Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Du 10 mai à l’évacuation dans la Creuse

Les pompiers de Sainte-Ménehould

texte Lucien Dubois - Jacky Jean-Baptiste



Jacky Jean-Baptiste, fidèle lecteur et passionné d’histoire, nous a déniché un document concernant les années 1940 écrit par un Ménéhildien au cœur des combats : Lucien Dubois.
Lucien Dubois, lieutenant de pompiers, avait mis par écrit l’action des pompiers en mai 1940. Son texte avait été confié par Gérard Mourlet, conservateur du musée, à une revue locale qui a publié ce récit dans son intégralité (numéro de 1983). Avec le recul nous devons, pour les jeunes générations, donner quelques précisions sur les noms de quartier ou de maisons.
En mai 1940, les premiers bombardements sur la ville commencèrent et de nombreux Ménéhildiens partirent en exode. Après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne, la guerre avait été déclarée le 3 septembre 1939. En janvier 40, les allemands occupaient les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et le nord de la France. (Nous reproduisons ci-dessous le texte original et intégral avec quelques imperfections).

10 mai
On apprend l’invasion et le bombardement des camps de Suippes et Mourmelon. Dans la soirée, signe symptomatique de l’invasion, des réfugiés passent en auto, emportant des matelas sur les toits de leurs voitures.

11 mai
Une bombe tombe à l’Alleval (Vers l’ancienne piscine municipale, au lieu-dit « La Grelette ») vers le raccordement, c’est bien le coup de semonce qui rappelle tout le monde à la réalité, et devant l’imminence du danger, le soir à une conférence organisée par R. Dubois, directeur de la Défense passive, tous les gens qui jusqu’ici n’avaient pas manifesté trop d’ardeur dans l’organisation de leurs services respectifs demandent de nouveaux moyens ou l’augmentation des effectifs qui leur sont attribués. Il semble que tout va marcher au mieux si nous sommes menacés à nouveau par des bombardements. (La défense passive, née en 1930, consistait à protéger les populations en cas de bombardement et à renforcer l’action des pompiers).

Lundi 13
Dans la soirée, bombardement par avion. Alerte par sirène vers 17 h. Des bombes tombent à Mon Idée, sur la station électrique et dans la côte de Crève-Cœur où la conduite d’eau principale est rompue. Il en résulte que la ville est privée d’eau et d’électricité dès ce premier bombardement. Aussi tardivement la fin d’alerte est sonnée par un clairon des pompiers, monté sur le camion de Maurice Mayeux qui parcourt les rues de la ville, pour suppléer aux services immobilisés par manque de courant.

Le 14
Le travail d’étaiements de caves pour la défense passive se poursuit activement.
Peu après 13 heures, une vague d’avions venant de la direction N-E survole la ville et lâche des bombes, la D.C.A. de la route de Daucourt tire, mais paraît absolument inefficace ; des bombes tombent : Maison Larchet, l’annexe Aumignon en souffre également. Rue Camille Margaine en face le patronage des filles où un cheminot replié d’Alsace-Lorraine est tué. La maison du maire M. Vatier (la maison Vatier était située entre la poste et le musée) est atteinte d’une bombe incendiaire, le pavillon de la directrice de l’école des filles est complètement détruit par une bombe explosive.


La maison Bry, à la gare, de construction récente, brûle ainsi que le café Pointud. Les pompiers encore à effectif presque normal attaquent les sinistres et limitent les dégâts.
Mais pendant ces opérations, de nombreuses défections ont lieu et le repliement du matériel s’effectue avec beaucoup de peine pour l’équipe restante.

Après une visite rue des Prés, la M.P.D.P. garée à l’Hôtel de ville a essuyé le premier bombardement, le pare-brise de la V. est brisé. Une personne réfugiée là est blessée au bras. Dubois J., agent de liaison est envoyé rue des Prés, alerter les pompiers et passe au moment où les glaces sont soufflées [] et certains chefs de services désireux, trois jours plus tôt, de voir renforcer leurs effectifs quittent rapidement leurs postes pour d’autres lieux plus sûrs. (Nombreux sont les habitants qui commencent à quitter la ville, soit en voiture, soit par le train).
M. Gaston Vatier, maire, décide, après l’incendie de sa maison d’évacuer sa nombreuse famille dans l’Aube.
M. R. Dubois, directeur de la défense passive, conduit sa fille, Mme Vergne, nouvellement accouchée, dans la Côte-d’Or.
Le capitaine Maurice Jaunet décide d’évacuer sa famille en Bretagne, et après une rapide conférence ce soir-là, nous décidons une dispersion du matériel pour éviter les risques tant pour les hommes que pour les pompes. L’autopompe avec Camille Jaunet ira bivouaquer chemin de Bignipont après l’abattoir. La moto Drouville, avec moi-même, chez Champion, avenue Kellermann. La moto D.P. avec Christel a comme lieu de stationnement la route de Florent.
Malheureusement notre bon et sympathique camarade, après avoir demandé et obtenu une permission pour aller mettre sa famille à l’abri dans l’Aube, ne devait pas revenir. Au retour il percutait un arbre près de Brienne-la-Vieille où il fut enterré.

Ce soir du 14 mai fut pour nous d’une grande panique, car, alors que vers 23 h nous allions prendre nos quartiers chez Champion, (Marcel et Mireille Champion tenaient un café, une buvette, avenue Kellermann. Marcel et son frère étaient pompiers) nous voyons déboucher qui à pied, qui en bicyclette ou en voiture, le personnel militaire des hôpitaux de Vouziers, et de nombreux soldats mallette en main mais sans fusil. Nous eûmes de la peine à loger la motopompe dans la grange, car elle était déjà occupée par des militaires qui ne voulaient pas nous en accorder l’accès. Mon équipe se logera sur la paille dans ce café Champion. Sur mes instances, ma femme et mes enfants purent partir vers minuit en Bretagne, la famille de Monsieur Mayeux également.

15 mai, mercredi, vers 17 h
J’apprends de Julien Lelièvre la fin tragique de Léon Christel et cette nouvelle nous consterne tous. Tous deux regagnaient leurs postes à Sainte-Ménehould quand arriva l’accident près de Brienne-la-Vieille.

Dans la matinée nouveau bombardement. La file de bombes tombées est en direction ouest-est : cimetière du château, Eglise, rue de Bel-Air, Côte Canard, Immeuble Schandler, gendarmerie, rue des Rondes.
Deux pompiers, Loppin René et Trusgnach, de service dans le clocher pour sonner l’alerte au tocsin, sont à peine descendus qu’une bombe tombe sur l’escalier d’accès et démolit partiellement la tourelle de l’église. (Cette tourelle permet d’accéder au clocher. Le vitrail de Ménehould, juste à côté, n’a miraculeusement pas été touché) Louis Mazurier, ancien pompier, employé S.N.C.F. se rendant à son travail est tué entre la Côte-Canard et la rue Basse. Gallet, cheminot retraité, blessé dans son jardin, est amputé d’un bras.

Le feu qui couvait encore chez Vatier, reprenant vigueur, nous allons remettre en batterie la motopompe Drouville. Au cours de cette intervention, le capitaine commissaire de gare m’envoie un petit et laconique messager me demandant une motopompe pour le service des locomotives. Après avoir dit au messager que je ne pouvais m’absenter, je le priai de dire au capitaine de venir me voir. Quelques instants après il vient m’exposer la gravité de la situation : le système de pompage de la gare étant hors d’usage, des rames militaires montant de Revigny vers les Ardennes sont immobilisées faute d’eau. Je luis promets de faire le nécessaire. J’alerte Camille Jaunet et son équipe toujours prête à marcher qui va mettre en batterie l’autopompe sur le Pont Rouge et font le plein de cinq tenders de locomotives.

Camille Jaunet venait à peine de remballer son matériel, alors que nous procédions avec mon équipe à l’extinction du feu qui s’était propagé dans le comble de la maison Viard (La maison Viard est aujourd’hui le musée) contiguë à l’immeuble Vatier, une nouvelle vague d’avions allemands est annoncée par le poste de guet installé près du château, près de la statue. A coups de sifflet stridents, ils nous alertent. Je fais arrêter la moto toujours en action et recommande à mes hommes de se mettre à l’abri dans la tranchée située dans le jardin de Madame Vatier mère. Ropert reste dans le grenier et les bombes tombent très drues. Avec Tixier fils qui est avec moi dans la tranchée nous en comptons entre autres 60 d’un seul jet en chapelet. Le vacarme apaisé, nous sortons et on nous signale le feu au quartier Valmy. Route de Florent, immeuble Jacobé et voisin : un side-car brûle contre les établissements Janin, enfin à la gare où un tender de charbon brûle, un wagon de couvertures et un d’aliments. Camille qui a remis en batterie procède aux travaux d’extinction de ces wagons, alors que dans une atmosphère de panique, un millier de personnes qui étaient à la gare, attendant un train qui doit partir ce jour-là, sortant des abris voisins, viennent se masser dans la cour de la gare, gênant grandement les travaux des pompiers. Nouvelles bombes sur la place de l’Hôtel de ville, le bureau de la poste est endommagé dans ses installations et le soir même le directeur et son personnel se replient sur Châlons.

Après repli du matériel, nous remontons chez Champion où nous nous restaurons d’une omelette au lard, puis nous nous allongeons sur la paille pour prendre un repos bien mérité, car depuis 36 heures c’est le premier repas et le premier délassement. Mais vers 23 h 30 une auto s’arrête et en descend un adjudant de gendarmerie de la prévôté qui demande le capitaine de pompiers. Je réponds à sa place, il m’indique qu’il est envoyé par le commandant de la place Maury de Maurille, de la circulation routière qui a établi son P.C. à la poste, que celui-ci donne l’ordre d’achever l’extinction des foyers d’incendie chez Vatier, arguant que ceux-ci sont une menace pour la poste où se trouve un central téléphonique important pour les communications de l’armée.

Priant l’adjudant de me prendre à bord de sa voiture, je vais expliquer à ce commandant les raisons qui font que mes hommes exténués doivent prendre un repas avant d’intervenir à nouveau, le danger n’étant que relatif. Après une explication assez vive, je lui promets de venir vers 4 heures du matin et le tranquillise, le priant par surcroît de me faire reconduire en voiture car moi aussi je suis fatigué. J’ai donc trouvé cette nuit-là la plus haute autorité militaire en fonction de Sainte-Ménehould. Ce commandant qui fit citer à l’ordre Mme Schutz, postière, était avec le capitaine commissaire de gare les seuls à assurer un service effectif.

Le bâtiment de l’école des filles, aujourd’hui Groupe Buirette.



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