Il y a quelques centaines de milliers d’années, les premiers hommes de type « Homo sapiens », nos ancêtres dénommés « fourrageurs » par certains historiens, avaient déjà un fort penchant alimentaire pour les fruits. Cette nourriture sucrée constituait pour eux un mets de première importance, même si les fruits de l’époque n’avaient pas le goût ni la forme de ceux d’aujourd’hui. Le temps passant, les hommes et les fruits ont évolué mais la passion des premiers pour les seconds reste toujours d’actualité.
Beaucoup de fruits à la campagne
Jusqu’au milieu du siècle dernier, la vie à la campagne se devait d’être autonome voire autarcique, notamment sur le plan alimentaire. Les fruits étaient donc très courants, chacun disposant d’un ou plusieurs
vergers bien entretenus.
Il y avait même des arbres en bordure des routes vicinales dont les fruits pouvaient être ramassés, les années favorables, par les habitants des villages. Ce printemps encore, nous avons pu voir de ces pommiers en fleurs entre plusieurs villages meusiens situés sur la ligne de front de la guerre 14-18.
L’Argonne ne faisait pas exception à cette coutume rurale : elle bénéficiait d’ailleurs de sols plutôt favorables. Les limons des plateaux sur gaize peuvent accueillir honnêtement une large variété d’espèces fruitières. La gaize proprement dite, avec une réserve en eau estivale plus limitée, s’avère mieux adaptée aux espèces précoces comme le cerisier.
Mais l’aspect rural avec ses spécificités s’estompe aujourd’hui : le style de vie se veut plus urbain et la production fruitière se raréfie.
A la recherche des variétés locales
Dans les années 80, quelques argonnais de naissance ou d’adoption (Jeannine Cappy, Gilbert Barborin, Didier Sainton) ont porté leurs efforts d’investigation sur la pomme en Argonne. En effet, parmi tous les fruits présents sur le secteur la pomme occupe indiscutablement une place prépondérante. L’objectif consistait à remettre en valeur les pommes locales afin de pérenniser les variétés anciennes menacées de disparition.
Plusieurs variétés sont reconnues localement et certaines peuvent même être considérées comme originaires d’Argonne : Belle Fleur d’Argonne, Blanc doré, Couillon de Coq, Jean Tondeur, Louiton, Pomme de Fer, Reinette grise d’Argonne et Saint Rouin. D’autres affichent une aire d’extension plus large : Réau ou Croquet, Rambour d’été, Rambour d’hiver. Bien présentes en Argonne, elles se retrouvent aussi dans le nord-est de la France. Enfin, quelques unes ne se repèrent que dans les vergers de particuliers et n’ont pas d’appellation officielle mais simplement un surnom local : Cul renflé, Saint Vanne, etc.
Une caractéristique commune à la plupart de ces variétés est de fleurir après le 1er mai, ce qui les met à l’abri des gelées tardives fréquentes dans notre région à climat pratiquement semi-continental. Le printemps 2017 illustre tout à fait cette situation. Tous les arbres fleuris dans la seconde quinzaine d’avril ont fait l’objet d’un gel pratiquement total et ne porteront pas de fruits cette saison.
Deux brochures récentes présentent l’essentiel de ces variétés : « Fruits de Champagne-Ardenne » publié par l’UP-Afcev (Union pomologique de l’Association Française pour la Conservation des Espèces Fruitières) et « Meuse terre de vergers » par Meuse Nature-Environnement.
Des vergers pour conserver ces variétés
Dans ce contexte de raréfaction des vergers communaux et de particuliers, la solution la plus simple pour conserver les variétés locales consiste à les regrouper dans des vergers spécifiques à vocation conservatoire. Ainsi, toute personne intéressée peut y avoir accès en cours d’hiver pour recueillir quelques greffons d’une variété recherchée.
Plusieurs vergers de ce type ont été mis en place au cours des dernières décennies et sont suivis par des associations locales : Marne Nature Environnement, Via les Vertes Voyes section nature et Croqueurs de pommes de la Plaine champenoise.
Pour notre région d’Argonne marnaise et selon l’ordre chronologique d’implantation, ces vergers se situent à Villers-en-Argonne (verger particulier), La Grange-aux-Bois (verger communal),
Châtrices (verger ONF) et Belval-en-Argonne (Réserve naturelle de Belval). Des conventions ont été établies avec chacun des propriétaires de ces sites.
Et, afin de les alimenter, une pépinière a été mise en place chez D. Sainton à Villers-en-Argonne grâce à la collecte de greffons sur toute la zone argonnaise.
Ce travail de conservation devait, et doit toujours, permettre la remise en état de vergers anciens ou en mauvais état avec des variétés du terroir. Ce fut le cas à la suite de la tempête de 1999 par exemple.
Des animations autour de la pomme
En parallèle à cet effort sur les variétés locales, diverses animations ont été mises en place pour inviter les habitants du secteur à s’intéresser aux arbres fruitiers.
Dans les années 90, une foire aux pommes se tenait tous les deux ans courant octobre dans un village argonnais et mobilisait de nombreux bénévoles. La première édition s’est tenue le 14 octobre 1990 à Villers-en-Argonne. Elle donnait aux producteurs locaux l’occasion de se faire connaître auprès du public local et de vendre des variétés autres que les pommes exotiques des supermarchés.
Lors de ces rendez-vous, le concours de la tarte aux pommes permettait également la diffusion de judicieuses recettes
valorisant ce produit. Un recueil des recettes fournies par les cuisinières argonnaises, intitulé « Je mange la pomme » a d’ailleurs été publié à cette occasion. Ce travail de diffusion est repris aujourd’hui par le blog « La cuisine de l’argonnais Oncl’ikou ».
Chaque année, en fin d’hiver, des séances d’initiation à la taille et à la greffe des arbres fruitiers sont organisées dans un de ces vergers conservatoires cités plus haut ou chez des particuliers. Ces rendez-vous permettent de faire le point sur la conduite et l’entretien des arbres fruitiers.
Et si l’on dépasse un peu le cadre de l’Argonne, les Croqueurs de pommes de la Plaine Champenoise proposent tout au long de l’année des activités visant à la promotion et la valorisation des variétés fruitières régionales.
Mais aujourd’hui, les pommes « poussent » en supermarché
L’Homo sapiens du XXIe siècle ne tient plus à assumer la condition de « fourrageur » des ses débuts. Il s’approvisionne maintenant au supermarché qui, quelle que soit l’année et quelles que soient les conditions climatiques du moment, lui offre de beaux fruits et lui enlève les soucis de conservation. Il manque simplement un peu de goût et de texture aux produits ainsi commercialisés.
Tout l’art de la production directe ne touche plus qu’une petite poignée de mordus qui n’hésitent pas à planter, greffer et grimper aux arbres (avec une échelle !) afin de consommer de bons fruits aux saveurs locales. Et ils sont loin d’avoir dit leur dernier mot ! Bonne chance à eux.
Max Chaffaut
Site VVV : : https://vvvargonneassociation.jimdo.com/nos-activit%C3%A9s/nature/
Site Croqueurs de pommes :
https://croqueurs-national.fr/associations-locales/95-plaine-de-
champagne.html
Blog culinaire : https://clubculinaire-vvv.blogspot.com/