Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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L’occupation Allemande de 1871-1872.

La Guerre de 1870 à Sainte-Ménehould

1ère partie : la guerre.

   par Daniel Hochedez



Première partie : La guerre



Le 8 mai 1870, l’arrondissement de Sainte-Ménehould a plébiscité Napoléon III, avec 96,4% de oui, plus massivement que l’ensemble du pays (82,6%) et la déclaration de guerre à la Prusse, le 19 juillet, semble avoir été accueillie avec enthousiasme dans l’Argonne marnaise. Ainsi, le 16 juillet, le maire de Vienne-le-Château rapportait au sous-préfet : « La nouvelle d’une guerre avec la Prusse a été reçue par la population avec enthousiasme. Des groupes assez nombreux se sont formés dans les rues où l’on lisait la déclaration du Ministre des affaires étrangères qui a été applaudie par les cris de »Vive la France« ,  »Vive l’Empereur".

L’invasion, août 1870.
L’offensive prusso-allemande est rapide : les troupes de Mac-Mahon sont défaites le 6 août en Alsace et refluent sur le camp de Châlons ; celles de Bazaine battent en retraite et s’enferment dans Metz. L’ennemi s’avance vers l’Argonne. L’état de siège est décrété le 8 août dans la Marne et les populations redoutent l’invasion. Dès le 11 août, le maire de Sainte-Ménehould rapporte au préfet que « partout dans la commune on refuse les billets de banque ». Le correspondant du Journal des débats, qui se hasarde le 21 août à la Grange-aux-Bois, trouve les « maisonnettes » désertées et ne rencontre plus guère que « 2 ou 3 vieux paysans ». Sainte-Ménehould est tenue jusqu’au 21 août par les 2 000 chasseurs d’Afrique du général Margueritte.
Ce jour-là, un impressionnant convoi de ravitaillement français traverse la ville : 575 voitures portant un million de rations et occupant 7 kilomètres de route, suivies de 1 700 bœufs. Parti de Verdun le 20 août, il parvient à rallier Reims, traversant une Argonne déjà infestée de patrouilles ennemies, une troupe de Uhlans étant signalé à Verrières au moment même où le convoi double Valmy. Le 22 août au matin, les liaisons télégraphiques sont interrompues entre Clermont et Sainte-Ménehould.
Derrière les patrouilles de cavalerie, 210 000 allemands marchent sur Paris, à la rencontre de notre armée de secours : nos 100 000 hommes rassemblés à Châlons, bivouaquent le 23 août sur la Suippe, sous une pluie battante qui persistera sur la région jusqu’à fin août. Cette armée infléchit ensuite sa route vers le Nord-est.
Le 25 août, le centre et le sud argonnais sont investis par l’ennemi : en avant-garde, leur 5ème division de cavalerie gagne Sainte-Ménehould et progresse jusqu’à Dommartin-sous-Hans ; la 6ème, dont un détachement a été impliqué dans le massacre de Passavant, cantonne au Vieil-Dampierre. L’armée allemande se détourne alors de sa route vers Paris pour venir à la rencontre des nôtres et remonte l’Argonne plein Nord. Trois corps d’armée prussiens et un corps wurtembergeois marchent sur l’axe Vitry-Sainte-Ménehould. Plusieurs dizaines de milliers d’hommes traversent la région sans discontinuer du 26 au 29 août.

Le 30 août, nos troupes sont défaites à Beaumont au nord de l’Argonne, en prélude au désastre de Sedan, où Napoléon III capitule le 2 septembre. A l’approche de l’ennemi, des volontaires se présentent dans les mairies, mais il est trop tard. Ainsi, à Sainte-Ménehould, le maire, Camille Margaine, à défaut de pouvoir équiper des compagnies qu’il avait lui-même appelé à constituer et craignant de sévères représailles sur les populations, invite les volontaires à s’engager dans l’armée et la garde mobile. Quant à l’ennemi, il succombe à la psychose des francs-tireurs. Le prince royal de Prusse Frédéric, dont le quartier général est alors établi à Sainte-Ménehould, note le 29 août : « Les paysans de cette région sont de plus en plus pourvus d’armes ; nous sommes obligés de prendre des mesures les plus énergiques pour le faire livrer. Des coups de feu isolés, la plupart du temps tirés à l’affût, lâchement, atteignent partout nos patrouilles : il ne nous reste d’autre moyen que d’incendier les maisons d’où sont partis les coups de feu, ou d’exercer des représailles en prenant des otages, ou en imposant des contributions de guerre ». Il rapporte également que peu de temps après qu’il eut reçu le maire et une députation de la ville, auxquels il a tenu des propos apaisants, le feu a pris aux toits de la maison où il était logé. Il a d’abord cru à un attentat ; en fait l’incendie était dû à une imprudence des ordonnances qui avaient allumé un feu pour sécher des effets mouillée...

Le passage des troupes allemandes en Argonne pendant ces brèves opérations de la deuxième quinzaine d’août 1870 laissera de bien mauvais souvenirs. A la différence de l’armée française qui bivouaque, l’armée allemande privilégie le logement chez l’habitant, humiliant les gens et donc source de tensions. Réquisitions, pillages, destructions sont monnaie courante. Les archives de la Marne conservent les mémoires établis par les habitants de Sainte-Ménehould décrivant les pertes subies pendant l’invasion. On voudra bien pardonner à l’auteur de s’attarder quelques instants sur le mémoire d’un Ménéhildien nommé Louis Hochedez, qui n’est pas son aïeul en ligne directe, mais appartient à son lignage : fin août 1870, il a nourri 60 hommes et fourni 1 000 kg de foin ; on lui a enlevé un porc âgé de 10 mois, 30 boisseaux d’avoine et 100 bottes de paille ; enfin les soldats ont enfoncé la porte de sa cave et bu ou gâché 100 litres de vin ; l’addition est de 431 F. Quant au chef de gare de Menou, Guiot, sa maison a été littéralement dévalisée : véritable inventaire à la Prévert, son mémoire, arrêté à 1 391,20 F, ne recense pas moins de 71 objets, de la carafe en cristal à ... la canne à pêche, en passant par les bouteilles de conserves de petits pois et les fers à repasser, sans oublier la bassinoire en cuivre et, pour finir, « un carton contenant des objets de deuil, un chapeau en velours, des voilettes, cols en guipure et une couronne de jeune fille », objets bien utiles à une armée en campagne. Le bilan global est lourd : 275 201 F pour le canton de Sainte-Ménehould, dont 168 173 F pour la ville elle-même.

L’occupation de guerre, septembre 1870-mars 1871.
Après les combats de la fin août et du début septembre, l’Argonne joue un rôle important pour la logistique de l’ennemi, qui met en place une administration d’occupation. La présence militaire stricto sensu est le plus souvent discontinue : bourgs et villages doivent héberger par intermittence des colonnes en déplacement ou des détachements assurant les communications. Les réquisitions s’alourdissent pour subvenir aux besoins des troupes prusso-allemandes assiégeant Paris et des armées en campagne. A la mi-novembre, les enfants reprennent le chemin de l’école primaire, l’occupant ayant prescrit la rentrée des classes par décision du 9 novembre 1870.
Les forces allemandes stationnées en Argonne sont, en fait, peu nombreuses. A Sainte-Ménehould, on compte seulement un peloton d’une dizaine de cavaliers qui surveillent la station du télégraphe. Nos francs-tireurs mettent à profit cette faiblesse du dispositif ennemi : le 29 octobre, 150 à 200 hommes attaquent la station. Le maire, Camille Margaine, prend sous sa protection les employés allemands et obtient qu’ils soient relâchés sur parole. Le commandant allemand d’étape de Clermont rallie alors 50 fantassins venus de Châlons en charrette, un peloton de Uhlans, puis la compagnie de Suippes, enfin sa propre compagnie, investit Menou, rétablit le télégraphe, inflige à la commune une forte amende et emmène le maire et son adjoint en otages à Clermont.
A la suite d’une série d’accrochages dont celui de Sainte-Ménehould est le plus spectaculaire, le commandant d’étape allemand de Clermont demande instamment des troupes pour occuper Sainte-Ménehould et pour « purger la forêt d’Argonne des bandes de partisans qui l’infestent et qui attaquent journellement la poste et les petits détachements ». Le 29 octobre, le commandant en chef prussien Moltke décide de renforcer les troupes du gouvernement général de Reims par quatre bataillons d’infanterie et un bataillon de pionniers venant de Metz, qui a capitulé le 27, et ordonne de « montrer le plus tôt possible des troupes à Clermont et de détruire complètement les partisans signalés dans cette contrée et au nord ». Cette colonne a ratissé la forêt, sans grand succès, du 2 au 10 novembre.

L’armistice, les élections et le retour à la paix.
Le 23 janvier 1871, à 23h 30, le sous-préfet de Sainte-Ménehould reçoit une dépêche de la délégation du gouvernement annonçant l’armistice et la convocation des électeurs en vue d’élire une assemblée convoquée à Bordeaux pour le 15 février. Ces élections ont lieu de 8 février, la consultation comportant deux enjeux. Le premier, immédiat : guerre ou paix ? Le second en arrière-plan : république ou monarchie ? On connaît le résultat : une écrasante majorité pacifiste et monarchiste se dégage. Pour les huit élus de la Marne, le seul vote hostile aux préliminaires de paix émane du Ménéhildien Margaine, qui s’était signalé par son énergique résistance aux exigences de l’envahisseur et avait été le mieux élu, avec 85,9% des voix sur l’ensemble du département.

Le 1er mars, l’Assemblée accepte les préliminaires de paix. L’ennemi, qui a déployé quelque 820 000 hommes en France, commence, à partir de la mi-mars, à évacuer progressivement le territoire, mouvement qui se poursuivra pendant l’été et l’automne 1871, au rythme des paiements correspondant aux deux premiers milliards de francs de l’indemnité de cinq milliards que la France doit verser à l’Allemagne en application du traité de Francfort qui met fin à la guerre, le 10 mai 1871.
L’évacuation progressive du territoire entraîne des passages de troupes considérables : en juin 1871, Florent-en-Argonne, alors peuplé de 758 habitants, pourtant à l’écart des grands axes, doit héberger un premier contingent de 180 artilleurs saxons avec 148 chevaux du 4 au 6 juin, puis un deuxième contingent de 180 hommes de la même arme avec 170 chevaux du 7 au 9, 700 fantassins et artilleurs prussiens avec 225 chevaux du 14 au 15, 668 fantassins et artilleurs prussiens avec 274 chevaux du 16 au 18 et enfin 692 fantassins et artilleurs avec 183 chevaux du 18 au 19. Non loin de là, Chaudefontaine (412 habitants) voit cantonner, du 24 mai au 18 juin, au total près de 2 900 hommes de toutes armes (fantassins, cuirassiers, hussards, artilleurs, ambulanciers et équipages du train) et de toutes origines (Silésiens, Prussiens, Hanovriens, Saxons, Hessois) avec plus de 1 100 chevaux. La Neuville-au-pont (1145 habitants), pour sa part, « accueille » successivement, du 2 au 19 juin, plusieurs détachements représentant au total 2 068 hommes et 928 chevaux.
Durant cette évacuation, réquisitions et voies de fait se poursuivent sporadiquement, même après la paix signée le 10 mai 1871 à Francfort. Après l’évacuation du reste du territoire, achevée fin octobre, le Grand Est, dont la Marne, demeure occupé en garantie du paiement des trois milliards de franc-or restant dus, l’évacuation du département devant intervenir 15 jours après le paiement du premier demi-milliard, prévu le 7 septembre 1872.
Nous verrons dans la deuxième partie de cet article ce que fut cette occupation.
Daniel Hochedez

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