Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Dans les armoires de nos grands-mères.

   par Nicole Gérardot



Qui n’a pas le souvenir d’avoir un jour ouvert l’armoire de sa grand-mère et d’avoir été émerveillé(e) à la vue de tout le beau linge qui y était rangé ?
En effet, linge de table : nappes, napperons, serviettes de table ; linge de maison : draps, taies, serviettes ; linge de cuisine : tabliers, torchons et linge de corps remplissaient les étagères.
Nos grands-mères aimaient le beau linge et dès leur plus jeune âge, elles préparaient leur trousseau. Ce mot viendrait du verbe « trousser » qui, en ancien français, veut dire « mettre en paquets ». Le trousseau aurait été le paquet de vêtements qu’emportait la personne qui quittait son foyer pour d’autres horizons. Au XIXème et au XXème siècle, le trousseau accompagne chaque étape importante de la vie : le mariage, mais aussi l’entrée en pension ou en religion. Bien sûr, l’importance du trousseau était fonction du statut social. Il était d’une grande richesse dans les familles aisées et nombre d’inventaires après décès en témoignent. Les classes sociales les plus pauvres éprouvaient souvent de grandes difficultés à doter leur fille de quelques draps.

Dès sa plus tendre enfance, la petite fille préparait son trousseau de mariée qui l’accompagnait jusqu’à sa mort, puisqu’elle brodait même parfois son drap mortuaire. Grâce à l’habileté de leurs doigts, les jeunes filles les plus pauvres travaillaient pour les familles plus aisées. Les travaux d’aiguille faisaient partie de l’éducation du « sexe faible ». Me Millet-Robinet écrivait dans « Maison rustique des dames » : « Il est absolument nécessaire de préparer les jeunes filles à devenir de bonnes ménagères sans négliger l’instruction et les talents qui peuvent rendre une femme la digne compagne de l’homme le mieux élevé ».

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, à cause d’une grave pénurie de textile et d’un profond désir de renouveau, la tradition du trousseau fut petit à petit abandonnée. Pourtant j’ai interrogé de nombreuses dames âgées et dès que j’ai parlé de « trousseau », toute s se sont montrées très bavardes. Ce mot évoquait pour elles des souvenirs et leurs yeux pétillaient. Elles l’avaient toutes préparé. On offrait du linge aux filles à l’occasion de leur anniversaire ou pour les étrennes. On accumulait des ponts sur des colis épargne au Familistère, au Goulet Turpin, aux Coopérateurs de Lorraine On commandait ça la Redoute ou on l’achetait à la maison Nordeman à Sainte-Ménehould. Tout ce linge était ensuite brodé.
Où ces filles avaient-elles appris à broder ? A l’école d’abord. A cette époque on allait encore à l’école le samedi toute la journée et une partie de l’après-midi était consacrée à la couture. Les petites filles avaient, dans une mallette en carton, tout le matériel nécessaire. On apprenait les points les plus simples : tige, croix, chaînette, jusqu’aux plus compliqués : gribiche, feston Elles apprenaient aussi à faire des boutonnières, à repriser, à mettre des pièces Au certificat d’études, il y avait d’ailleurs une épreuve de couture. Et à cette époque, beaucoup de filles allaient à l’école ménagère. On tricotait, on brodait, on raccommodait aussi le soir en écoutant la radio et puis les dimanches après-midi étaient souvent les seuils moments où les femmes des campagnes pouvaient se reposer un peu, mais comme leurs mains ne savaient pas rester à ne rien faire, elles prenaient l’aiguille ou le crocher. C’est ainsi que ces dames ont confectionné leur trousseau. Une dame encore plus âgée m’a dit qu’elle allait au patronage le dimanche après-midi et que ce sont les sœurs qui lui avaient appris à broder. D’autres, plus aisées, ont fait broder leurs draps.

C’est la laine que l’homme tissa en premier, puis vinrent le lin, la soie et le coton. Dans son livre « Argonne terre étrange », Alcide Leriche consacre tout un chapitre à la culture du chanvre en Argonne. Je cite : « Vers 1850, la culture du chanvre occupait une place important en Argonne. Chaque ménage cultivait son chanvre dans des terres appelées »chènevières«  » (je me souviens, enfant, avoir entendu ce mot. On n’y cultivait plus le chanvre mais le mot était resté). Celui-ci était semé fin mai, récolté fin juillet et fin septembre. Rentrés bien secs, les pieds étaient battus pour en extraire la graine ou chènevis qui servait de nourriture aux volailles ou pour la fabrication de l’huile. Les tiges de chanvre devaient subir une première opération appelée « le rouissage ». Elle consistait à laisser séjourner le chanvre dans l’eau pendant plusieurs semaines afin de ramollir les tiges. On le faisait ensuite sécher puis il était broyé. Les tiges brisées et nettoyées de leur écorce pouvaient alors être tordues, tressées, peignées et devenaient la filasse qui était alors filée au rouet. Il restait alors à porter la provision de pelotes de fil chez le tisserand qui en faisait une toile de ménage, un peu rude, il est vrai, mais très résistante.
Comme nos villages devaient être animés à cette époque avec tous ces artisans qui y travaillaient ! Les toiles se vendaient aux foires de Saint-Nicolas à Varennes, de Sainte-Anne à Clermont, de Saint-Martin à Sainte-Ménehould. De petits marchands circulaient dans les campagnes. En France, l’industrie cotonnière ne s’établit qu’à la fin du XVIIème siècle dans la région d’Amiens.

L’usage de chaque tissu est fonction de ses qualités, mais correspond également à un code social : plus le tissu est fin, plus il est cher. C’est ainsi qu’une dame m’a dit que « les pauvres » n’avaient que trois draps et qu’ils étaient en chanvre, alors que les autres en avaient six et en lin. Dans un livre intitulé « Les trousseaux du temps jadis », il est écrit : « les plus beaux draps sont en fil (lin), les plus élégants ont le revers brodé, les draps de domestiques sont en coton ».
Jours, festons, ornaient draps et taies d’oreiller. Quand la jeune fille n’était pas encore fiancée, elle brodait son initiale seule sur le côté droit du drap. Dès qu’elle était fiancée, elle ajoutait le nom de son futur mari. On trouvait de nombreux modèles d’initiales imprimés dans des livrets que l’on achetait dans les merceries ou dans des journaux spécialisés come « Le petit écho de la mode ». Ce n’est que vers 1925, sous l’impulsion des progrès de la teinture et de l’impression des tissus, que les draps de couleur apporteront de la fantaisie dans la chambre.

Les torchons étaient très nombreux dans le trousseau de la jeune mariée. Chacun avait son utilité : essuie-mains, pour la vaisselle, pour les verres. Ces torchons étaient accrochés au mur de la cuisine mais cachés comme son nom l’indique par un cache-torchons lui aussi brodé. En principe, la jeune fille brodait son monogramme au point de croix de la même couleur que le liteau.
Mais « en ce temps là » on ne gaspillait pas et les draps avaient une deuxième vie et c’est ainsi que, découpés, ourlés, ils devenaient torchons. Les draps avaient d’ailleurs une troisième vie ! A la campagne, les paysans prenaient les vieux torchons pour faire « des russes » ! « Des russes » ! Je suis sûre que beaucoup d’entre vous n’ont jamais entendu parler de cela. Et bien, des russes, c’étaient des chiffons que l’on enroulait autour de ses pieds et qui remplaçaient les chaussettes ! Dans les années soixante, certains cultivateurs âgés en mettaient encore, je m’en souviens !
La serviette éponge est née avec les progrès de l’hygiène et des bains de mer. Son usage s’est répandu après la première guerre mondiale. On utilisait aussi des serviettes « nid d’abeilles ».
Que dire des nappes ! On peut encore en trouver de bien jolies dans les brocantes. Les trousseaux les plus complets comptaient trois nappes damassées aux même motifs, avec leur taille pour seule différence, une carrée pour la table ronde, une plus grande pour la table avec une rallonge, la dernière pour la table avec deux rallonges. Elles étaient de pures merveilles ! Les serviettes qui les accompagnaient étaient d’une taille impressionnante ! Mon grand-père, qui se mettait toujours à table avec plaisir, coinçait sa serviette dans sa chemise et l’étalait bien autour de son ventre rebondi ! Les serviettes de maintenant ont la taille d’un mouchoir d’autrefois.

J’en ai terminé avec le linge de maison. Toujours dans le livre « Argonne terre étrange », Alcide Leriche consacre un article aux centres de broderie en Argonne à la fin du XIXème siècle et au début du XXème. Le matériel d’une brodeuse était très simple : un métier constitué de quatre lattes de bois coulissant l’une dans l’autre et sur lesquelles était fixé le tissu, et un crochet. Les brodeuses étaient regroupées en atelier ou travaillaient chez elles. Une amie m’a raconté que sa mère recevait directement des commandes de Parisiennes. Sa maman faisait surtout des sacs perlés. Les villages des Islettes et de Varennes étaient spécialisés dans la broderie perlée. Les brodeuses commençaient leur apprentissage dès l’âge de douze ans et passaient de nombreuses heures sur leur métier à broder. Des maisons de couture, elles recevaient les robes en tulle ou en crêpe Georgette sur lesquelles étaient dessinés des motifs. La brodeuse fixait avec son crocher la paillette ou la perle sur le tissu en respectant scrupuleusement le dessin. C’est ainsi que des robes de soirée de grande valeur, des robes de théâtre pour des maisons parisiennes et américaines et même une traîne de satin en perles fines pour la cour d’Angleterre, ont été brodées près de chez nous.
La broderie effectuée à Futeau différait de celle des Islettes, elle n’utilisait ni paillettes, ni perles, mais uniquement du coton. Plus classique, elle n’en était pas moins jolie. La plus belle réalisation d’un atelier fut les tentures destinées au casino de Monte-Carlo, brodées sur un métier de sept mètres de longueur. Les ouvrières se relayaient sans relâche, travaillant à la lumière de lampes à acétylène de façon à ce que les teintes des motifs ne soient pas modifiées, la lumière de ces lampes se rapprochant le plus de la lumière du jour. Ce travail apportait de l’aisance dans les ménages.

Avant la guerre de 1914, trois usines de bonneterie fonctionnaient à Vienne-le-Château. On y fabriquait des chaussons et des chéchias exportées en Afrique du Nord. De ces trois ateliers, deux devaient disparaître après la première guerre mondiale, le seul qui réussit à subsister abandonna la confection de coiffures et de chaussons pour fabriquer des bas de fil. Soixante-dix à quatre-vingt ouvriers confectionnaient cinq à six cents paires de bas par jour. La deuxième guerre porta un premier coup à cette usine, la concurrence ensuite du bas nylon obligea la maison à fermer ses portes en 1942, après avoir alimenté en bas de fil toute la région.

En reculant encore plus dans le temps, dans « Découverte de l’Argonne II », Georges Clause nous parle de l’industrie lainière au XVIIIème siècle. Je le cite : « Une population nombreuse travaille à domicile pour les centres textiles de Reims et de Suippes. A Somme-Suippe, sous l’Empire, la moitié des habitants filaient la laine : leur fil épais sert à la fabrication d’étoffes communes, qui servent à confectionner des vêtements grossiers pour les travailleurs des champs et des capotes militaires. Laval, Virginy, voire Servon ou Vienne-le-Château se sont mis à la filature manuelle, mais moins que dans la vallée de la Py. Le tissage des toiles de ménage avait pris une certaine allure industrielle au sud de Sainte-Ménehould, notamment à Saint-Mard-sur-le-Mont, où on comptait 70 tisserands en chanvre, au Viel-Dampierre, où 15 tisserands donnaient de l’ouvrage à 30 ou 40 ouvriers, à Châtrices, où se trouvait un établissement de blanchiment pour ces toiles ».

Voilà, les jeunes filles ne préparent plus leur trousseau et ne brodent plus draps, torchons ou nappes. Mais dans notre région, de nombreuses dames se retrouvent dans des clubs (à Hans, Sainte-Ménehould, Villers-en-Argonne, Somme-Yèvre) et s’adonnent à l’art de la broderie. Elles perpétuent ainsi le savoir-faire de nos grands-mères.

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