Gérard Mourlet, président fondateur de notre revue, mais aussi et surtout à l’époque conservateur du musée, celui qui a redonné vie à un musée endormi, faisait paraître un livret intitulé : « Livret du musée et de la bibliothèque de Sainte-Ménehould ». Dans le numéro 2, daté de 1987, un article évoque la condition de vie des habitants de Futeau. Nous avons voulu faire à nouveau paraître ces récits, avec l’accord de Lucienne Mourlet, pour que les nouvelles générations puissent lire et apprécier.
La vallée de la Biesme a été une vallée industrielle : forges, faïenceries, verreries, et les habitants étaient devenus des ouvriers. Tous avaient du travail jusqu’à ce que les industries s’écroulent, concurrencées par les usines d’autres régions, en particulier celles du nord.
Alors, à ceux qui pensent qu’il n’y a qu’à notre siècle que les femmes ont un métier, ce récit montre des femmes qui travaillent : outre la récolte des fraises évoquée par Nicole Gérardot dans les pages précédentes, les dames œuvraient à la fabrication du charbon de bois, au fagotage et à la pelaison, des tâches aujourd’hui inconnues. Une vie bien dure pour les femmes de la Biesme, un récit étonnant.
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A Futeau si les hommes seuls travaillaient à la sustention de leurs familles, la plupart d’entre elles n’auraient pas de pain la moitié de jours de l’année. Comme les oiseaux du ciel, les habitants de Futeau ne sèment ni ne récoltent, ils n’ont point à amasser dans leur grenier, le travail est l’unique fonds qu’elles aient à cultiver. Il faut que chaque membre de la famille en accepte sa part et le travail de la femme n’en est pas moins dur. Voici quelques industries qui leur sont dévolues.
Tandis que les hommes de Futeau mènent au loin dans la forêt cette vie pénible et nomade dont nous avons parlé, leurs épouses ne sont point moins oisives.
Chaque jour de la rigoureuse année et en toutes saisons, on voit monter des bords du canal une fumée épaisse qui, s’étendant peu à peu dans la vallée, fait croire à l’incendie de toute la forêt. Ce sont les femmes de Futeau qui convertissent en braise le bois mort, les épines et les genêts et autres débris inutiles à la forêt qu’elles ont amassés à grand peine et souvent à longues distances. Quand l’eau du canal a éteint le brasier, on remplit quantité de petits sacs de ce même charbon. Le lendemain après avoir rangé son ménage, la mère de famille se charge du précieux fardeau, va à la ville et au village, et de maison en maison offrir en vente le produit de son industrie. Et est-elle parvenue à s’en défaire que les quelques sous qu’elle en retire sont tout de suite employés à acheter du pain et de la graisse. Munie de ces provisions indispensables à la vie, elle regagne la forêt, ramasse en passant une nouvelle charge de bois mort pour les besoins du ménage, puis enfin rejoint sa famille contente et heureuse, parce qu’elle a du pain pour plusieurs jours.
Fagotage et pelaison
Au printemps de chaque année, il se présente un double genre de travail qui occupe les femmes de Futeau pendant 8 à 10 semaines ; c’est le fagotage et la pelaison. Voici ce qu’est la pelaison. La nature de bois qui domine dans la forêt est le chêne. C’est comme on le sait avec l’écorce du chêne que l’on fait le tan, ou écorce à tanner. Comme la forêt d’Argonne en produit beaucoup, les marchands qui en achètent en font une spéculation. Pour avoir facilement cette écorce, on laisse sur pied jusqu’au mois de mai tous les chênes que l’on juge propres à fournir. Lorsque la nature a mis la sève en mouvement, les bûcherons viennent et abattent les arbres mis en réserve. C’est alors que les filles et femmes de ces hommes viennent armées de maillets et de tringles de fer détacher l’écorce de ces arbres et font ce qu’on appelle la pelaison. Quand les écorces sont séchées quelque temps au soleil, on les lie en bottes et on les vend aux maîtres à tant le kilogramme.
Pendant les deux mois que durent la pelaison et le fagotage, les femmes de Futeau partagent les peines de leur mari. C’est pour eux et pour elles, le palais et la table comme nous les avons décrits à l’article des bûcherons.