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Sainte Ménehould et ses Voisins d’Argonne
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http://www.menouetsesvoisinsdargonne.fr/spip.php?article107
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Métier d’hier : Garde-barrière
La rubrique de Jeannine Cappy /
samedi, 16 février 2008
/ Jeannine Cappy
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Aujourd’hui, les barrières sont toujours là pour assurer la sécurité aux passages à niveaux, quand les voies ferrées croisent les routes et les chemins. Mais de nos jours, ce ne sont que des demi-barrières automatiques, qui, à quelques exceptions près, ne sont plus gardées. Nombre de ces passages à niveaux, devenus trop dangereux à mesure que la circulation routière et la vitesse augmentaient, ont été supprimés, [1] remplacés par des ponts ou autres passages sécurisés. Les autoroutes ne traversent plus les voies ferrées et les TGV ne croisent plus les routes.
Qui se souvient encore des lourdes barrières en fonte qu’il fallait manoeuvrer au passage de chaque train, soit en les montant et les abaissant à l’aide d’une manivelle, soit en les tirant à la force des bras pour les ouvrir et les fermer ? Elles étaient particulièrement dures à bouger quand il gelait ou que la neige les bloquait.
La présence permanente d’agents, les gardes-barrière, était indispensable, ces emplois étant le plus souvent réservés aux épouses des agents de la SNCF.
Ils étaient logés sur place dans des maisons construites toutes sur le même plan : une grande cuisine carrelée tenait tout le rez de chaussée S’y trouvaient l’unique cheminée de la maison, une pompe et sa pierre à eau, un escalier menant à la cave. En haut deux chambres et un grenier, à l’extérieur, une remise.
La barrière Magot
Nombre de ces passages à niveau gardés étaient en pleine nature, loin de tout, comme celui de Cazon [2] , en forêt de Montiers, à deux kilomètres des premières maisons du village du Châtelier. La famille Magot a vécu là depuis le début des années 30 jusqu’à la suppression du gardiennage, vers 1965. Pour tout le monde, c’était« la barrière Magot » !
Jeannine Magot“Olinger, coiffeuse bien connue à Sainte-Ménehould y a vu le jour en 1944. Elle était la sixième d’une fratrie de neuf enfants [3] dont sept sont nés « à la barrière ».
Elle évoque pour « Le Petit Journal » les 18 années passées là.
« Nous habitions au milieu des bois, sur une petite route en terre qui menait au « pays » [4] , Le Châtelier. Notre maison était pareille à celle des autres gardes-barrière, mais vu le nombre d’enfants, elle avait été rallongée : la SNCF avait construit dans la remise deux chambres qui communiquaient avec la cuisine. C’était bien, l’hiver, on y avait moins froid. ! Les chambres du haut n’étaient pas chauffées, on ouvrait les portes pour faire circuler un peu la chaleur
Pas d’électricité, on s’éclairait avec des lampes à pétrole dans la cuisine et des bougies dans les chambres. En dernier, nous avions des lampes à gaz à manchons que nous trouvions peu pratiques, mais aussi des lampes électriques de poche et un poste de radio marchant sur batterie.
Pas de cabinet de toilette non plus, on se lavait dans la cuisine. Pour les WC, une petite cabane près du bois, au bout du jardin faisait l’affaire. On la déménageait quand le « trou » était à saturation !
Notre vie à la barrière
C’est maman, née Marie Doyen, qui était garde-barrière. Mon père, Gabriel Magot travaillait « aux chemins de fer ». Scieur de long, il avait choisi d’entrer à la SNCF pour la retraite
Il a commencé à la gare de Givry, c’était tout près, mais ensuite, il a été à Revigny, à une douzaine de kilomètres et enfin à Sermaize, encore plus loin. Il allait travailler à vélo par tous les temps en empruntant la piste qui longe les voies. Il partait vers 4h du matin pour ne revenir que le soir. Il trouvait malgré tout le temps de faire le bois pour alimenter la cuisinière qui restait allumée toute l’année, pas seulement l’hiver. Il avait quelques ruches, ce qui permettait de vendre du miel et d’arrondir un peu les fins de mois. Chez nous, on était plus riche d’enfants que d’argent !
Il avait appris à couper les cheveux pendant son service militaire. Il coupait donc, non seulement tous ceux de sa maisonnée mais aussi ceux des hommes du village qui venaient le voir le dimanche matin. C’est lui qui m’a appris à manier la tondeuse, (à cheveux, pas à gazon !!!) et a fait de moi une coiffeuse. C’est d’ailleurs presque devenu une tradition familiale, puisque trois de ses petits-enfants ont choisi cette profession.
Quant à maman, en plus de fermer les barrières chaque fois qu’un train était signalé “ il passait quatre trains de voyageurs par jour plus les trains de marchandises “ et de les rouvrir après, elle assumait seule tous les travaux de la maison, mon père n’étant presque jamais là.
Entre les soins aux enfants, et il y en avait toujours des petits, la cuisine, les lessives, le raccommodage “ nous n’allions jamais à l’école avec des vêtements sales ou troués - elle faisait un jardin, élevait un cochon, des lapins, des poules, des pigeons (de la race « mondain ») des oies, ces dernières particulièrement agressives envers les quidams qui franchissaient la barrière.
Elle avait une machine à coudre « Singer » bien utile pour mettre des pièces aux vêtements, les raccourcir ou les rallonger suivant les besoins. Elle tricotait même un peu.
Les réparations de nos vélos, souvent crevés, c’était elle aussi. Elle n’avait guère le temps de se reposer ou de penser à elle, même si les plus grands s’occupaient des plus petits et l’aidaient à la mesure de leur âge.
Par exemple, le jeudi, comme il n’y avait pas école, c’était jour de lessive. Pas question d’aller au lavoir communal du village, c’était bien trop loin. Mon père avait percé le mur et installé un système pour amener l’eau de la pompe de la cuisine jusqu’au bac à laver qui était à l’extérieur. Les enfants pompaient à tour de rôle.
Il faut préciser que les lessives se faisaient dehors, même en plein hiver.
Il arrivait aussi que l’aide des enfants tournait au désastre. Deux de mes frères, âgés de 10 ou 12 ans ont gardé un certain souvenir cuisant !
Maman, partie « au pays » leur avait demandé de plumer une oie qu’elle venait de tuer. C’était un travail de patience car il fallait récupérer les plumes et le duvet. Pour, espéraient-ils, raccourcir la corvée, ils n’ont rien trouvé de mieux que d’allumer un feu et de tourner l’oie au dessus. Adieu, plumes et duvet !! Ils se souviennent encore de la« trempe » qu’ils ont prise au retour de maman.
Nourrir 9 enfants qui ont bon appétit
Les repas étaient simples mais copieux et les plats tenaient au corps ! Soupes et potées diverses avec les légumes du jardin, le porc salé, la charcuterie maison, pommes de terre à toutes les sauces, volailles rôties, lapins en fricassée ou en civet, œufs de toutes les façons, sans
oublier les galettes et tous les fruits d’ici, pommes, poires, prunesLe boulanger déposait les grosses baguettes de pain à la forge, chez mes grands-parents Doyen. Les plus grands les ramenaient à la maison, attachés sur le porte-bagage des vélos. Elles n’arrivaient pas toujours en très bon état, cassées, pliées, ou mouillées s’il était tombé une averse !
On ramenait aussi le lait acheté dans une ferme du Châtelier, les pots calés dans les sacoches à vélo. Avec une partie, maman faisait du fromage blanc.
On buvait de l’eau, un peu de vin, mais surtout du cidre. On louait des pommiers et des poiriers de bord de route. Nous les enfants étions chargés du ramassage des fruits à l’automne. L’oncle Henri faisait le cidre à la forge et ramenait les tonneaux à la barrière. C’était un vrai sport que de les descendre à la cave, retenus par des cordes et roulés sur des planches posées sur les escaliers !!! Il fallait être deux, un devant pour retenir, un derrière pour guider.
Nous n’allions jamais chez le boucher, il fallait toutefois acheter l’épicerie et la mercerie à des commerçants ambulants qui passaient : Comptoir Français, Coopérateurs, mais aussi marchands de chaussures et de tissus.
Le vélo, sport familial
C’est seulement quelques années avant de quitter la barrière que nous avons eu notre première voiture, une camionnette Citroën B2, quand maman a passé son permis à 50 ans.
Jusque là, toute la famille se déplaçait à vélo. Quand elle allait au « pays », maman mettait le dernier bébé bien calé dans une « ertine » [5] attachée sur le porte-bagage.
Un peu plus tard, quand l’enfant se tenait tout seul, elle le mettait toujours sur le porte-bagage, assis dans un petit siège, les jambes rentrées dans les sacoches à vélo.
On allait à l’école au Châtelier à partir de 5 ans, à vélo, bien sûr ! Il y avait toujours trois ou quatre Magot en même temps ! Dès qu’un avait 14 ans [6] , il y en avait un autre pour remplacer ! On partait ensemble, mais les grands pédalaient plus vite et ne s’occupaient guère des petits. La route n’était pas goudronnée, il y avait plein d’ornières et beaucoup de boue dès qu’il pleuvait. En cas de neige ou de verglas, on allait à pied, de même quand les pneus étaient crevés !
Quand on rentrait et qu’il faisait nuit ou presque, nous avions peur en traversant le bois. Surtout une certaine bande de sapins à l’entrée de la forêt avec une pâture en face nous terrorisait, persuadés que des sangliers allaient en sortir ! La lumière des vélos, n’éclairait pas grand’chose, quand encore elle marchait !
Maman nous préparait la « gamelle » qu’on faisait chauffer chez les grands-parents Magot qui habitaient juste à côté de l’école. J’ai eu monsieur Bernard Renard comme instituteur [7] .
Une fois par semaine, madame Renard venait bénévolement apprendre à coudre aux plus grandes filles. C’est grâce à elle que je sais coudre.
On faisait nos devoirs en rentrant, tous ensemble, sur la grande table de la cuisine.
Comme dans tous les petits villages, le Châtelier (150 habitants environ dans les années 50 ) avait une école, un instituteur et une classe unique qui accueillait tous les enfants, filles et garçons de cinq à quatorze ans.
Il y avait une trentaine d’enfants. Les plus petits s’asseyaient autour d’une grande table ronde avec des jouets divers, mais aussi des cubes avec dessus des chiffres et des lettres avec lesquels ils se familiarisaient.
L’instituteur s’occupait de chaque tranche d’âge à tour de rôle. Pendant que les uns s’exerçaient à la lecture à voix haute ou au calcul sur l’ardoise ou au tableau, les autres faisaient des exercices, et quand le « maître » expliquait l’histoire ou la géographie, tout le monde écoutait et apprenait ainsi peu à peu.
Les plus grands pouvaient rester à l’étude s’ils le souhaitaient, particulièrement pour préparer le certificat d’études. Il y avait très peu d’échecs.
Le « maître » savait se faire écouter et en cas de chahut, le calme revenait vite !
La veille au soir, l’instituteur préparait tout le travail du lendemain sur le tableau. Avec tous ces différents niveaux d’élèves, ça prenait beaucoup de temps.
(Souvenirs recueillis auprès de Madame Renard)
On ne s’ennuyait pas, à la barrière
Le jour, on courait dans les bois, on inventait mille jeux. Suivant les saisons, on ramassait les fraises, les framboises, les mûres, le muguet
Les plus petits « faisaient de la barrière ».Traduction : Quand maman ouvrait ses barrières, ils montaient dessus et se laissaient traîner. !
C’était toujours très animé chez nous, très gai. Les jeunes du village venaient nous voir, c’était le ralliement de la jeunesse. Les uns jouaient le l’harmonica, même de l’accordéon, on riait beaucoup. Quand les garçons ont commencé à sortir le soir, maman, inquiète allait au devant d’eux à vélo. Eux se cachaient pour la faire enrager !
On appelait le médecin de temps en temps
seulement quand c’était sérieux. Il venait de Givry ou de Laheycourt. Pas de téléphone à la maison, il fallait aller à la cabine publique du Châtelier. Avant les antibiotiques, les remèdes étaient ce qu’on peut qualifier « de cheval ». A ma naissance, maman a failli mourir d’une pneumonie, elle a été soignée à l’eau de vie pure, et elle a guéri !
Quand une naissance s’annonçait, papa allait chercher la sage-femme, Madame Leglaye, à Sommeilles. L’accouchement se faisait le plus naturellement du monde dans une chambre alors que nous étions dans celle d’à-côté. J’avais une horreur des accouchements d’avoir entendu maman crier ! Il est vrai que ses bébés pesaient entre trois kilo et demi et cinq kilos !!! Elle les a tous nourri au sein pendant au moins un an. Elle a même nourri une fois celui de sa sœur en même temps que l’un de nous.
A 14 ans, j’ai quitté l’école et cette année là, j’ai fait une coupe de bois avec maman. J’ai eu ma première paye ! Ensuite, je suis allée en apprentissage de coiffure à Ligny en Barrois. Monsieur Renard m’avait déniché une pension chez une vieille dame et je rentrais chaque semaine à la maison. Tous mes frères et sœurs sont allés en apprentissage et tous ont eu de bons emplois.
Au début des années 60, la garde des barrières a été supprimée, mes parents y sont restés encore un peu, comme la SNCF leur en donnait le droit, puis ils sont partis au Châtelier pour la retraite, retraite dont mon père n’a guère profité. Usé, il est tombé malade à 55 ans et ne s’est pas relevé. »
Le dernier train de voyageurs a circulé sur cette ligne en 1969 et le dernier train de marchandises en 1971. La ligne a été démontée, les maisons des gardes-barrière mises en vente. La « barrière Magot » n’a pas trouvé d’acheteur, elle a été démolie. La forêt a repris ses droits. Seuls, subsistent quelques morceaux de rails enfouis dans la terre
[1] Il y avait 33500 passages à niveaux en 1938 et moins de 18000 en 2006.
[2] Sur la ligne de Revigny à Amagne
[3] Tradition familiale : la grand’mère, Louise Doyen a mis au monde 18 enfants dont 15 ont vécu.
[4] On utilisait couramment le mot « pays » pour désigner le village proche.
[5] Corbeille ovale en osier.
[6] Jusqu’en janvier 1959,. on quittait l’école primaire à 14 ans.
[7] Bernard Renard a été instituteur pendant 7 ans au Châtelier dans les années 50. Il a ensuite poursuivi sa carrière à Ste Menou.
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