Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Un « gamin » dans la tourmente de la dernière guerre.

   par Raymond Gérardot



Mes parents, Jeanne et Maurice GERARDOT, exploitaient alors une petite ferme isolée au « Moulin » de Villers en Argonne. Blottie près de la rivière, elle était à l’abri des regards indiscrets. C’est là que je suis né le 11 mai 1936. Mais le bonheur de mes parents fut de courte durée car en 1939 la guerre éclata et il fallut partir en « exode » qu’on appela aussi « l’évacuation »
Nous avons quitté Villers, ma mère et moi, en voiture automobile, avec un oncle nommé François et Américain de surcroît marié à une sœur de mon père. C’était le 15 Mai 1939. Mon père nous a rejoints un peu plus tard près de Dijon.
Cet oncle François m’a souvent raconté que je leur avais sauvé la vie au cours de notre progression vers le sud de la France et voici comment.
Nous arrivâmes un soir dans un village et la famille décida de s’y arrêter pour y passer la nuit. Echappant à toute surveillance, j’étais, paraît-il, allé près d’une mare au centre du village. Quelques instants plus tard, je revins en pleurs. C’est alors que, trépignant et hurlant, je me mis dans une colère comme savent le faire les jeunes enfants. Bref, étant inconsolable, on décida de partir sur le champ afin de s’arrêter plus loin, pensant que le trajet en voiture me calmerait. Il me calma, certes, mais on s’aperçut bien vite que mon bras avait grossi et que j’avais sans doute été piqué par une guêpe ou une abeille ! Rien d’étonnant me direz-vous ! Mais nous sûmes, le lendemain, que les Allemands avaient investi le village où nous devions passer la nuit. Que serait-il arrivé si l’oncle américain avait été arrêté ?
Je n’ai aucun souvenir ni des évènements qui suivirent ni du retour à Villers. Par contre, la période de l’occupation, surtout à partir de 1943, m’a laissé des souvenirs très précis.
Un matin, alors que nous déjeunions, on frappa à la porte de la cuisine. Je revois encore cet Anglais dans l’encadrement, en combinaison de pilote, un parachute sous le bras Quel choc pour un enfant de 7 ans ! Ce jour-là, je suis parti à l’école avec un gros, un très gros secret. J’avais déjà compris que « parler » était notre condamnation. Ce pilote avait été abattu par la DCA allemande au-dessus de la forêt et s’était rendu chez nous par hasard. Nous l’avons caché pendant quelque temps et, grâce à la complicité des réseaux de résistants, il a réussi à regagner l’Angleterre avec un drapeau français confectionné dans son parachute. Ce drapeau est aujourd’hui à Londres au musée de la guerre.
Vous dire combien de résistants ont été cachés, dix, douze, peut-être davantage. Ils logeaient dans une petite chambre au fond du moulin. Ils restaient le temps de se faire oublier, de reprendre des forces et repartaient pour d’autres combats !...
C’est ainsi que Mme Pigny et son fils appelé William par provocation, ont vécu avec nous de septembre 1943 jusqu’à la libération. Elle passait pour la bonne de la maison. Serge Pigny, son mari, un chef de la résistance était activement recherché par toutes les gestapos de la région. Je n’ose pas penser à ce qui serait arrivé s’il y avait eu le moindre contrôle !
Serge Pigny était très prudent. Il ne se déplaçait que la nuit et en vélo. Quand de temps en temps il venait de Châlons à Villers, il continuait sa route vers Passavant, attendait de longues minutes dans la forêt pour s’assurer qu’il n’était pas suivi.
Pour nourrir tous ces gens, mes parents tuaient de temps à autre un veau, un cochon voire un bœuf. Et puis, il y avait le lait, les volailles, les œufs Et ce bon vieux moulin qui nous donnait de la farine avec laquelle ma mère faisait du pain « blanc » !...
Ah ! Ce n’est pas de cette manière que nous nous sommes enrichis !... Croyez-le bien.
En juillet 1944, un général allemand vint s’installer au château de Villers avec son état major. Comme la ferme était juste en dessous, les soldats descendaient chercher du lait et il fallait bien leur en donner !
Un matin, ils demandèrent « Milch und Eier » Ma mère comprit, avec gestes à l’appui, qu’en plus ils voulaient des œufs et me demanda d’aller voir si les poules avaient pondu. Je me rendis donc au poulailler près de la rivière. Je délogeai ces braves volatiles qui s’éparpillèrent avec grand bruit dans le parc. Pour pondre, elles avaient pondu !... J’en ramenai un plein panier en prenant bien soin de ne pas faire d’omelette. Les Allemands remontèrent avec plusieurs douzaines d’œufs et du lait. On me fit remarquer alors que j’aurai pu en oublierquelques-uns ! Mais la peur fut une mauvaise conseillère !
C’est à cette époque qu’on m’avait dit : « Tu sais, Raymond, il y a des gens qui sont capables de nous dénoncer, il ne faut jamais parler de ce que tu vois. Les Allemands peuvent venir nous chercher à tout moment de jour comme de nuit. Si cela arrive sauve-toi par la fenêtre de ta chambre ». Cette fenêtre donnait directement dans un bois qui menait à la forêt de Châtrices et je m’étais tracé un petit chemin à travers les buissons. Fuite dérisoire, sans doute, car la ferme aurait été d’abord encerclée !...
Un évènement aurait pu tourner au drame sans le sang-froid de ma mère :
Les Allemands savaient que des maquisards étaient cachés par les résistants argonnais. Ils voulaient également trouver des armes et des munitions parachutées par les Anglais. C’est ainsi, qu’un matin, ils arrivèrent à la ferme de la Hotte pour perquisitionner et interroger le propriétaire M. Méry. Marcel Méry était un chef de groupe du maquis « Paulus » en Argonne et mon père faisait partie de ce groupe. Ce jour-là, ma mère devait le contacter afin de prendre rendez-vous. Nous n’avions pas de téléphone et il fallait alors « monter la côte » pour appeler de la cabine. La conversation qui m’a été rapportée fut la suivante :
« - Allo ! M. Méry ?...
- Oui ! Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qu’il y a ?
- Heu !...C’est simplement pour vous dire que le moteur est en panne Vous savez celui que vous nous avez prêté ! Il faudrait venir le réparer
- ! ».
Un long silence et on raccroche au bout du fil.

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