérisser les géologues sourcilleux, il faut préciser qu’il est implanté sur une avancée extrême de la champagne crayeuse. Ce statut, il ne le doit pas à un riche passé historique mais à l’importance, la qualité et l’harmonie des bâtiments. Une imposante enceinte flanquée de quatre tours, ceinturée de larges douves toujours en eau, entourée d’espaces verts et gardant en son sein un château 18ème, une magnifique cour ornée d’un pigeonnier octogonal, voilà un décor historique d’une richesse étonnante. Le château a été classé monument historique en 1972. Il existait autrefois d’autres fermes-fortes similaires en Argonne. La dernière, Bignipont à Chaudefontaine, n’a pas résisté aux attaques du temps et au désintérêt des propriétaires successifs. Ce qui flatte particulièrement l’œil dans ce château de Braux, ce sont les majestueux murs d’enceinte où se mêlent des assises alternées de gaize et de brique. Ce type de construction a été introduit en Argonne par l’architecte du roi, Philippe de la Force, élève de Mansard.
S’il existait une seigneurie à Braux-Sainte-Cohière dès le XIIIème siècle, cela ne signifie pas qu’il existait un château dans le village. Le seigneur bénéficiait des droits dus à son titre, en particulier de revenus, mais ne résidait pas sur place. Sur un terrain marécageux on n’édifiait pas de château au Moyen-âge. Ils s’implantaient sur des hauteurs naturelles ou des mottes édifiées à la sueur des serfs (ces mottes sont nombreuses en Argonne). C’est Philippe de Thomassin qui commença la construction vers 1570, alliant ferme et château. C’est un petit noble qui, ayant levé une compagnie de cavalerie, se mit au service du roi et lutta contre les ligueurs. Il en fut récompensé et fit une belle carrière, accumulant des charges de plus en plus importantes. Après lui se succédèrent de nombreux nobles modestes et des bourgeois qui utiliseront le lieu comme résidence et ferme de rapport. C’est à eux que l’on doit la construction des murs d’enceintes que l’on peut dater du milieu du XVIIIème siècle.
Hier, l’ère Bussinger :
André Bussinger a 52 ans lorsqu’il achète, en 1969, le château à la famille Wagler
qui en avait fait une ferme. Il possède un curriculum-vitae d’exception. Il a fait carrière et s’est enrichi dans la publicité. Il est directeur général d’une importante société et, parallèlement, a mené une carrière politique en tant qu’administrateur de différentes directions ministérielles. Le sommet est atteint lorsqu’il devient « le bras droit », conseiller technique du Président de la République par intérim, Alain Poher. C’est un homme riche, puissant, qui a « le bras long ». Ainsi il put organiser au château une réception en l’honneur de l’épouse du Président Giscard-d’Estaing. Il arrive à Braux comme un messie, mais aussi comme un seigneur autoritaire diront ses détracteurs.
Il est porteur d’un projet ambitieux : faire de Braux un centre culturel bénéficiant de mécénats et pouvant rayonner sur toute la région. Certaines initiatives seront éphémères : Noël des bergers, concours régional de la tuile d’or pour stimuler la rénovation de l’habitat traditionnel. Le festival d’été qui, pendant près de trois mois, voit se succéder concerts de musique classique et expositions de niveau national, connaît un réel succès. Dans une région où ce type de culture était quasiment ignoré, c’est une innovation qui réunit un public fidèle. On est nombreux à se souvenir des soirées exquises passées dans ce lieu d’exception. Et si, aujourd’hui, des concerts fleurissent en Argonne chaque été, André Bussinger y est certainement pour quelque chose.
Le propriétaire va entreprendre différents aménagements des locaux et veiller à leur entretien. Mais il ne lui suffit pas de posséder cette magnifique bâtisse, il tient à lui donner un passé historique prestigieux et ne peut se contenter d’un château qui n’a accueilli que petite noblesse et paysans. Il tient à lui donner un passé plus reluisant. Alors, patiemment, à pas comptés, il le construit, à l’aide de suppositions dans un premier temps puis de certitudes. Progressivement on introduit dans l’histoire du château une commanderie de chevaux légers, le camp français de la bataille de Valmy, l’installation de l’état major de Guderian et le passage du général Patton lors de la seconde guerre mondiale. On parla même de maladrerie de templiers. Cet habillage irrita, voire révulsa, un historien argonnais, Jacques Hussenet dont on connaît la rigueur. Il trempa sa plume dans le vitriol pour rédiger et faire publier un texte fort documenté qui démonta tout l’édifice factice. André Bussinger nourrissait pour son château une passion qui l’amena à s’égarer. Mais cela ne doit pas faire oublier que c’est son action qui a donné à Braux sa notoriété et son prestige.
Et puis le silence. Les collectivités se défaussent :
En 1997, André Bussinger lègue son château à l’Institut de France en fournissant un cahier des charges au niveau de l’entretien du site. En 2001 il entreprend une action en annulation pour non respect du cahier des charges et obtient gain de cause en 2003. Il décède en 2004 et cède par testament le château à un ami, Alain Cazeaux. Mais, entre temps, la fondation avait fait appel. Redevenue propriétaire, elle va affronter Alain Cazeaux et, de procès en procès, en 2010, les droits de la fondation seront définitivement reconnus. Que faire de cette bâtisse ? C’est alors que le département de la Marne entre en scène, souhaitant investir les sommes qui lui sont revenues, lors de la dissolution de la caisse des incendiés, assurance gérée au niveau des communes. Il crée la fondation « Braux sous Valmy » qui s’occupera des animations. La Fondation e France s’engage, lors des procès, à assurer « un entretien et des prestations de qualité ». Tout est en place pour que Braux retrouve son lustre d’hier. Et puis plus rien. Un employé payé par la Fondation de France pare au plus pressé. Enfin, on fait un tour de table un après-midi. Rien que du beau monde : M. de Broglie, président de la Fondation de France, Frédéric Mitterrand, ministre de la culture, Guy Carrieux, directeur du conseil général et moi dans un coin, invité je ne sais plus par qui. Après la visite de l’édifice, on constate que les travaux indispensables sont conséquents. Personne ne s’engage et la Fondation de France comprend qu’elle ne peut pas attendre de soutiens. Elle se décidera peu de temps plus tard à mettre le château en vente. Quant à la fondation départementale « Braux sous Valmy » elle abandonnera, tout au moins momentanément, Braux pour orienter son action vers des concerts de musique classique en divers lieux d’Argonne.
Enfin le réveil :
Mais qui peut acquérir un tel édifice même si son prix a été revu à la baisse ? Mais qui peut se lancer dans l’aventure d’une restauration coûteuse et d’une animation problématique ? La famille Pernin a relevé le défi au début de l’année 2014. Nicolas, le père, est un administrateur de sociétés financières au cœur d’un solide réseau. Lui et son épouse Anne-Héloïse, sont engagés parallèlement dans l’hébergement touristique, notamment en gérant des chambres d’hôtes de haut standing. Il s’agit d’un couple « versaillais » solide qui a bien mesuré la lourdeur de la tâche qui les attend. Leurs huit enfants les accompagnent dans l’aventure : se mettre au service de ce château, lui redonner dignité et vie.
Il a fallu en premier lieu mettre différents éléments de la bâtisse hors d’eau. Tuiles manquantes, vitres cassées ont laissé l’humidité imprégner les murs. Un toilettage de la cour et en particulier du pédiluve lui a redonné un aspect accueillant. Le niveau d’eau dans les douves nettoyées a été régulé. Mais pour pouvoir inscrire le château dans une démarche touristique et l’ouvrir au public, il faut fédérer des bonnes volontés, élus, collectivités, associations culturelles et historiques. Ce ne sera pas une mince affaire. Pour les volontaires bénévoles qui veulent mettre la main à la pâte, la famille Pernin a créé « L’association des amis du château de Braux ». Espérons que le choix de donner les responsabilités de l’association à des proches des propriétaires ne rebutera pas les bonnes volontés locales, et qu’il sera possible de bâtir un projet d’animation qui, progressivement, permettra au Château de Braux de renouer avec les lustres de la période Bussinger.
Sources:J, Hussenet, Mémoire SACSAM 1984.