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Les paillons de la vallée de la Tourbe

   par Dominique Delacour



<span style=’margin-left:45px ;’> Paillon est le terme le plus utilisé en France pour désigner les treillis de bois, de paille ou de métal pour fromages sur lesquels ils poursuivent leur égouttage et leur affinage. Il désigne aussi l’enveloppe pour emballer les bouteilles de champagne et beaucoup d’autres choses (Selon « Internet »)
Cet article concerne les paillons fabriqués dans la vallée de la Tourbe pour les fromages depuis plus d’un siècle et probablement bien avant. Dans cette région on emploie en priorité le mot clayette à la place de paillon. Le terme -cleulet- en patois local est parfois utilisé. D’autre part, une carte postale du début du 20èsiècle nous donne le mot « cage ». Il y a l’embarras du choix. D’ailleurs, un article du journal de la Marne du 9 novembre 1920, indique « Redémarrage des paillons à Saint-Jean-sur-Tourbe », suite à la guerre 1914-1918 dans cette zone dévastée.

Bernard Huvet a créé une entreprise de clayettes après la seconde guerre mondiale. Auparavant, son grand-père faisait le commerce de celles fabriquées à Laval-sur-Tourbe et autres villages alentour.


A quoi servent les clayettes ?

A ses débuts le travail se fait entièrement manuellement. Il répond aux besoins d’une variété de fromage : le Brie. Chaque fromage nécessite trois clayettes, l’une en jonc et deux autres en paille de seigle : La première étape consiste à en mettre une en jonc sur une plaque. Ensuite on pose le moule circulaire sur cette clayette. On verse le caillé dans le moule et il en prend la forme tout en perdant son eau. Un ou deux jours après, on enlève le cercle et la clayette en jonc pour y placer celle en paille. On retourne le tout pour démouler. Le fromage se retrouve sur la clayette en paille. Il faut laisser plusieurs jours reposer et retourner à nouveau le fromage sur une nouvelle clayette en paille pour continuer le séchage et la maturation finale du fromage. Cela pendant une durée conditionnée par l’avancement de la maturation.
Sur le dictionnaire on peut lire « affiner le fromage, c’est lui donner le degré de maturation souhaité pour qu’il acquière son identité et sa saveur suivant les ingrédients utilisés ».

Les matériaux utilisés :

La paille de seigle : Céréale abondante dans la région jusqu’à la fin des années 1950. Elle a disparu progressivement dans les années 60. Cette paille est indispensable car elle est souple et présente l’avantage de ne pas avoir de tanin qui noircirait le fromage. Elle doit être impérativement récoltée par une moissonneuse- lieuse.
L’arrivée de la moissonneuse-batteuse qui broie la paille a été néfaste. Certains paysans de la région ont continué à utiliser la lieuse pour satisfaire ce débouché.
A partir des années 1970, l’entreprise Huvet s’est ravitaillée en Haute-Loire et en Corrèze, et était livrée au début par voie ferrée. Ensuite elle s’y approvisionnera par camion, au rythme d’un chargement par semaine.
Le jonc : Plante poussant dans les lieux très humides. Il provient d’Epernay où il est aussi utilisé pour lier les vignes de la Champagne. Il transmet le ferment rouge donnant au Brie un parfum apprécié. Puis ce ferment fut fabriqué industriellement après la 2ème guerre mondiale.
Le fil : Il est nécessaire pour assembler les matières utilisées et provient d’Abbeville. Il est de marque Saint-Frères, gros producteur de sacs de jute.
La Canche : Graminée sauvage utilisée par d’autres fabriques. Elle pousse dans les marais de Saint-Gond. Elle n’a pas servi dans la vallée de la Tourbe.

Les outils utilisés :

Pour faire les clayettes à la main, le métier (l’outil) consiste en une ossature en bois rectangulaire dans laquelle les ouvriers et ouvrières placent les rangs serrés de paille de seigle ou de jonc. La taille des clayettes en jonc est de 42cm sur 42cm et celle des clayettes de paille de 38cm sur 38cm. La paille et le jonc sont préalablement peignés et coupés à la longueur voulue. Le travail à la main est très long et demande beaucoup de main-d’œuvre. Une clayette en jonc nécessite environ 15 minutes de travail en moyenne, sachant qu’il faut 4 fils pour assembler les joncs. Dans les clayettes en paille, il suffit de 2 fils pour l’assemblage et 8 minutes de travail en moyenne. La main-d’œuvre provient essentiellement de la vallée de la Tourbe et des villages environnants.

A partir des années 1950, des machines à coudre (ainsi dénommées), ont vu le jour et en 1975, Daniel et Claude Leroy de Virginy en ont fabriqué une double, c’est-à-dire pouvant réaliser deux clayettes en même temps. Cependant le travail manuel a continué, la demande étant toujours en progression. Il faut savoir que les clayettes en jonc peuvent être réutilisées plusieurs fois alors que celles en paille sont remplacées à chaque fois. Une presse réunit les clayettes par 60 unités pour faciliter le transport.

Les débouchés :

L’entreprise Huvet a fourni essentiellement la fromagerie Martin-Collet, productrice de Brie à Rosnes dans la Meuse, au nord de Bar-le-Duc. Cette fromagerie a consommé alors environ 60 000 clayettes par mois, pendant une quarantaine d’années. La production totale de l’entreprise Huvet se montait à 90 000 clayettes par mois (avec d’autres clients) jusqu’au début des années 1990.

Une destination inattendue

Mademoiselle Thérèse Morlet de Saint-Jean-sur-Tourbe a réalisé des petites clayettes lors de tournois de tennis à Roland Garros dès les années 1975-1980. Elles ont servi pour les grands repas servis à cette occasion. Ces petites clayettes, d’une taille d’environ 20cm de côté, utilisent de la paille la plus fine possible. Les plus beaux seigles sont déjà coupés en 2 longueurs de 38cm chacune et la partie supérieure des plus grands seigles, la plus fine, est alors utilisée, soit les 20cm indispensables. La commande arrive en mars/avril pour le mois de juin au nombre de 1000 à 2000 clayettes. Elle est envoyée par le réseau ferré à sa destination finale à Paris.

La fin de l’entreprise

A partir de 1989, la fabrication en paille a été progressivement interdite pour un problème sanitaire « le botulus ». D’après Bernard Huvet, des industriels haut placés ont probablement pesé sur la décision voulant remplacer cette façon de faire par des machines plus modernes.
L’entreprise Huvet a cessé son activité en 1991. La bru de Bernard, Odile, a continué quelques années pour honorer les commandes des environs. Au milieu des années 1990, l’entreprise de Laval-sur-Tourbe réussit à revendre ses « machines à coudre » à des Corréziens avec lesquels elle avait noué beaucoup de relations en allant chercher sa matière première là-bas pendant des années.

Ce métier continue en Corrèze

Dans cette région du sud de la France, ce travail a continué pour maintenir un revenu dans une région pauvre avec de petites structures. Aujourd’hui, l’entreprise corrézienne « Monteil et fils » travaille avec une variété de seigle locale à paille haute et fabrique ce qui s’appelle là-bas des paillons destinés aux fromageries et également des enveloppes de paille pour personnaliser des bouteilles, des emballages, etc. elle perpétue un savoir-faire artisanal unique et innove continuellement, y compris du point de vue sanitaire pour répondre aux exigences écologiques.
Dans la Marne, une autre entreprise, « Mitteau », à Bazancourt, a fonctionné en même temps que celle de Laval-sur-Tourbe.
Une belle page des « métiers voués à la disparition » s’est tournée dans la vallée de la Tourbe, haut lieu marnais de la production de clayettes, paillons, cleulets et même cages. A vous de choisir le terme qui vous plait le plus.
Dominique Delacour.

Merci à Bernard, Monique et Odile Huvet pour les renseignements et les photos.

Fête des moissons de la Bertauge



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